Pratique consistant à consommer de la drogue pour augmenter ses performances sexuelles, le chemsex aurait provoqué la mort de 8 personnes à Lyon. Un nouveau défi pour les professionnels de la prévention et de la santé. Enquête diffusé le 16 avril 2022.
Venu d'Angleterre, le chemsex (mot-valise pour chimie et sexe) devient une pratique de plus en plus courante à Lyon. Le mode d'emploi est simple. Il suffit de télécharger une application de rencontres qui vous géolocalise, et en une heure les premières invitations arrivent. Benoît en a fait l'expérience. "On se retrouve dans un appartement où il va y avoir au niveau de la cuisine une assiette avec la 3-MMC et chacun va pouvoir commencer à prendre des traces, prendre un petit peu de GHB également."
Des drogues aussi accessibles que les partenaires
Trouver des drogues comme la 3-MMC sur internet est aussi facile que trouver ses partenaires. Une drogue bon marché qui se vend à 15 euros le gramme et qui entraîne des week-ends à hauts risques. "Ça commence le vendredi soir, ça dure toute la nuit du vendredi et ça peut ensuite continuer le samedi, le dimanche" se souvient Benoît. "On va chercher des partenaires en plus, il y en a qui arrivent, il y en a qui repartent. Il y a de la musique. Ça dure, ça dure vraiment longtemps".
Les adeptes du chemsex perdent la notion du temps et de leur corps. La 3-MMC, dérivée de la cathinone injectée par intraveineuse, provoque une sensation de plaisir et de désir sexuel. Quant au GHB, tristement connu sous le nom de "drogue du violeur", il provoque amnésie et inconscience.
C'est pourquoi, depuis un an, Benoît a décidé d'arrêter de participer à ces soirées. "Effectivement, j'ai fait un coma. Et dans une soirée, quand je me suis réveillé, je ne savais plus exactement où j'étais. Ce n'était plus les mêmes garçons qui étaient dans l'appartement. Il y en avait un qui était en train de faire du slam (injection) en face de moi, donc ça m'a un petit peu choqué parce que c'est une pratique que je n'ai jamais faite."
Et il y a un des mecs qui étaient là-bas qui m'a dit que, en gros, il avait eu un rapport avec moi pendant que j'étais inconscient, donc j'ai eu un rapport non consenti à cette occasion-là. Ce que je vois qui m'a un peu inquiété et m'a motivé aussi à témoigner, c'est qu'il y a beaucoup de jeunes mecs qui peuvent arriver de la Loire, de l'Isère, de Savoie, qui tombent là-dedans très très vite et qui sont très très jeunes.
Une centaine de patients dépendants soignés à Lyon
Le chemsex possède ce vice de rendre à la fois dépendant au sexe et à la drogue. Une double addiction vers laquelle Benoît a "glissé". "Au départ, en fait, ça paraît très joyeux. Enfin, on navigue un petit peu sur l'amitié, le plaisir. En fait, c'est assez insidieux. Au fur et à mesure, moi, par exemple, j'ai glissé vers la dépendance et au bout d'un moment, ça a eu un impact sur mon travail, sur mes relations avec ma famille."
Pour sortir de cette spirale, Benoît a dû trouver les mots. Comme une centaine d'autres patients dépendants, il raconte désormais son parcours aux médecins et infirmiers de l'hôpital de la Croix-Rousse. "Ce à quoi je ne m'attendais pas, c'est que ça a été quand même assez long pour que j'ai vraiment un sevrage total" avoue Benoît.
Les cathinones de synthèse sont en effet très addictives grâce à leur pouvoir empathogène et contactogène. Selon le sexologue Frédéric Buathier, "on va plus facilement vers l'autre et on va avoir des sensations qui vont aussi être décuplées et magnifiées. Et puis ça peut durer plus longtemps parce qu'il y a d'autres pratiques un peu plus hards qui vont du coup amener aussi d'autres sensations."
Bien cibler la prévention
Si la pratique du chemsex a débuté chez la communauté gay dans les années 2000, elle s'est répandue depuis. Responsable du CSAPA (Centres de Soin, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie) de l'hôpital de la Croix-Rousse, le Dr Philippe Lack a participé à une étude l'année dernière. "Cette étude s'adressait à des patients qui étaient hors du système de soins, environ un peu moins de 3000 personnes qui ont répondu à un important questionnaire".
On a découvert 15% de femmes qui pratiquaient le chemsex. On a découvert qu'il y avait entre 5 et 6% de personnes se disant hétérosexuels masculins, qui pratiquaient le chemsex donc on voit qu'il y a une modification à la fois des pratiques, des consommations, des modes de consommation et des publics concernés.
Violé ou violeur?
Le goût du plaisir se conjugue ici à celui du risque. Pour en prendre conscience, un film de sensibilisation tourne dans de nombreuses salles à Lyon. Le chemsexeur ne doit pas perdre de vue le danger que sont la maladie sexuellement transmissible et l'absence de consentement. Des enjeux à la fois sanitaires et judiciaires selon Raphaël Gréget, fondateur de l'Agence santé sexuelle. "Pendant une soirée chemsex, est-ce que je peux être agressé? Où est-ce que je peux être agresseur aussi? Ça peut être quelque chose de dangereux parce qu'après les victimes n'osent pas forcément en parler, parce qu'il y a un gros sentiment de culpabilité. C'est un petit cercle vicieux, on se dit bon bah tant pis, il s'est passé ça, je ne peux pas vraiment faire quelque chose."
Isabelle Massona Modolo est psychologue et co-pilote du groupe de prévention Corevih. Beaucoup de ses patients estiment avoir été abusés. "Ce qu'on attend, c'est surtout que la police puisse justement accepter de concevoir qu'il y a aussi des viols et que malgré la volonté de s'y être rendu, il n'y avait pas non plus de consentement."
Des excès qui peuvent mener à la mort. Selon plusieurs associations, 8 décès liés au chemsex ont été recensés à Lyon, en un an.