Il y a 35 ans débutait le procès de Klaus Barbie. L'ancien chef de la Gestapo de Lyon était jugé pour crimes contre l'Humanité

Le 11 mai 1987, s'ouvrait devant la Cour d'assises du Rhône, le procès de Klaus Barbie, surnommé "le boucher de Lyon". Un procès pour crimes contre l'Humanité qui s'est terminé le 4 juillet 1987 par une condamnation à perpétuité.

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Menottes aux poignets, Klaus Barbie fait son entrée dans le box des accusés sous le regard de centaines de personnes.  "L'audience est ouverte. Je demande aux services d'ordre d'introduire l'accusé s'il vous plait (...) Veuillez vous asseoir Monsieur l'accusé". C'est par ces mots solennels d'usage que le président André Cerdini débuta, le 11 mai 1987 à 13h04, devant la cour d'assises du Rhône, le procès de Klaus Barbie surnommé "le boucher de Lyon". 

Ce procès hors norme et historique s'est déroulé voilà 35 ans aux 24 Colonnes. 

Klaus Barbie, le "boucher" de Lyon

Né en 1913 en Allemagne, Klaus Barbie intègre à 20 ans les jeunesses hitlériennes, puis adhère au mouvement SS. Le fonctionnaire nazi zélé se fait remarquer pour sa lutte assidue à poursuivre les Juifs. Il est nommé en France en 1942. Une ascension qui le conduit à devenir chef de la Gestapo à Lyon l'année suivante. De nombreux résistants, dont Jean Moulin, sont torturés et exécutés sous ses ordres. Il participe à la déportation vers les camps de la mort de milliers de Juifs.  

On attribue à Klaus Barbie 4 342 assassinats, 7 581 déportations de juifs ainsi que 14311 arrestations et tortures de résistants en France. 

Condamné à la peine capitale par contumace en 1952 par le Tribunal permanent des forces armées de Lyon, Klaus Barbie s'est réfugié en Amérique du Sud. Après la guerre, il avait été exfiltré vers l'Amérique du Sud avec le concours de la CIA. En 1957, devenu citoyen bolivien sous un nom d'emprunt, Klaus Altman, il est homme d'affaires et conseiller occulte de gouvernements d'extrême-droite.

Il est arrêté grâce à la traque des époux Klarsfeld. Ces derniers réussissent à établir que l'individu qui se présente sous le patronyme d'Altman et Klaus Barbie sont une seule et même personne. Après plus de 40 ans d’exil au Pérou puis en Bolivie, Barbie est retrouvé. Il est extradé en France le 5 février 1983 et incarcéré à Lyon durant le temps de l'instruction.

Son procès débute quatre ans après son arrestation. Il s'ouvre le 11 mai 1987 à Lyon sous la présidence d'André Cerdini, président de la cour d'assises. Pierre Truche est procureur général assisté de son adjoint Jean-Olivier Viout, pour l'accusation. Le choix de cette ville s'est imposé. 

"Il était important que le procès se déroule à Lyon parce que c'était le lieu où Barbie avait commis ses exactions. Il fallait absolument que l'on respecte la temporalité et la localisation des crimes, pour que 40 ans plus tard, on pose à Lyon l'acte de justice attendu", explique aujourd'hui Jean-Olivier Viout. 

"Crimes contre l'Humanité"

Les crimes de guerre de l'ancien responsable SS étant prescrits à cette date, c’est pour crimes contre l’Humanité que Klaus Barbie est jugé à Lyon. C’est une première en France. La qualification, née du tribunal de Nuremberg en 1945, est devenue imprescriptible en 1965.

Quel était l'enjeu de ce procès populaire ? Jean-Olivier Viout explique : "A ces crimes extraordinaires, il faillait que soit rendue une justice ordinaire. Il ne fallait pas que l'on dise que l'on avait construit pour Barbie, un procès sur-mesure (...) il ne fallait pas que l'on ne puisse dire un jour que la justice française avait été rendue de manière bâclée ou de manière orientée. D'où le procès rendu par une cour d'assises populaire, composée de jurés tirés au sort et de magistrats habituellement saisis de crimes de droit commun".

