Lyon : levée de boucliers contre les "milices" de Génération Identitaire, un collectif d'avocats s'insurge

Ils paradent en ville avec l'intention de la "protéger". Génération Identitaire a relancé ses "tournées de sécurisation" dans les rues de Lyon. Les réseaux sociaux s'agitent. Un collectif d'avocats s'insurge et lance une pétition.

La mise en scène est millimétrée. Une troupe de militants à l'assaut du Vieux Lyon. Une musique épique. Un slogan provocateur : "Protège ton peuple". Le ton est donné. Génération Identitaire reprend ses "tournées sécuritaires", un peu partout en ville. La vidéo, publiée sur Twitter fait le buzz. Et provoque l'indignation d'un collectif de juristes. Ils viennent de lancer une pétition pour dénoncer ces "milices".

"Un coup médiatique"

Génération Identitaire l'avait annoncé quelques jours plus tôt sur son compte Twitter : "Face à la montée de l’insécurité et au laxisme des autorités, les jeunes identitaires lyonnais agissent !". Le mouvement propose l'organisation, le 28 mai, de "tournées de sécurisation dans les transports en commun lyonnais". Dès le lendemain, photos et vidéo de ladite "tournée" sont postées sur le réseau social. On peut y voir un groupe de militants, chasuble bleu criard sur le dos, masque logotisé sur le nez, tracter dans les rues de la ville et dans les rames de métro. Le mot d'ordre est limpide "Face à la racaille : Autodéfense". Mais pas de violence affichée. Car la méthode est rodée, l'extrême droite lyonnaise sait contourner les écueils pouvant mener à sa dissolution et maîtrise l'art de la communication politique.

"De la propagande", même, selon Me Abdelrahim Abboub. Il fait partie des avocats qui dénoncent cette nouvelle "campagne" de l'extrême droite lyonnaise et regrette l'absence de réaction des autorités. "Ces milices veulent se substituer à l'Etat, elles s'arrogent des prérogatives qui ne sont pas les leurs, et nous voulons dire, "maintenant ça suffit" ! " ajoute l'homme de loi.

 

 

"Le silence des autorités"

Dans un courrier adressé au maire de la ville, Gérard Collomb, et au préfet du Rhône, puis dans une pétition, le collectif d'avocats demande aux autorités d'intervenir. "Le silence, l'absence de réaction des autorités, c'est quelque chose d'ahurissant, c'est quelque chose de grave. Nous sommes face à une atteinte à l'ordre public, à l'intérêt général", explique Me Zerrin Bataray, à l'origine de la pétition. "L'idée qu'ils font circuler, c'est que la ville leur appartient, ils ne peuvent pas s'approprier l'espace public comme cela" dénonce l'avocate, qui a, depuis le lancement de la pétition, reçu des menaces sur son compte Twitter.

Les autorités doivent prendre position, sinon on peut considérer que c'est une forme de tolérance, et ça, on ne peut pas l'accepter,

insiste son confrère Me Abdelrahim Abboub.

L'évènement a bien suscité quelques réactions, timides. Fouziya Bouzerda, présidente du SYTRAL qui gère le métro lyonnais, a utilisé le même canal et condamné dans un tweet "avec la plus grande force" ces "tournées de sécurisation" dans les transports en commun. Contactée par notre rédaction, elle dénonce "un coup médiatique auquel on donne trop d'importance". En réalité les militants ne seraient restés que quelques minutes dans le métro, juste le temps de se filmer. Trop rapide pour que les forces de l'ordre puissent intervenir. L'élue indique cependant avoir saisi la Préfète à la sécurité.

Gérard Collomb avait, lui, poussé un coup de gueule contre le groupuscule d'extrême-droite après que des visuels aient été projetés sur la façade de la Grande Mosquée au mois d'avril. Le maire de Lyon avait appelé « à la plus grande fermeté face aux semeurs de haine, à ceux qui cherchent à dresser les communautés les unes contre les autres ». Depuis, plus rien.

"J'ai fermé quatre locaux d'extrême droite dans ce mandat", rappelle tout de même Jean-Yves Sécheresse, adjoint à la sécurité de la ville de Lyon. "On ne peut pas me reprocher de ne pas faire mon travail !". A chaque fois, les identitaires ont trouvé les moyens de rouvrir ces lieux. "Les pouvoirs du maire existent certes, mais les questions de sécurité sont assumées par l'Etat et la Police nationale, je ne peux pas accuser les gens d'être porteurs de telle ou telle idée", ajoute l'élu, qui se dit prêt à rencontrer le collectif d'avocats pour échanger.

Du côté de la Préfecture du Rhône, on se refuse à commenter. Sujet trop épineux. Mais les services de l'Etat assurent rester attentifs au moindre dérapage du groupe identitaire.

Une opération juridiquement ficelée

Car juridiquement, l'affaire est compliquée. Oui, les milices privées ou groupe de "combat" sont interdits par l'article L.212-1 du code de la sécurité intérieure. Mais la définition est précise, le groupe doit appeler à la discrimination ou à la haine et faire preuve de violence. Comment imputer de tels faits à un groupe de militants tractant dans les rues de Lyon ?

Si Génération Identitaire sait communiquer, le mouvement a aussi l'habitude de flirter avec la légalité. "Il y a quelques années", raconte Jean-Yves Sécheresse, "ils étaient descendus en K-way jaune pour "protéger le peuple français dans le métro et dans les rues de Lyon... Il n'y a eu aucune poursuite, pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait pas eu de délit. Ils avaient même composté leur ticket de métro !" .

