L'Assemblée nationale a approuvé le 14 février le projet de loi portant sur les dérives sectaires. Deux nouveaux délits sont créés, notamment celui de provocation à l'abandon de soins. Une bonne nouvelle pour les associations d'aide aux victimes en région Rhône-Alpes qui voient leur rôle renforcé dans la lutte contre ces dérives. Les députés et sénateurs devront se réunir en commission mixte paritaire pour trouver un accord sur un texte final.
"C’est une victoire pour les victimes de ce fléau, pour leurs familles et pour les associations qui leur viennent en aide au quotidien", s’est réjouie, le 14 février, la secrétaire d’État à la Citoyenneté Sabrina Agresti-Roubache, porteuse du projet de loi pour renforcer la prévention et la lutte contre les dérives sectaires. Après deux jours de débat dans l'hémicycle, les députés ont adopté le 14 février, ce nouveau projet de loi.
Meilleure compréhension de l'emprise sectaire
Les députés ont validé le nouveau délit "de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique", qui "altèrent la santé physique ou mentale pour les victimes".
"C'est une excellente nouvelle car il y avait un vide depuis la loi de 2001 et ce n'était pas suffisant pour caractériser l'emprise", se félicite Bernadette Oudine, présidente du Centre contre les manipulations mentales (CCMM) de la région Rhône-Alpes.
Depuis la loi dite "About-Picard" de 2001, étaient sanctionnés les abus frauduleux de l’état de faiblesse. "Les techniques de sujétion psychologique et physique sont désormais considérées, alors qu'avant, la faiblesse des adeptes n'était pas bien appréciée par le magistrat", explique Catherine Katz, présidence de l'Union des Association de Défense des Familles et de l'Individu victimes de sectes (Unadfi). En cause, le profil "surdiplômé" de certaines victimes, selon Catherine Katz.
L'antenne lyonnaise (Adfi) salue aussi cette avancée. "Les personnes n'ont pas l'impression d'être victimes, l'abus de faiblesse était trop vague pour décrire l'emprise qu'elles subissent.", explique André Pelletier, président de l'Adfi de Lyon. "Plus de victimes seront reconnues, et plus facilement donc elles seront plus enclines à entamer des poursuites judiciaires", estime Bernadette Oudine du CCMM.
Rôle renforcé des associations
Le rôle des associations d'aide aux victimes est aussi souligné. Les associations qui seront agréées pourront désormais se porter partie civile et ce, sans l'accord préalable des victimes. "C'est important car les victimes sont traumatisées et ne sont pas forcément en capacité de donner leur accord, on va pouvoir prendre le relais", considère Bernadette Oudine. "Mais il ne faut pas que les associations soient seules dans ce combat", tempère-t-elle.
Mais le texte de loi a supprimé dans le même temps, "la reconnaissance d'utilité publique pour se porter partie civile", en le remplaçant par ce simple agrément que toute association peut demander. Il est attribué par un ministère. Tandis que la reconnaissance d'utilité publique, elle, est validée par le Conseil d'Etat.
Catherine Katz, présidente de l'Unadfi, dont l'association est justement reconnue d'utilité publique, est vent debout contre ce qui n'est pas une simple subtilité : "on nous demande de disposer d'un nouvel agrément, d'en faire la demande d'ici un an, au lieu de nous l'attribuer d'office ! Or nous avons déjà 10 dossiers nationaux dans lesquels nous sommes parties civiles, le temps de l'obtenir, cela peut pénaliser les victimes que nous accompagnons !".
Pour Catherine Katz, cette décision est contre-productive. "Selon le pouvoir politique en place, un agrément peut nous être retiré. Cela nous affaiblit aux yeux des mouvements sectaires", s'insurge la présidente.
Depuis 27 ans, l'Unadfi accompagne les victimes en justice. Elle explique aux magistrats comment se développe l'emprise sectaire - comme à Albertville en 2015 - ou elle se porte partie civile. "Nous avons recours à un avocat, à nos frais, c'est un choix stratégique pour nous, d'être un phare pour les victimes.", explique Catherine Katz.
