Les milieux scientifiques n'y font pas exception : les cas de harcèlement sont plus courants que l'on pense dans l'univers des laboratoires. Pour aider à la prise de conscience des salariés qui pourraient en être les victimes, une campagne d'affichage a été lancée par un syndicat de l'ENS-Lyon.
“Je suis étonnée que tu n’aies pas encore répondu aux mails pendant le week-end. Tout va bien ?” “Je n’aurais jamais dû te recruter, c’était une erreur de casting” “Tu pourrais tout à fait travailler le 1er novembre, Mais ça dépend de si tu veux réussir la thèse !” Les affichettes abordent les cas de harcèlement à travers les aspects qui les caractérisent le plus souvent : les humiliations et les brimades répétées, les pressions psychologiques, la charge excessive de travail, comme le stipule le Droit du travail.
En menant cette campagne d’information, la CGT de l’ENS Lyon espère toucher les 4500 salariés qui travaillent sur le site de Gerland, qu’ils soient techniciens, administratifs, enseignants-chercheurs, doctorants, fonctionnaires stagiaires ou encore personnels des universités, des écoles d’ingénieurs ou d’instituts hébergés dans des labos sur place. Une ville dans la ville. “Dans le contexte actuel, on estime que cette campagne est nécessaire car on considère qu’il y a un vide sur la question du harcèlement moral dans l’univers scientifique”, souligne Clément Luy, délégué syndical CGT et secrétaire de la CCSCT (ex-CHSCT).
"Des étudiants aux chercheurs confirmés en passant par les doctorants, beaucoup nous ont dit se reconnaître dans les phrases inscrites sur les affichettes."
Le secrétaire de la CCSCT
Un cadre de travail qui se dégrade
Selon la CGT, les établissements qui regroupent des scientifiques n’échappent, pas plus ni moins qu’ailleurs, à ce fléau auquel est confronté le monde du travail. Mais dans les laboratoires, dans les équipes, beaucoup n’ont pas suffisamment conscience de ces problèmes alors qu’ils ne sont pas anodins. “Beaucoup de personnes se plaignent d’un cadre de travail qui a tendance à se dégrader. C'est notamment lié au contexte de plus en plus compétitif entre les labos et au sein de ces mêmes labos soumis à des baisses de budget, à des réductions d’effectifs”, constate le syndicat.
Autant de facteurs qui nourrissent ou aggravent cette ambiance propice au harcèlement. Courir après les financements concourt à tendre les relations. Difficulté supplémentaire, les hiérarchies se croisent et se mélangent parfois, ce qui peut entraîner des situations de harcèlement où le problème ne se pose pas forcément avec un N+1.
Une centaine de cas identifiés
Certains cas de harcèlement deviennent difficilement perceptibles aux yeux de certains salariés harceleurs ou victimes de situations anormales, voire inacceptables. “Les cas de surcontrôle de doctorants ou au contraire d’abandon ne sont pas si rares que cela”, avoue un membre de la section CGT qui a identifié une centaine de cas de malaise ou de souffrance relevant de harcèlement.
La direction accomplit un travail pour que les personnels subissent moins ces situations, reconnaît-on à la CGT. Mais dans les années passées, les enquêtes conduites en interne pour régler ces cas n’étaient pas dirigées selon les procédures ad hoc. Trop peu de personnels connaissent en effet les règles en matière d’enquêtes du CCSCT pour qu’il en sorte quelque chose de positif, estime Clément Luy, lui-même doctorant en histoire.
Ainsi, selon le rapport social unique de l’ENS Lyon, seuls quatre enseignants ont eu l’occasion de se former à ces questions. Un “trop peu” qui peut expliquer le manque de résultats probants et une dérive qui, peu à peu, s’installe malgré les préoccupations de la direction de l’école dans ce domaine.
Harcèlement moral : une priorité de la nouvelle gouvernance de l'ENS
De son côté, la direction prend les choses très au sérieux. Elle fait savoir que “cette campagne parle d’un sujet important, la qualité de vie au travail et la sensibilisation sur le harcèlement, notamment pour les jeunes docteurs et chercheurs.” Elle indique également que la QVT fait partie des priorités de la nouvelle gouvernance (le nouveau président, Emmanuel Trizac, arrivé en juin dernier, NDLR) très vigilante sur cet enjeu. “Le travail est engagé en lien avec les élus du personnel sur ces points”. Une action est d’ores et déjà programmée le 14 décembre. “Elle concernera les doctorants et se déroulera avec des contenus sur la prévention.”
Cette sensibilisation sur le harcèlement moral et le droit à la déconnexion vise à libérer la parole. Et à permettre aux victimes de se défendre. “Dans les carrières académiques et scientifiques, les jeunes chercheurs, soumis à des contrats précaires ou temporaires (enseignants vacataires, doctorants contractuels), dépendent de personnes qui peuvent en influencer le cours. Cette précarité et cette dépendance, ainsi que le caractère informel de certaines hiérarchies et règles, sont des sources de comportements abusifs qu’il faut sanctionner.”