Le 2 juin, c'est la journée des TCA ou troubles des conduites alimentaires. 900 000 personnes sont atteintes de TCA en France. Frédéric Llop a reçu le docteur Diane Morfin, pédopsychiatre des Hospices Civils de Lyon, spécialiste des TCA.
Ce jeudi 2 juin, c'est la journée internationale des TCA ou troubles des conduites alimentaires. Diane Morfin, pédopsychiatre, exerce dans un centre référent pour les TCA aux Hospices Civils de Lyon. Elle nous parle de symptômes, de prévention, de prise en charge.
L'anorexie et la boulimie sont les TCA les plus connues. Il existe toutefois bien d'autres maladies. On estime qu'en France, 900 000 personnes sont atteintes de troubles alimentaires. Selon l'INSERM, 50% des cas détectés à l'adolescence guérissent et 5% à 10% des malades décèdent.
Tous les cas ne sont cependant pas diagnostiqués. Les TCA sont des maladies complexes, souvent stigmatisés. La recherche a mis du temps avant de les étudier. De nombreux travaux publiés récemment permettent toutefois de mieux les appréhender et d'offrir une meilleure prise en charge aux patients. INTERVIEW.
Fred llop : derrière l’acronyme de TCA, il faut préciser qu'il y a des maladies bien connues …
DIANE MORFIN : Le terme de TCA regroupe de nombreuses maladies. Les plus connues sont l’anorexie mentale, la boulimie nerveuse, avec peut-être l’hyperphagie boulimique.
FL: L’hyperphagie boulimique, c’est-à-dire ?
DM : Ce sont des crises, comme les boulimiques peuvent faire, mais sans les conduites de compensation derrière. On ne vomit pas, on ne jeûne pas, on ne va pas faire de l’exercice physique. Ce sont des personnes qui sont plutôt atteintes de surpoids ou d’obésité.
FL: Ce phénomène tend-il à augmenter en France ?
DM : C’est un phénomène qui est en très forte augmentation. Pendant la crise sanitaire, on a remarqué que beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes ont ressenti un très fort mal-être. Cela a fait naître de nombreuses situations de troubles alimentaires. Certaines études montrent même que le nombre de personnes atteintes de troubles alimentaires aurait doublé pendant cette période.
Pendant la crise sanitaire, on a remarqué que beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes ont ressenti un très fort mal-être. Cela a fait naître de nombreuses situations de troubles alimentaires.
Dr Diane Morfin
FL: On sait que les TCA touchent 900 000 personnes en France. Quels types de population sont les plus touchés ?
DM : Les grands pics de début de TCA se situent à 13-14 ans, en pleine adolescence, ou 17-18 ans, en fin d’adolescence. L’hyperphagie boulimique touche aussi les adultes.
FL: Quels sont les signes auxquels les parents doivent prêter attention ?
DM : Il y a des signes qui sont assez précoces. Les changements de poids doivent tout de suite alerter. Un enfant qui ne prend plus de poids ou qui en perd, c’est préoccupant. Certains symptômes sont plus fins et peuvent être repérés plus précocement : la préoccupation pour l’alimentation ou pour la cuisine, l’augmentation de l’exercice physique …
FL: Pourtant, l’exercice physique et l’alimentation équilibrée font du bien aux enfants, non ?
DM : Faire attention à la santé, oui. Mais les régimes ou la restriction chez les enfants, on ne peut pas dire que ça les aide. Des enfants qui se préoccupent trop de leur santé ou de leur alimentation, ça peut glisser vers des troubles alimentaires.
FL: A partir de quand faut-il aller consulter ?
DM : On n’attend pas. Il est assez aisé de consulter son médecin traitant pour avoir un avis quand on a des doutes, des inquiétudes par rapport à la santé de son enfant. Le plus tôt est le mieux. On n’attend pas que des choses inquiétantes comme des mouvements de poids se soient installées. Si on est inquiet de trop grandes préoccupations de son enfant pour le poids, pour l’alimentation, pour le sport, on va consulter le médecin traitant ou le pédiatre.
Si on est inquiets de trop grandes préoccupations de son enfant pour le poids, pour l’alimentation, pour le sport, on va consulter le médecin traitant ou le pédiatre
Dr Diane Morfin
FL : Le médecin traitant est-il armé pour diagnostiquer et pour aiguiller ?
DM : Armé, je ne sais pas. Il y a des outils de première ligne, des médecins généralistes, des pédiatres, des questionnaires rapides qui peuvent très vite discriminer s’il y a un fort risque de troubles alimentaires. Surtout, les psychiatres et les médecins généralistes sont armés pour orienter les jeunes adolescents ou les enfants vers des spécialistes ou vers des centres de référence.
FL : Dans les centres de référence, on peut consulter des diététiciens, des nutritionnistes ou des pédopsychiatres. On a parfois l’impression que ces maladies-là sont alimentaires alors que ce n’est pas forcément le cas. C’est une maladie psychiatrique …
DM : Oui, ces troubles sont dans la classification des troubles psychiatriques.
L’évolution des connaissances en font presque des troubles métabo-psychiatriques. On se rend compte qu’il y a beaucoup d’enjeux métaboliques, biologiques, digestifs et bien sûr psychiques.
Dr Diane Morfin
FL : Que trouve-t-on dans le centre de référence des Hospices Civils de Lyon dans lequel vous exercez ?
DM : C’est un centre d’évaluation et d’orientation. On peut accueillir des familles.
FL : C’est donc une prise en charge globale, il ne faut pas laisser l’adolescent seul …
DM : On fait de plus en plus attention à accueillir l’enfant avec sa famille, voire à proposer des consultations pour les parents seuls, à leur demande. Il y a aussi des groupes de parole, de soutien et de formation pour accompagner les parents et les fratries. On fait bien attention à l’impact que peuvent avoir ces troubles sur l’ensemble de la famille. On sait que les fratries sont très exposées. Il y aura bientôt des groupes de parole pour les adolescents eux-mêmes.
FL : Il y a aussi de nombreuses ressources sur le site de la Fédération Française d’anorexie et de boulimie.
DM : Tout à fait.
FL : Est-ce qu’on guérit de ces troubles-là ?
DM : Bien sûr. C’est évidemment ce qu’on vise pour chacune des situations que l’on rencontre. Ça peut prendre du temps, des mois voire des années. On ne se désespère pas même dans des situations où on voit jusqu’à 5-6 hospitalisations. Même pendant les hospitalisations, on continue à se battre pour la guérison.
FL: Est-ce que vous avez beaucoup patients dans votre centre ?
DM : On reçoit plus de 200 familles par an. On n’organise pas l’intégralité du suivi. On délègue beaucoup à des personnels à des personnels en ambulatoire comme des pédopsychiatres, des diététiciens, des nutritionnistes et des psychomotriciens.
FL : C’est donc un centre médical pluridisciplinaire avec différentes disciplines médicales en fonction du trouble. Il n’y a donc pas un schéma arrêté …
DM : Voilà. On fait un premier bilan dans lequel on va dans toutes les directions, métaboliques, neuropsychologiques, psychiatriques, pédiatriques, pour dresser une image complète. Puis on oriente vers un projet de soin personnalisé qu’on organise avec la famille et avec le patient. On fait des points-étapes à six mois, un an, deux ans … pour s’assurer qu’on va jusqu’au bout.
Face à ces maladies dont les causes et les symptômes sont encore assez peu connus du grand public, la vigilance et la prévention sont donc avant tout de mise.