A l'époque déjà, le groupuscule d'extrême droite s'était retranché derrière l'article 73 du code pénal qui prévoit que "dans les cas de crime ou délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement, toute personne a qualité pour appréhender l'auteur et le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche". Ainsi, défendaient-ils, les militants ne faisaient que déambuler en ville en s'autorisant à intervenir en cas de besoin.

Et si le 29 août, trois de ses membres ont écopé de 6 mois de prison ferme pour avoir mené une action anti-migrants à la frontière franco-italienne, c'est que le jeu en valait la chandelle. Pour l'adjoint à la sécurité de la Ville de Lyon, qui connait le mouvement de longue date, les identitaires savent ce qu'ils font : "Quand ils s'affaiblissent sur le plan juridique, c'est qu'ils ont décidé de prendre le risque au niveau politique, que ce qu'ils ont à y gagner est plus important que les tracasseries judiciaires", explique l'élu.

C'est l'intention qui pose problème,

réplique cependant l'avocate Zerrin Bataray.

"On connait tout le passé de ces mouvements, on sait ce qu'il y a derrière, l'idéologie qu'ils défendent, leurs procédés... ". Selon elle, "l'illégalité" de ces opérations de patrouille sécuritaire "saute aux yeux", et l'absence de réponse n'est "qu'une question de courage politique". Et d'affirmer : "si la loi ne peut pas répondre à cette problématique là, c'est qu'il y a un vide juridique et il faut le combler".
 

Réactions en chaîne sur les réseaux sociaux

N'empêche que, si l'intention de Génération Identitaire était uniquement de provoquer le buzz, le pari est réussi. Depuis la publication de la vidéo, la twitosphère s'agite. Plus de 4700 vues. 700 retweets et presque autant de commentaires. Certains applaudissent l'initiative. D'autres sont plus moqueurs, voire indignés : "Trop bien fait votre mascarade, c’est pour un projet d’école c’est ça ?", commente un internaute, ou encore "J’ai vomi".


Une effervescence qui inquiète précisément les juristes. "Il peut y avoir toutes sortes de dérapages. Demain, cela peut dégénérer, que cela soit dans une confrontation avec des groupes idéologiquement opposés, ou avec des gens qui ne sont tout simplement pas d'accord avec ce genre d'action", prévient Me Abboub. D'autant que les identitaires ont promis de renouveler l’opération de façon régulière. Le collectif d'avocats promet donc de durcir le ton. "On ne peut pas prendre ça à la légère, on sait que c'est de la communication, mais par principe, il faut réagir pour défendre nos valeurs républicaines", conclut Me Zerrin Bataray. Si les autorités n'interviennent pas rapidement, les avocats n'excluent pas de porter plainte au pénal ou de saisir le tribunal administratif.

C'est à l'intiative de Me Arié Alimi et deux autres avocats lyonnais, qu'un collectif s'est constitué pour condamner les "actions du mouvement Génération Identitaire qui mène des opérations de sécurisation à Lyon et notamment dans les TCL".

Pour les tenants du triptyque républicain, ce qui se passe à Lyon depuis le déconfinement est une douche froide. En quasi tout impunité, dénonce la pétition lancée en début de cette semaine, des groupes émanant de l'association d'extrême droite Génération identitaire parcourent les rues de certains quartiers et conduisent des actions de "sérurisation" et de respect des règles du déconfinement, gestes barrières en tête. 
Pour le collectif Défense et Egalité, c'en est trop. C'est pourquoi il a écrit au préfet et au maire de Lyon : "une mise en demeure pour les enjoindre à faire respecter le droit, la sécurité non milicienne et les valeurs et principes républicains."



Une situation inacceptable



Albert Lévy, magistrat à la retraite et connu pour ses prises de positions sur les questions des droits de l'Homme, en a le souffle coupé. Il n'hésite pas à montrer du doigt "les autorités publiques qui laissent faire", selon lui. "Nousa vons comme le sentiment que ces groupes identitaires bénéficient d'un blanc seing implicite accordé par les plus hautes autorités", dénonce l'ancien substitut de la République de Toulon. 
En clair, "laisser faire ces groupes en toute impunité qui se substitueraient aux forces de l'ordre va au-delà de l'imaginable. Et pourtant, cela se passe sous nos yeux !"
Le fait que ces groupes laissent entendre qu'ils assureraient une mission de service publique dans les métros, les bus et les trams, dépasse l'entendement. Dans leur courrier, les juristes écrivent que "loin de se sentir en sécurité, un grand nombre de Lyonnais craigent no seulement ce groupement et l'idéologie qu'elle prône, mais ausssi les conséquences de leur présence massive et provocatrice."
 

Ce silence de la part des autorités est très pesant

le collectif Défense et Egalité



Ils demandent instamment au préfet d'agir. "Il est de votre responsabilité de stopper des fauteurs de troubles manifestement illicites. Le silence dont jouissent ces groupes pose question. D'autant que ce sont des militants d'extreme droite, racistes et antisémites", rappelle Albert Lévy. 
Et de se remémorer l'inaction de l'Etat il y a quelques années lorsque lors d'une soirée qui se tenait à la Maison des Passages, dans le quartier St Georges (Lyon 5e), ces même militants étaient entrés dans le bâtiment, menaçants et armés de battes de base-ball. "Prévenues, les forces de l'ordre n'avaient pas jugé utile de se déplacer... Quant au maire de Lyon, il n'avait pipé mot."


Plus de deux semaines après le début des opérations de ces groupes identitaires, le 28 mai, le collectif réclame de la rigueur pour combattre ces groupes. A commencer par une action efficace et lisible du préfet. "Dans le contexte actuel de détérioration du tissu social, il est extrêmement choquant de constater une absence de réponse du représentant de l'Etat dans le département, extime le collectif. Albert Lévy ne pourra se contenter du silence", prévient-il. 

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