Témoignages. Dérives sectaires : deux anciennes adeptes racontent leur lente et complexe reconstruction

Publié le Écrit par Marie Bail

Le mardi 13 février, l’Assemblée Nationale examine un projet de loi visant à "renforcer la lutte contre les dérives sectaires". En France, plus de 500 000 personnes sont concernées et des milliers de victimes en France attendent une meilleure prise en charge pour se reconstruire.

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Que deviennent les anciens adeptes des mouvements sectaires ? Comment se reconstruisent-ils ? La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a traité plus de 4 020 signalements en 2021, soit une hausse de 33 % par rapport à 2020. À la suite d’assises nationales organisées par le gouvernement en mars 2023, une stratégie triennale a été publiée fin novembre. L’un des axes porte sur le “meilleur accueil des victimes”, largement laissé à l’expertise d’associations.  

 

Le peuple élu  

Chez moi, c’est spartiate !”, avertit Charlotte, tout sourire, en ouvrant la porte. Dans son petit appartement en banlieue sud de Lyon, les murs sont blancs. Seule une immense toile aux teintes de bleu et de vert recouvre le mur de la cuisine. Charlotte a commencé à la peindre il y a plusieurs semaines.  

À 48 ans, elle exerce comme art-thérapeute, une profession qu’elle n’aurait certainement pas choisie si elle était restée chez les Témoins de Jéhovah. Le mouvement religieux, né aux Etats-Unis, se décrit comme les témoins du “vrai christianisme”, seuls élus sauvés face à “l’Apocalypse prochaine”. Charlotte est née dans une congrégation de Témoins de Jéhovah en Saône-et-Loire, ses parents sont membres du mouvement, tout comme ses grands-parents maternels.  

 

“On m’a inculquée la méfiance envers les autres, vus comme du côté du diable”. 

Charlotte

ancienne membre des Témoins de Jéhovah

 Elle grandit avec cinq frères et sœurs, dans la croyance d’être un “peuple élu”, à la différence des “gens du monde” (comprenez, les non-adhérents aux Témoins de Jéhovah). Sa voix douce et son visage rond, tranchent avec son récit.  

Les enfants sont scolarisés à l’école publique mais sont invités à ne pas se mélanger avec leurs pairs. “Tout notre temps est dirigé vers l’organisation et nous ne côtoyons que nos membres. Après l’école, je devais étudier des passages de la Bible, de la Watch Tower [NDLR : textes des Témoins de Jéhovah], nous nous organisions pour aller prêcher, faire du porte-à-porte, jouer des scènes... 

 Les études bibliques accaparent tout son temps, les réflexions sont interdites. 

 

Chaque texte est étudié mais les exercices consistent uniquement à répéter comme des perroquets ce qu’on y a lu.

Charlotte

 

Charlotte, enfant, voit bien que ses camarades de classe ne sont pas pareils. “Mais dans ma tête, ils étaient dans l’ignorance, ce qui me donnait un sentiment de supériorité car je savais que moi je vivais dans la Vérité. 

En 2022, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, a comptabilisé 99 saisines concernant les Témoins de Jéhovah. Toutefois, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a statué que les croyances et les pratiques religieuses des Témoins de Jéhovah sont entièrement légales et sont protégées par les droits fondamentaux à la liberté de religion. Le 6 mars 2023, les Témoins de Jéhovah ont déposé un recours administratif contre le rapport 2021 de la Miviludes.

 

“J’avais envie de fantastique” 

 

Dans un café du centre-ville de Lyon, Elena sirote un thé. Cette psychiatre roumaine est arrivée à Lyon en 2013 avec sa famille. Dans la rue, elle tombe sur une affiche invitant à une conférence sur l’Inde organisée par la “Nouvelle Acropole”, qui se présente comme un “mouvement philosophique international”. “En déménageant ici, je ne connaissais personne donc j’étais à la recherche de nouvelles rencontres et de donner de mon temps”, se rappelle Elena.  

Par la suite, elle s’inscrit à des cours hebdomadaires de philosophie dans les locaux de l’association, à 55 euros par mois, dans le 2e arrondissement de Lyon. Aucun signe ne l’alerte, “mon français n’était pas aussi bon qu’aujourd’hui”, justifie-t-elle. Elena s’engage davantage dans l’association et s’y fait des amis. Le mouvement propose “d’appliquer” sa philosophie “engagée de manière consciente et active à améliorer le monde”, selon son propre site internet.  