Les associations restent les premières interlocutrices des victimes. Leur accompagnement et leur écoute sont une étape essentielle dans leur reconstruction. "Nous intervenons assez régulièrement dans des structures médicales de la région mais nous n'intervenons plus dans les écoles car le rectorat estime que les professeurs ont cette compétence", regrette André Pelletier à Lyon.
De son côté, Bernadette Oudine espère que le gouvernement renforcera le "maillage territorial", entre les préfets et structures associatives. "Depuis les Assises en mars 2023, il n'y a pas encore eu d'interlocuteur identifié dans chaque préfecture mais il y a davantage de formations et de sensibilisation, on sent une réelle volonté de l'Etat", assure-t-elle. La présidente du CCMM régional nuance : "il faut laisser à chaque acteur le temps de s'organiser".
Le secteur de la santé en ligne de mire
L'article 4 du projet de loi créé un nouveau délit, celui d'incitation à l'abandon de soins. Les personnes visées ne seront pas sanctionnées si leurs incitations à des traitements alternatifs sont accompagnées d'une "information claire et complète" sur les conséquences possibles pour la santé, et si les personnes consentent à les suivre de manière "libre et éclairée". Ceux légalement considérés comme lanceurs d'alerte ne seront pas concernés.
Là aussi, les associations approuvent. "Depuis le COVID, les cas de dérives dans les secteurs de la santé et du bien-être ont explosé.", confirme Bernadette Oudine. Ce que confirmait la Miviludes dans son rapport de 2021. "La santé reste un sujet de préoccupation majeure avec 744 saisines traitées au total dont près de 70 % concernent les pratiques de soins non conventionnelles."
"Plus de 400 types de thérapies alternatives existent, certaines sont acceptées dans les centres médicaux, d'autres sont carrément dangereuses comme l'urinothérapie pour soigner les cancers. Il ne faut surtout pas abandonner les traitements traditionnels, c'est là où est le danger.", prévient André Pelletier.
La présidente du CCMM évoque le cas d'une personne âgée, dont le médecin lui aurait recommandé de soigner sa mauvaise oxygénation du sang, uniquement grâce à la technique "du bol d'air Jacquier". Un dispositif "d'oxygénation naturelle" grâce à l'huile essentielle de résine de pins.
"Son médecin lui a dit de ne pas prendre de médicaments, cette thérapie serait comme un repos dans la nature. La personne habite à la campagne, c'est quand même ironique...", se désespère Bernadette Oudine. D'autant que pour obtenir ce "bol d'air frais", il faut débourser entre 1 500 et 4 000 euros. Son inventeur, le Lyonnais René Jacquier, a par ailleurs été condamné en 1964 pour exercice illégal de la médecine, à la suite de la commercialisation de son invention. Le tribunal avait noté que le procédé est sans danger mais que ses utilisateurs pourraient être incités à se passer de traitements efficaces.
Dérives en ligne
Avec le nouveau projet de loi, ce type d'incitation à "ne pas se soigner" pourrait donc être poursuivi, si le patient n'a pas été suffisamment informé des conséquences. Ce nouveau délit serait passible d'un an de prison et de 30 000 euros d'amende, des peines portées à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende quand la provocation a été suivie d'effets.
Enfin, les associations se félicitent de l'introduction de l'utilisation d'internet comme circonstance aggravante. "Le COVID et les confinements ont changé la donne, les gens se sont réfugiés sur les réseaux sociaux ou YouTube et ont été abreuvés de contenus dits alternatifs.", raconte André Pelletier. Une porte ouverte aux abus et aux "gourous 2.0". Les associations le rappellent : "précaution et prudence" restent essentielles.
"Tel que rédigé actuellement ce projet de loi est fort et suffisant.", analyse Catherine Katz de l'Unadfi. Les députés et sénateurs doivent désormais se réunir en commission mixte paritaire pour tenter de trouver un accord sur un texte final.