Dans les années 80, sa longue silhouette brune s'affichait dans tous les magazines, sur tous les podiums des défilés de haute couture. Farida Khelfa, égérie de Jean-Paul Goude, d'Azzedine Alaïa et de Jean-Paul Gaultier, a grandi aux Minguettes à Vénissieux. Elle raconte aujourd'hui son incroyable parcours dans un livre, Une enfance française.
Des yeux intensément noirs, une bouche intensément rouge et une moue farouche... Sur la photo qui orne le bandeau du livre, Farida Khelfa et ses 20 ans semblent lancer un défi au monde entier. Une enfance française, c'est le titre de cette autobiographie que Farida publie chez Albin Michel. Elle y raconte ses années d'enfance et d'adolescence, ses parents arrivés d'Algérie en France dans les années 50, l'âpre quotidien d'une famille nombreuse à Vénissieux dans le quartier des Minguettes...
Une enfance qu'elle qualifie aujourd'hui de "joyeuse et douloureuse".
Les jours de fête et la violence de son père, l'indifférence maternelle, l'inceste et les liens fraternels, et surtout cette pulsion de vie, si forte, qui à 16 ans pousse Farida à fuir, pour se sauver à tous les sens du terme.
Quitter Vénissieux et sa famille toxique, tout laisser derrière elle pour se jeter dans le Paris des années 80. On suit cette toute jeune fille, bravache et fragile à la fois, qui découvre un autre monde, une autre vie. Les nuits folles du Palace, les ors et les talents du monde de la mode.
Pour Farida, dont le seul bagage est la beauté atypique, les rencontres s'enchaînent, les mauvaises avec la drogue, les bonnes avec le photographe et scénographe Jean Paul Goude, ou les grands couturiers, Jean Paul Gaultier et Azzedine Alaia dont Farida devient la muse, l'égérie, la complice.
Je compris très tôt, à l'âge de sept ans, que ma mère ne me protegerait pas (...) ce qui me sauva d'une vie de misère. Je devrais faire seule mon chemin.
Farida KhelfaUne enfance française
Si en quittant sa famille, elle a littéralement pris la fuite, elle n'a pour autant jamais coupé les ponts. Au décès de sa mère, elle se replonge dans son histoire, ses souvenirs, pour essayer de comprendre les raisons profondes de la violence familiale. Une quête personnelle qu'elle a éprouvé le besoin de coucher sur le papier et qui est devenue un livre. Dépourvu de tout ressentiment mais empreint d'une absolue lucidité. "J'ai une dette envers mes parents. Je leur dois la vie mais pas le pardon. Pardonner m'est impossible, j'ai dû m'inventer contre eux, contre tous ceux présents sur ma photo de famille."
Sur le marché des Minguettes, tout le monde la reconnaît
Revenue sur les lieux de son enfance, à l'occasion de la sortie de son livre, Farida retrouve les Minguettes avec une certaine émotion. Certes le paysage a changé, la tour 106 où elle habitait a été démolie depuis des années. Mais les autres tours sont toujours là. "Dans mon souvenir, elles étaient plus hautes..." sourit-elle. "Mais le marché est toujours là ! J'y venais avec ma mère pour dénicher des fringues, pas chères, souvent en acrylique aux couleurs criardes. C'était la mode de l'époque..."
Aujourd'hui sur ce marché des Minguettes, ils sont nombreux à la reconnaître. Tout le monde ici sait que Farida est une icône de la mode et qu'elle a grandi dans ce quartier. Certains lui disent qu'ils ont connu ses parents ou ses frères et sœurs, et si elle ne reconnaît pas tous les visages, elle est émue par cet accueil chaleureux. "C'est incroyable ! En arrivant à Vénissieux, je suis tombée par hasard sur une fresque murale en hommage à Frantz Fanon." Frantz Fanon, psychiatre et écrivain antillais, figure majeure de l'anticolonialisme, que Farida cite en exergue de son autobiographie.
"Ses livres ont tellement compté pour moi, ils m'ont permis de comprendre tant de choses sur l'impact de la colonisation sur l'histoire de mes parents... Je n'en reviens pas que ce soit cette fresque qui m'accueille ici !" Comme un clin d'œil du destin qu'elle a su elle-même se forger.