Les activités s'enchaînent : des maraudes, des cours, des repas, des conférences ou encore des opérations de nettoyage de déchets. Elena trouve sa place et s’y sent bien.  “Ils sont très critiques de la société actuelle, jugée individualiste. Ça m'a parlé, moi qui viens de l'Europe de l’Est, j’ai vu les fractures en passant à l’Ouest. Ces activités étaient un engagement concret.” La jeune femme y consacre tout son temps, en soirée et pendant les week-ends. Elle délaisse sa vie de famille, son fils notamment, et ses amis pour se consacrer pleinement à son nouveau groupe.

Pour eux, la Nouvelle Acropole est la meilleure voie à prendre, un idéal pour lequel on doit tout sacrifier. Moi-même j’en ai été très convaincue après, quand je me suis "contaminée"

Elena, ancienne membre de La Nouvelle Acropole

Elena a grandi dans le communisme totalitaire et athée de Ceaușescu avec des parents professeurs de physique, une formation scientifique… Mais la voilà qui baigne dans de nouvelles croyances.  “Ça m’est arrivé de faire du yoga devant une cascade en pensant que j’allais absorber les énergies des éléments et que des fées et des elfes nous entouraient”. Elle rit. “J’avais l’impression de vivre dans un univers parallèle, où on voit des signes partout et où vit la pensée magique. C’est très enchanteur.”, explique Elena. Un monde fantastique qu’elle justifie par “une envie de croire dans le beau et le merveilleux”. 

Un Rhinocéros  

De son enfance chez les Témoins de Jéhovah, Charlotte affirme avoir été témoin et même victime de mauvais traitements. Des moments douloureux qui lui auraient été infligés par des membres de la communauté, qu’elle ne souhaite pas aborder en détail. “Je ne comprenais pas les incohérences entre les discours que j’entendais à la salle du Royaume [NDLR : là où se déroulent les offices] et les actes que je voyais”, raconte la peintre. “Personne ne répondait à mes questions, c’était le même disque rayé en boucle.”  

Pour Charlotte, la fracture est intervenue à l’école publique. “Au lycée, nous avions étudié le livre Rhinocéros de Ionesco, et cette lecture m’avait bouleversée”. Dans ce livre, l’auteur roumain y dénonce toutes les formes de totalitarisme et des dictatures. “Je me suis retrouvée dans le personnage de Béranger, avec ses interrogations sur les absurdités de son monde”, analyse Charlotte.  À l’aube de sa vingtaine, elle commence à se défaire de ses croyances.  

Elle aimerait partir mais n’y arrive pas.

Suivant les directives du mouvement, mes parents n’avaient pas voulu que je fasse des études, jugées inutiles puisque la fin du monde était proche.

Charlotte, ancienne membre des témoins de Jehovah

Je travaillais en emploi jeune mais tous mes liens sociaux restaient au sein du mouvement”. Une première tentative de départ se solde en échec et une hospitalisation. “J’étais complètement dépressive, malgré tout j’avais besoin d’être avec ma famille et le reste de la communauté. Ils étaient tout ce que j’avais”.  

Exclusion 

À peine deux ans plus tard, une exclusion du mouvement sonnera son départ. “Je m’étais mise à fumer, d’abord en cachette car cela est strictement interdit. J’ai commencé à avoir une sorte de double vie et faire la fête”. Ce qui peut sembler anodin ou propre à la jeunesse, n’est pas considéré comme tel par la communauté. “Mon père l’a découvert et m’a dénoncée” 

La délation, “fortement encouragée”, selon elle, chez les Témoins de Jéhovah amène Charlotte à être présentée au “comité judiciaire” où siègent les Anciens, autorités du groupe. “Là on m’a demandé de me repentir d’avoir fumé, ce que j’ai fait. De dénoncer d’autres personnes avec qui j’avais fumé, ce que j’ai fait aussi, et je le regrette amèrement encore aujourd’hui. Cela aurait dû me permettre de rester dans le mouvement, c’est ce qu’imaginait mon père en tout cas.” Mais le comité aurait exigé qu’elle revienne sur une déclaration portant sur une agression sexuelle lors de ses 15 ans par un membre influent de la congrégation - un "ancien”. Elle s’y refuse et est exclue à 24 ans. Dans une déclaration écrite en mars 2023, les Témoins de Jéhovah se défendent de cautionner de tels actes : "lorsque les anciens sont informés d'un abus sexuel sur enfant, ils se conforment entièrement aux lois exigeant un signalement." 

