Un jeu de carte qui se joue par deux. Et qui passionne petits et grands. On compte 99 000 licenciés en France, qui est le deuxième meilleur pays au monde dans cette discipline. Thibault Vincenot, 27 ans, est 7 fois champion de France. Il donne un coup de jeune à l'image un peu rétro et bourgeoise -sans doute à tord- de ce sport cérébral qui exige beaucoup de concentration
Pas particulièrement sportif, le lyonnais Thibault Vincenot est tout de même un champion. A 27 ans, il est même, déjà, sept fois champion de France de bridge. Un jeu à l’image un peu désuète, dont les règles ne sont pas forcément simples à expliquer. « On y joue par deux, avec un partenaire. Et on affronte deux adversaires, qui sont également coéquipiers. C’est un jeu de plis. Chacun a treize cartes traditionnelles, avec quatre couleurs différentes. Chacun doit jouer une couleur. Celui qui aura la carte la plus forte dans la couleur demandée va l’emporter. » Simple, donc, à priori. « Sauf que l’on va parier sur un certain nombre de tours de cartes », précise le champion.
A ce jeu de base s’ajoutent… des enchères. « C’est ce qui va déterminer notre contrat. On peut parier sur un maximum de treize plis, et un minimum de sept. Avec son partenaire, on se met d’accord sur un contrat. L’idée est de pouvoir remporter ce contrat. Et le but de nos adversaires sera de nous faire échouer », détaille celui qui donne régulièrement des cours dans son club lyonnais.
« Le jeu de base, franchement c’est tranquille. La partie concernant les enchères est un peu plus subtile. C’est elle qui fait la différence entre les débutants et les joueurs chevronnés », analyse Thibault avec un sourire malicieux. Et il sait de quoi il parle…
Il découvre le bridge par hasard au collège
Retour à ses années-collège, au Creusot, en Bourgogne. A l’âge de 14 ans, Thibault Vincenot n’a jamais envisagé de jouer aux cartes. Un drôle de hasard s’en est mêlé. « Le vendredi, je voulais accéder en prioritaire à la cantine, pour pouvoir retrouver mes potes au plus vite entre midi et deux heures. Le seul moyen, c’était de s’inscrire au club de bridge, ce que j’ai fait. Mais, ensuite, j’ai été contraint d’y aller. Et, en fait, j’y ai rencontré des encadrants formidables. Je me suis éclaté », raconte-t-il.
Son énergie est vite repérée. Il est alors recruté pour participer à une colonie de vacances « bridge », et il est emballé. « C’était excellent. Je suis passé de colon à animateur, puis directeur pendant quelques années ! ». A quoi tient une passion…
A force de jouer, le futur champion rencontre des pointures. « C’est un peu les sages, avec leur longue expérience. Ils peuvent nous apprendre plein de choses, même si je connais aussi de nombreux joueurs jeunes et très brillants. Tous ces joueurs me tirent par le haut, et c’est une chance d’être aussi bien entouré », explique notre interlocuteur. « Les bons joueurs sont particulièrement concentrés, et sont connus en raison de leur palmarès. Quand je m’assois à une table, je sais contre qui je joue, surtout en France ». Il reste aussi sur ses gardes lorsqu’il joue à l’étranger. « En général, en compétition internationale, les gens ne sont pas mauvais », s'amuse-t-il.
Aujourd’hui, le bridge est devenu un métier pour Thibault. Il ne se contente pas de jouer quotidiennement. Il enseigne sa passion aux autres, notamment dans son club lyonnais. « Je n’ai pas l’impression d’aller au travail. Je suis tellement passionné que, pour moi, c’est de la détente. J’enseigne beaucoup en semaine, je suis également arbitre, et j’organise parfois des voyages autour du bridge », avoue ce champion national auquel il arrive de revêtir un maillot bleu. « Mais il n’y a pas de short. On est des sportifs… plutôt cérébraux » s’amuse-t-il. Il faut avouer que la pratique n’est pas particulièrement exigeante physiquement, même si cela exige de jouer, assis, du matin au soir, et de maintenir sa concentration.
Des compétitions dans le monde entier
Les nombreuses compétitions auxquelles Thibault a participé l’ont amené à voyager dans le monde entier. Lors de championnats universitaires en Croatie, sa fédération a côtoyé les jeunes joueurs…issus de l’université. « Eux sont très branchés sport. Et je me souviens que, de notre côté, pas mal de joueurs fumaient, buvaient des petits coups… de quoi surprendre ceux qui imaginaient voir des participants à l’hygiène de vie parfaite. Mais ça s’est bien passé, finalement », se souvient-il.
Quelle que soit sa forme, il est recommandé de bien collaborer avec son binôme lorsque l’on joue au bridge. « Moi, j’ai toujours joué avec des amis ou des proches. Mais on connaît des duos, notamment une célèbre paire de joueurs américains, qui ont joué toute leur vie ensemble, sont devenus champions… mais qui n’avaient rien en commun », explique Thibault.
Une complicité qui est d’autant plus utile que la communication est strictement interdite pendant une partie. Aucun code secret n’est autorisé. « Ce serait de la triche ! », s’amuse-t-il. « On n’a pas le droit de faire de petits gestes. D’ailleurs, dans les compétitions à haut niveau, c’est quasiment mission impossible. Il y a un écran qui sépare la table en deux, pour empêcher de voir son partenaire. C’est le silence absolu. »
certains très bons joueurs sont même payés exclusivement par une personne qui tient à former un binôme avec eux
Thibault Vincenot
Ce qui n’empêche pas, parfois, d’assister à des scènes cocasses. « Je me souviens, lorsque j’étais jeune joueur, d’un couple qui n’arrêtait pas de se disputer. Pendant toute la partie, la pauvre dame en prenait régulièrement pour son grade. Mais, à un moment, l’arbitre intervient pour rapporter qu’il a reçu un appel de leur voisin. Le portail de leur maison était resté ouvert et cela suscitait quelques inquiétudes… Alors la femme s’est levé d’un coup, et a réglé son compte à son mari : elle jouait peut-être comme une pomme au bridge mais elle, au moins, n’oubliait jamais de ferme le portail ! » Une jolie scène de ménage en pleine partie.
Dernière précision : le bridge n’a pas le même attrait financier que le poker. En tant que joueur, Thibault gagne correctement sa vie. Mais sans toucher de sommes extravagantes. « Parfois, certains très bons joueurs sont même payés exclusivement par une personne qui tient à former un binôme avec eux. C’est rare mais ça arrive. »
PODCAST : écouter cet entretien en intégralité
REPLAY : voir ou revoir l'émission en intégralité