L'association de malades France Lyme a annoncé jeudi 12 novembre avoir porté plainte contre le Conseil de l'ordre des médecins du Rhône et plusieurs médecins conseils de Caisses d'assurance maladie, accusés d'avoir constitué des fichiers de patients à l'insu de ces derniers.
Cette plainte pour « violation du secret médical, constitution illégale de fichiers à caractère médicaux et mise en danger délibérée d'autrui » a été déposée devant le procureur de la République de Lyon par Me Thomas Benages, l'avocat de l'association, précise France Lyme dans un communiqué. Cinq des six caisses d’assurance maladie concernées se trouvent dans la région : le Rhône, la Loire, l'Isère, la Savoie, de la Haute-Savoie auxquels s’ajoute le Languedoc-Roussillon.
Une chasse aux sorcières ?
Selon l'association France Lyme, l’une des principales associations représentante des malades, ces médecins ont utilisé des données médicales provenant d'organismes d'assurance maladie et constitué des fichiers à caractère médical à l'insu des malades « dans le but de lancer, en dehors de tout cadre légal, une action à l'encontre du Pr Paul Trouillas », a-t-elle déclaré à l’AFP. Ce neurologue lyonnais prend en charge des formes neurologiques graves de la maladie de Lyme transmise par les tiques (paralysies, troubles cognitifs majeurs). Pour le spécialiste, cela ne fait pas de doute : « Je fais l’objet d’une agression organisée et caractérisée. Une action d’autant plus scandaleuse qu’à travers moi, c’est aux malades chroniques que l’on s’attaque sans d’ailleurs reconnaitre les formes graves de la maladie. »
Dans son communiqué, France Lyme se demande si « ces organismes peuvent [utiliser] les données médicales des assurés, sans leur accord, afin de lancer des procédures disciplinaires, assimilables à des chasses aux sorcières, à l’encontre des médecins qui soignent ces mêmes assurés. »
Pour l’association France Lyme, « cette action vise à contester les prescriptions du Pr Paul Trouillas qui respectent pourtant les recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé (HAS) de juin 2018 », assure Stéphanie Clerc, la responsable régionale en Auvergne Rhône-Alpes. Selon France Lyme, l’assurance maladie « souhaiterait que soient appliquées les recommandations officieuses de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) qui diffèrent de celles de la Haute autorité de santé (HAS) autorité publique indépendante. Les infectiologues sont convaincus que l’utilisation prolongée des antibiotiques sur les malades chroniques ne peut être tolérée. » Aux yeux de France Lyme, la Spilf refuse de reconnaître la version chronique de cette maladie complexe et de ses co-infections.
La controverse autour des « antibiotiques répétés »
La polémique gronde depuis une demi-douzaine d’années entre tenants de traitements antibiotiques dans la durée (médecins proches de France Lyme dont le Pr Trouillas) et tenants de traitements courts n’excédant pas trois semaines (les infectiologues au sein du Spilf).
La controverse avait connu une accalmie de courte durée en juin 2018 lorsque « la Haute autorité de santé avait recommandé l’inscription de l’usage des antibiotiques de manière répétée sur les formes chroniques et neurologiques des malades Lyme selon les recommandations de bonne pratique », rappelle Me Benages, spécialiste de droit public et droit de la santé.
Les médecins traitants dans le collimateur ?
C’est la convocation en avril 2020 du Pr Trouillas, neurologue devant la chambre disciplinaire de 1ere instance de l’Ordre régional des médecins du Rhône, qui a mis le feu aux poudres. Les nombreux médecins généralistes qui suivent des patients chroniques de Lyme ainsi que ces derniers y ont clairement vu un signal d’alerte. Le neurologue se voit reprocher des pratiques médicales « non conformes aux données actuelles de la science ». Contre lui, sont exhibés des dossiers à charge transmis par plusieurs caisses de sécurité sociales (la Loire, le Rhône, l’Isère et les deux Savoies), ceux de 37 patients au total qui suivent un traitement antibiotique de manière « répétée ».
« En agissant de la sorte, la CPAM n’a pas respecté les recommandations de la Haute autorité de santé, c’est du pain béni pour nous ! », ne manque de relever Stéphanie Clerc, membre du conseil d’administration de France Lyme.
Violation du secret médical, et suspicion de création de fichiers médicaux illégaux
Transmis sous la même forme, rédigés dans les mêmes termes, envoyés à la même date, les courriers à charge contre le Pr Trouillas sèment le doute. Pour Me Benages, « il ne fait pas de doute que les informations ont été partagées, mais ce qui pose problème, c’est la constitution de fichiers à partir de dossiers médicaux dans le seul but serait d’intenter une action à l’encontre d’un médecin dans un contexte disciplinaire. Donc un objectif contraire à ce que dit l’article 1110-4 -1 du Code de la santé publique. »
Et l’avocat de pointer du doigt un risque d’atteinte à un droit fondamental du citoyen. « Au travers de notre action, nous voulons également informer tous les malades et les médecins de la possibilité d’utiliser leurs données médicales sans leur autorisation à des fins de création de documents dans le but de poursuivre des médecins qui prodiguent des soins à leurs patients. »
France Lyme dénonce aussi l’attitude « des conseils de l’ordre de médecins et des médecins conseil de la CPAM qui se battent sur des recommandations non officielles alors que la Haute autorité de santé autorise ces traitements au long cours depuis juin 2018, date à laquelle la HAS avait édité une recommandation de bonne pratique. » Et ce d’autant plus que dans quelques semaines, en décembre 2020, « la Haute autorité de santé a prévu de faire évoluer ses recommandations pour les rendre totalement applicables, au travers d’un Plan national de soins (PNDS) sensé indiquer clairement le protocole de soins », ici l’emploi de manière répété des antibiotiques pour les malades chroniques et souffrant de formes neurologiques tardives de Lyme.Et l’avocat de pointer du doigt un risque d’atteinte à un droit fondamental du citoyen. « Au travers de notre action, nous voulons également informer tous les malades et les médecins de la possibilité d’utiliser leurs données médicales sans leur autorisation à des fins de création de documents dans le but de poursuivre des médecins qui prodiguent des soins à leurs patients. »