 

Enterrée vivante 

Elena n’a jamais rompu avec ses amis et sa famille, en dehors de la Nouvelle Acropole. “Ils voyaient bien que je dérivais mais ils me faisaient confiance, ils sont restés à distance”, sourit-elle. Au contraire, son fils, alors au collège, n’hésite pas à “se moquer” de ses croyances. Les divergences avec son compagnon de l’époque sont telles qu’Elena finit par le quitter. “Il employait souvent le mot secte en parlant de l’association mais je ne voulais pas le voir”.  

La Nouvelle Acropole, mouvement créé en Argentine en 1957 et présent à Lyon depuis 51 ans, s’est toujours défendue de toutes dérives. Dans un long courrier, adressé par mail, puis lors d'un entretien par téléphone, l’association nous réaffirme ses “valeurs humanistes” et son caractère “laïc, indépendant et apolitique”. “Nous sommes et avons toujours été transparents dans notre philosophie et mode d’action”, affirme Daniela Molina, présidente de l’antenne lyonnaise. Elle se dit "inquiète des rumeurs" et de leurs impacts sur la soixantaine d'adhérents de l'association à Lyon - 700 personnes sont accueillies sans adhérer, chaque année - et 10 000 au niveau national. 

En novembre 2022, la Miviludes, avait alerté sur “La nuit de la philosophie” organisée par l’association à Strasbourg. Ce mouvement, déjà connu de la Miviludes, a fait l’objet de 27 saisines depuis 2020, “en raison d'une organisation extrêmement pyramidale, d'exigences économiques et humaines disproportionnées, et de plusieurs situations d'emprise "entretenues sur des personnes fragiles”, écrivait l’instance sur le réseau social X.  Des saisines décriées par la Nouvelle Acropole de Lyon. 

Pour Elena, la bascule s’amorce en septembre 2017, quand on lui propose de postuler pour “rentrer dans les Forces vives”, un “cercle interne“ aux accents sibyllins. Pour passer ce pallier, elle doit suivre des cours intensifs autour de croyances ésotériques, puis auraît vécu une étape finale inattendue, au centre national de l’association dans le Perche en mars 2018.  

Une des épreuves consistait à creuser sa propre tombe et y être enterré vivant. Je suis rentrée dans la mienne et m’y suis allongée. On m’a mis un drap sur le visage pour éviter d’avoir de la terre dans le nez et les yeux. Je me souviens du poids de la terre, de cette sensation de suffocation temporaire. J’ai eu peur mais je savais que je n’allais pas mourir, c’était un test.

Elena

   

Sur ce point spécifique, Daniela Molina, présidente de la Nouvelle Acropole de Lyon, affirme que “[nos] actions symboliques se font, naturellement, dans le strict respect de la liberté individuelle et de l'intégrité de chacun, ainsi que des principes républicains, toute personne pouvant à tout moment refuser d'y participer. 

Le terme "'épreuves physiques" serait d'ailleurs "relatif" pour la direction de la Nouvelle Acropole car "ce ne sont pas des choses difficiles, ni dangereuses, juste symboliques". Daniela Molina insiste pour distinguer le "symbolique" du "réel". "Si vous ne connaissez rien au catholicisme et que vous allez dans une église, vous voyez le corps d'un homme sur un crucifix, on vous parle de la communion, vous pensez que c'est une secte nécrophile !", explique celle qui est présidente de l'association depuis cinq ans. 

Selon Elena, l'épreuve se clôture avec une cérémonie devant 200 personnes durant laquelle les nouveaux admis se revêtent d’un uniforme brun et les membres les plus initiés font le salut romain. “On a prêté serment de servir le groupe avec loyauté et efficacité, et en cas contraire, que les dieux, les maîtres ou le karma nous le réclament”.