Il fallait que la France offre l'image du pays des Droits de l'Homme, même vis à vis de ce criminel extrême qu'était Klaus Barbie.

Jean-Olivier Viout

Magistrat

Devant la Cour d'assises du Rhône, trois faits ont été retenus contre le fonctionnaire nazi : la rafle de l'Union générale des israélites de France (UGIF) rue Sainte-Catherine à Lyon le 9 février 1943, la rafle des enfants d'Izieu le 6 avril 1944 et le dernier convoi de déportation parti de Perrache le 11 août 1944 composé de 650 personnes. À la demande des parties civiles, s’ajoute à la liste un quatrième chef d’accusation: "actes d'arrestation, torture et déportation de Juifs ou de résistants pris isolément".

C'est un ténor du barreau qui défend l'accusé : Jacques Vergès. Face à lui, 113 associations se sont portées parties civiles, défendues par 39 avocats. 

A Lyon, un procès historique et médiatique

Alors qu’il est interdit depuis 1881 de filmer ou d’enregistrer une audience, puis à partir de 1954 de photographier les scènes d’un procès, Robert Badinter, alors garde des Sceaux promulgue, le 11 juillet 1985, une exception à cette loi. C’est la première fois en France qu’un procès est entièrement enregistré. Pas moins de 800 journalistes venus du monde entier sont présents à son ouverture. Une régie est installée à l’intérieur même de la cour d’assises : 4 caméras fixes (plus une caméra robotisée en secours) filment le procès dans son intégralité. Et la salle des pas perdus du tribunal de Lyon est totalement réaménagée pour servir de salle d’audience en raison de l'ampleur du procès. Une mezzanine est même installée. C'est FR3 Lyon qui a été désigné par le ministère de la Justice pour cet enregistrement historique. Mais le cahier des charges est très précis : pas de mouvements de caméra, pas de plans de coupe et un strict respect de la chronologie des débats. Chaque jour, un magistrat en régie veille au respect des règles du tournage et chaque soir, les cassettes sont remises au président puis mises sous scellés dans une chambre forte.

Dans la vaste salle, plus de 700 personnes sont présentes quotidiennement pour assister aux audiences, 180 heures au total.

Lors du procès, Klaus Barbie est installé derrière une paroi vitrée, un rempart symbolique. Le but de ce procès était aussi de donner une occasion aux victimes et à leurs proches de prendre la parole et de témoigner. Lors du procès 106 témoins ont été appelés à la barre. Le procès aurait aussi permis aux victimes de Klaus Barbie d’obtenir des excuses de la part de leur tortionnaire. Des excuses qu'ils n'obtiendront jamais. 

Un jour le procureur général Truche a dit : on ne sort pas indemne du procès Barbie. Et c'est exact ! On ne sort pas indemne du procès Barbie !

Jean-Olivier Viout

Magistrat

Le 4 juillet 1987, au terme d’un procès long de neuf semaines, le verdict est prononcé à 00h40. Klaus Barbie est reconnu coupable de crimes contre l’Humanité et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il meurt le 25 septembre 1991 en détention des suites d'un cancer.

Des dessins de presse à la postérité

De ce procès, il reste aussi des archives et des dessins de presse. Ils ont été réalisés pour la télévision durant ces audiences. Ils seront définitivement conservés à Lyon. Ces 190 dessins de presse, en couleurs, ont été donnés aux Archives Départementales et Métropolitaines par leur auteur. Ces portraits illustraient à l’époque les chroniques judiciaires du journal télévisé d’Antenne 2. 

Je suis fier que nous puissions conserver ces témoignages. Mais c'est d'abord l'émotion qui me prend, lorsque je regarde ces dessins, lorsque je croise le regard de ces témoins.