Un serment qui sonne comme une menace quelques semaines plus tard. “Mon départ en vacances n’avait pas été approuvé par la directrice du centre, selon le serment, j’avais failli à mes devoirs et aurais pu risquer de mourir”, affirme Elena.

"Je pense que cela peut fait partie d'élements symboliques mal compris et déformés, au-delà de ce que les mots disent ou ne disent pas, la personne est partie et n'a pas été retenue", explique Daniela Molina à propos de ce serment.

Apologie de la violence? 

Concernant le salut romain, la direction aurait donné à Elena une explication ésotérique du geste : “Ce salut existait avant, et les nazis avaient pris et souillé le symbole”. Elena lève les yeux au ciel. On l’aurait initié à de nouveaux écrits en interne, qui présenteraient une idéologie différente de celle donnée au grand public. “Là j’ai découvert des textes faisant l’apologie de la violence avec un dessein politique”. Sa méfiance est balayée. “Ils me faisaient douter de moi-même et de ce que j’avais vu ou lu”.

Selon Elena, les abus seraient fréquents, sur ses amis ou sur son nouveau conjoint, membre du mouvement depuis dix ans dans le sud. “On nous criait dessus, on nous culpabilisait sans cesse et des punitions nommées "rédemptions" nous étaient infligées faute d’obéissance aux ordres de la hiérarchie”.  

Des dénonciations “que nous refusons catégoriquement”, insiste Daniela Molina. Sa parole fait-elle le poids face à celle des nombreux membres qui nous fréquentent depuis des années ?", ajoute-t-elle. Elle nie tout salut romain et réitère : "nous étudions les symbolismes de toutes les civilisations pour mieux comprendre l'âme humaine." Elena, et d'autres témoignages publiés dans les médias en France “n'ont pour but que de tenter de salir notre association et les membres qui la composent en la calomniant avec des accusations absolument sans fondement”. Tout en ajoutant que "dans toute organisation, parfois il peut y avoir des malentendus, des mots déplacés qui peuvent blesser quelqu'un". 

Elena raconte s’être opposée à l’autoritarisme de son groupe, en vain. En “conflit de valeurs”, elle se décide à quitter la Nouvelle Acropole, environ six mois après son intégration au premier cercle. “Je culpabilisais de partir car je ne voulais pas abandonner mes amis au sein du groupe, mais en même temps je n’adhérais plus, je ne voulais pas ressembler aux cadres de l’association, tous paumés”. 

En octobre 2019, Elena envoie un mail bref, pour annoncer son départ. Une réponse lui revient : “Ok, au revoir Elena”. 

 

Longue traversée

Charlotte sourit et joue de son stylo avec les doigts machinalement. D’un ton posé, elle revient sur les années les plus difficiles, celles qui ont suivi sa sortie des Témoins de Jéhovah. “Quand je croisais des ‘sœurs’ dans la rue, elles changeaient de trottoir, alors que nous étions amies la veille ! Plus personne ne m’adressait la parole”. Charlotte sent le poids de la culpabilité, elle a causé du tort à ses parents. Sa mère lui promet, chose rare dans le mouvement, de ne pas l’abandonner, au moins sur le côté matériel. “Une promesse qu’elle a tenue”, assure-t-elle.  

Les années passent et un brouillard mental s’installe. “J’ai commencé à fumer du cannabis, ce qui n’a pas aidé mais je ne dormais plus”. Charlotte traverse même des épisodes de dissociation mentale : “je ne savais plus où était la réalité, j’avais des flashs d’incidents traumatiques”. Bien que sortie physiquement du mouvement, Charlotte compte en années pour s’arracher mentalement à ce qu’elle considère comme de l’emprise. “Vous êtes isolés, les autres sont les méchants, il faut se construire psychiquement pour devenir autonome et libre de ses choix”.   

Après ce “lavage de cerveau” dont elle aurait fait l’objet, comment faire confiance ? “Je n’avais pas les codes, les degrés de langage, les subtilités des relations sociales, je ne savais pas être intime de la bonne manière”, confesse Charlotte. Elle a aussi peiné à réussir dans le monde du travail, “poser ses limites” lui était compliqué. “Je devais apprendre à trouver la juste distance, ne pas tout donner ou ne pas me fermer, sortir de mon manichéisme”. Charlotte a bâti son équilibre grâce à son conjoint et leurs deux filles.  

Après une douzaine de passages chez des psychologues et un suivi entamé en 2014, Charlotte a franchi un cap essentiel à sa reconstruction : “me considérer comme victime ne collait pas avec ma conception du terme et mon caractère mais j’étais une enfant et n’avais pas les clés pour me défendre.” Aujourd’hui, elle réclame de la transparence sur les dérives sectaires. “L'opinion publique perçoit les Témoins de Jéhovah comme des doux dingues, mais pour moi on sous-estime le fonctionnement interne de l'organisation.” En France, nombre de leurs branches locales ont le statut d'"association cultuelle", ils sont considérés sur le plan juridique au même titre que les "grandes" religions en Autriche et en Allemagne. 

 

“Je veux de la transparence”

Le départ d’Elena a été moins brutal. La Nouvelle Acropole n’a pas cherché à la retenir, ce que nous a confirmé l’association dans sa réponse. Son conjoint a lui aussi quitté son groupe. Pourtant, quand la quadragénaire se met à critiquer ouvertement la Nouvelle Acropole sur internet, elle aurait été intimidée par téléphone :  “j’ai même supprimé mes commentaires par crainte de représailles.” Les séquelles ne tardent pas à se dévoiler. “J’éprouvais une peur inexpliquée, je faisais des cauchemars toutes les nuits et j’ai développé une maladie auto-immune, soignée depuis.”, confie-t-elle.  

Elena se sent trahie, même si son passage a été plus court que d’autres membres. “Pour moi, il s'agit d’un mouvement politique et religieux, dont le but réel est de faire une révolution fasciste. Il existe des partis politiques néonazis qui ne se cachent pas, au moins là on sait à qui on a affaire”.

Dans un droit de réponse datant de 1979 dans le Monde, la Nouvelle Acropole se défendait déjà de tout assimilation “à un ordre fascisant”. Près de 45 ans plus tard, Daniela Molina, directrice de l’antenne lyonnaise réitère : “Les idées du nazisme et du fascisme, comme tout ce qui utilise ou encourage la violence et l'extrémisme ne sont pas compatibles avec l’éthique de notre association (...) la seule « révolution » que nous voulons contribuer à mettre en place, est celle de la générosité et de la solidarité. 

Quand on l'interroge sur la longévité des accusations qui pèsent sur l'association, presque aussi anciennes que sa présence en France, Daniela Molina répond : "on donne de l'importance à des témoignages subjectifs de peu de personnes, et il y a des incompréhensions sur la symbolique." Elle dit ne pas comprendre l'amalgame et cite les vidéos diffusées sur YouTube, les différentes revues de la Nouvelle Acropole, preuves "de l'éthique et des faits" de l'association. 

De son côté, Elena n’éprouve ni haine ni rancœur car les membres de la Nouvelle Acropole seraient toutes des victimes. “Je ne leur en veux pas, mais je suis triste pour ceux qui sont toujours pris à l’intérieur”. Daniela Molina, affirme : "je regrette que cela sorte dans les journaux au lieu d'en parler autour d'un café."

Si Elena a ressenti la honte, elle a su la transformer en aidant les autres. Comme d’autres anciens adeptes, elle s’investit dans des associations pour aider les victimes des dérives sectaires et leurs familles. “Quatre ans après j’en garde une trace, j’aurais pu faire autre chose de ma vie, c’était peut-être une perte de temps mais ces expériences m’aident à mieux comprendre l’emprise”, explique Elena.  

 

Réparations

Que pense-t-elle de l’accueil des victimes, les écoute-t-on assez ? Selon elle, l’Etat se repose trop sur le tissu associatif, malgré le million d’euros promis à un ensemble de structures en 2023 et le travail de la Miviludes. Quant à obtenir réparation, Elena n’est pas sûre de vouloir entamer des démarches judiciaires, "découragée" par des avocats sur le risque d’échec de la procédure. “Cela pourrait changer si la nouvelle loi contre les dérives sectaires permettait une meilleure qualification des faits que j’ai vécu”, analyse-t-elle. La Nouvelle Acropole assure de son côté, que les accusations d’Elena sont “sans preuves” et “infondées” et regrette une telle prise de parole. 