Bruno Galland

Directeur des archives départementales et métropolitaines

"Ces dessins sont un témoignage historique parce que c'est le regard que le dessinateur - un contemporain - a porté sur les témoins et les magistrats au moment même où le procès avait lieu. C'est vraiment un complément des archives du procès. Ces personnages dont nous avons les dépositions dans les archives, sont incarnés grâce aux dessins", explique Bruno Galland, Directeur des archives Départementales et Métropolitaines qui ne cache pas son émotion. 

"Le procès Barbie, c'est le premier procès qui a fait l'objet d'un enregistrement dans le cadre des archives audiovisuelles de la Justice, dans le cadre de la loi Badinter. Mais un enregistrement, un tournage de caméra, ce n'est pas la même chose qu'un dessin qui fixe un moment, un regard, un instant", ajoute Bruno Galland. "L'enregistrement audiovisuel fixe une séquence, le dessin fixe un moment", insiste-t-il.


Jean-Claude Bauer est l'auteur de ces dessins du procès Barbie. 35 ans après l'ouverture du boucher de Lyon, la mémoire de l'illustrateur est intacte, les émotions aussi. "Quand le 20 mai, les premiers témoins défilent à la barre, c'était extraordinairement difficile. Je n'ai jamais pensé que ça puisse être aussi douloureux", raconte-t-il. Comme le témoignage et l'indignation de Sabine Zlatin, la directrice de la maison des enfants d'Izieu. Jean-Claude Bauer dit avoir réalisé ces dessins à l'instinct. 

Lorsque Jean-Claude Bauer croque le regard perçant de Jacques Vergès, l'indignation de Sabine Zlatin ou la détresse de Lise Lesèvre, il nous permet de comprendre comment les contemporains ont perçu ces témoignages terribles donnés lors du procès Barbie.

Bruno Galland

Directeur des archives départementales et métropolitaines

Avant d'être conservés dans les réserves, ces dessins de presse seront visibles lors d'une exposition le 15 septembre prochain. 

La parole des victimes au coeur du procès

Le 13 mai 1987, au troisième jour du procès, rebondissement : Klaus Barbie fait savoir par une déclaration qu'il refuse d'assister à la suite des audiences. Un coup de théâtre. Mais aussi un tournant, selon l'illustrateur Jean-Claude Bauer : "le procès était axé surtout sur l'émotion, les témoignages des victimes. C'est ça qui était important. Le fait que Barbie ne soit plus là trois jours après, ça a été une libération pour ces gens. Ils ont pu s'exprimer librement et sans être contredits à aucun moment. Même la défense s'est tue" raconte l'illustrateur. 

Pourquoi Barbie a-t-il été autorisé à ne pas assister à son procès ? Les victimes n'ont pas compris dans un premier temps. Aujourd'hui, Jean-Olivier Viout revient sur ce point de droit et explique : "c'est la règle, un accusé n'est pas obligé d'assister aux débats de son procès, sauf si sa présence est physiquement utile pour la manifestation de la vérité s'il n'a pas été confronté".

On a dit que le procès Barbie était le procès de la victoire sur l'indicible. On était en présence de victimes qui jusqu'alors n'avaient jamais osé parler. Elles pensaient que ce qu'elles avaient subi était tellement inouï que personne ne les croirait.

Jean-Olivier Viout

Magistrat

Certaines victimes n'ont pas voulu laisser passer l'occasion de parler. L'absence de leur bourreau a-t-elle contribué à libérer la parole des victimes ? Sans doute selon l'ancien magistrat. "A partir de là, les projecteurs, l'attention, l'écoute de la Nation se sont portés sur les victimes et c'est ça l'importance du procès Barbie," résume Jean-Olivier Viout. 

Outre les archives, les dessins de presse et les enregistrements, que reste-t-il de ce procès aujourd'hui ? Pour Jean-Olivier Viout, il reste  "les leçons du procès Barbie". "Par ces temps de fanatisme, il est capital que les leçons du procès Barbie soient tirées. Ce procès, ce n'est pas seulement une page d'histoire que l'on tourne (...) On ne naît pas fanatique, on le devient ! C'est ça la leçon du procès",  conclut l'ancien magistrat.

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