Le dossier de Nouvelle Acropole est vide, rien n'a été démontré contre elle, et même les rapports officiels témoignent de ce que les accusations d'extrémisme portées contre elle il y a quelques années, ont été abandonnées”, affirme Daniela Molina, arguant de la longévité de l’association comme preuve de son honorabilité. 

Pour Elena et son conjoint, qui ont invité d’anciens membres de la Nouvelle Acropole à témoigner de leurs expériences, la bataille se joue sur le terrain de l’information et la prévention. Un blog en espagnol circule d'ailleurs sur internet et publie des écrits internes de l'association et des témoignages dans plusieurs langues, issus principalement d'Europe et d'Amérique latine. 

Quant à Charlotte, elle s’est aujourd’hui réfugiée dans la peinture et l’écriture. Ses études en psychologie puis sa formation à Lyon en art-thérapie à IFORTPSY l’ont particulièrement aidée à trouver sa voie. La créativité l’a aidée à lâcher-prise. “Quand vous vous retrouvez face à une toile blanche, le mental se tait”. Sur la toile du salon, seul le visage d’un personnage central, une femme, reste à achever. 

 

Mise à jour du 8 avril 2024 :

Après la publication de notre article le 13 février 2024, les Témoins de Jéhovah France ont souhaité nous rencontrer pour discuter de leurs pratiques et leurs croyances. Par la suite, l'organisation nous a fait parvenir un droit de réponse que nous publions, comme la loi l'exige. 

Les Témoins de Jéhovah de France souhaitent réagir à cet article, en précisant qu’ils ont eu l’occasion de rencontrer la journaliste qui l’a rédigé, avec laquelle ils ont eu un échange constructif.

Voici leurs remarques :

Nous ne pouvons ni ne voulons porter un jugement sur les sentiments d’une personne. Cependant, contrairement aux affirmations de l’article, à l’échelle internationale, des expertises universitaires ont conclu que les Témoins de Jéhovah « sont pleinement intégrés dans la société », qu’ils « contribuent à la croissance, à la cohésion et à la prospérité de la société de bien des manières » et qu’ils « ne sont pas sectaires ».

De plus, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), dans l’affaire Témoins de Jéhovah c. Russie, (no. 302/02), a constaté que (1) « les membres de la communauté…adoptent les doctrines et les pratiques des Témoins de Jéhovah de leur plein gré », que (2) il n’y a aucune preuve qui soutient l’allégation selon laquelle « les droits des enfants Témoins de Jéhovah ont été violés sur le fondement que les textes bibliques […] font d’eux des parias » (§§ 123-127) et que (3) « rien ne prouve que les fidèles aient été soumis "à des pressions psychologiques, des techniques de ‘contrôle mental’ et à une ‘discipline totalitaire’". À l’échelle internationale, des expertises universitaires ont conclu que les enseignements des Témoins de Jéhovah sont « marqués par une plus grande liberté de choix et de décision individuelle ».

Les Témoins de Jéhovah ne tolèrent aucune forme d’abus sur enfant. Des experts de la protection des mineurs ont confirmé que les Témoins de Jéhovah sont une organisation « sûre pour les enfants ». Pour eux, leur politique de protection des enfants et les dispositifs mis en œuvre « reflètent réellement le fort engagement en faveur de la protection des enfants ». Leur politique de protection des enfants, disponible dans des dizaines de langues sur leur site jw.org, indique clairement que lorsque les anciens ont connaissance d’une accusation d’abus sur enfant, ils consultent immédiatement le siège national des Témoins de Jéhovah pour être certains de se conformer aux obligations légales de signalement. En France, il est devenu obligatoire de signaler les allégations d'abus sexuels sur enfant aux autorités de l'État en 1994. Les ministres du culte (les anciens) se conforment entièrement à ces exigences légales. Aussi, les anciens informent clairement la personne à l’origine de l’allégation d’abus sur enfant de son droit absolu de signaler les faits aux autorités.

Si une personne est renvoyée de chez les Témoins de Jéhovah, ou si elle choisit de renoncer à sa foi, chaque membre de la communauté décidera selon sa conscience religieuse des contacts sociaux qu’il aura avec cette personne après avoir réfléchi aux commandements bibliques contenus en 1 Corinthiens 5 :11-13 et 2 Jean 9-11. Rien ne change dans les relations des membres d’une famille vivant sous le même toit. »

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