"Une page se tourne", le centre-ville de Lyon se vide de ses commerces historiques

Depuis quelques mois, des enseignes historiques ont fermé leurs portes dans la presqu’île de Lyon. Ce sont des commerces indépendants qui disparaissent dans ce centre-ville qui accueille des centaines de boutiques. Les raisons de ces fermetures sont variées. Malgré tout, l'association de commerçants veut rester vigilante.

"L'Homme d'Osier", le plus vieux commerce de la capitale des Gaules, a fermé il y a quelques mois. Puis ce fut "Villa Borghese", avec ses devantures noyées de bouquets artificiels. À quelques centaines de mètres à peine. À présent, c'est le chausseur Adrien qui se prépare à tirer le rideau. Tout comme "Benoit Guyot", indéboulonnable commerce de décoration de la rue Zola. Quant au marchand de parapluies Crozet, il va disparaître paysage commercial lyonnais avec l'arrivée des beaux jours.

Au nord de la place Bellecour, les boutiques indépendantes semblent fermer les unes après les autres et s'effacer devant les enseignes de la fast fashion. La presqu'île de Lyon est-elle en train de changer peu à peu de visage ? Si pourcentage de commerces indépendants sur la presqu'île a bel et bien diminué ces dernières années, il est encore bien présent. 

"Une page se tourne"

"J'étais émue quand j'ai appris la fermeture. C'est ici que j'achète mes chaussures, depuis 1975 !" C'est le cri du cœur pour cette cliente. Ses parents venaient tout juste de prendre la tête de la boutique, confirme Valérie Parot qui a repris le flambeau voilà déjà trente ans. Elle s'apprête à présent à raccrocher. Faute de repreneur, le magasin de chaussures Adrien, rue du Président Herriot, va fermer ses portes. Les grandes affiches annonçant la liquidation totale du stock qui occulte les deux vitrines de la boutique sont incontournables.

Pour certains clients, c'est une institution lyonnaise qui ferme. "Quand on a vu ça toute sa vie, il manquera quelque chose. Adrien va nous manquer", assure un client. "On a des chaînes aujourd'hui. Ce n'est pas une grosse enseigne, c'est ce qu'on a aimé chez Adrien", assure une troisième cliente. "Ça faisait partie de Lyon, de la Presqu'île. Je me dis que pas mal de boutiques de ce type vont partir", s'inquiète une habituée. 

Et oui, c'est la fin d'une belle histoire. Il y a beaucoup d'amertume, mais il faut tourner la page.

Valérie Parot

gérante, chausseur Adrien

La fin d'une longue histoire sur plusieurs générations. Ses enfants ou ses neveux ne prendront pas la suite. "Tout le stock, je le connais par cœur. C'est mon grand-père qui a fait mettre ces étagères en 1931 et elles n'ont jamais bougé," explique Valérie Parot. La gérante se prépare à lâcher cette affaire, le cœur serré. Mais les temps ont changé. "C'est vrai que j'ai envie de pleurer, que mon cœur se serre (...) C'est une vie qui se tourne, on tire le rideau, comme d'autres l'ont fait. Aujourd'hui, on vit avec notre savoir et personne n'en veut, c'est trop compliqué, c'est trop fatigant", explique-t-elle avec amertume.

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"C'est vrai que j'ai envie de pleurer, que mon cœur se serre (...) C'est une vie qui se tourne, on tire le rideau, comme d'autres l'ont fait. Aujourd'hui, on vit avec notre savoir et personne n'en veut, c'est trop compliqué, c'est trop fatigant", Valérie Parot, gérante. ©France Télévisions

Saisons après saisons, l'enseigne, située depuis un demi-siècle à l'angle de la rue de la Poulaillerie, a vu défiler bien des clientes à la recherche du soulier dernier cri. Elles ont encore jusqu'à la fin du mois d'avril pour acheter une dernière paire de chaussures. La boutique familiale va fermer en avril, le temps de liquider le stock. Une nouvelle histoire s'écrira ensuite dans ce lieu, avec un maroquinier.

Bail, Bail

Même mise en scène chez Crozet, même fin de règne en jaune fluorescent. Les vitrines donnant sur le passage de l'Argue sont masquées par de grandes affiches colorées. En lettres capitales, trois mots, comme une sentence : "tout doit disparaître". Ombrelles, cannes, parapluies de Cherbourg, parapluies couture ou fantaisie tout comme les classiques Pigagnol made in Auvergne.

"C'est une institution à Lyon. Tous les parapluies s'achètent ici ! On est sûr de trouver un joli parapluie. Quand je suis venue ici la première fois, c'était avec ma maman, je devais bien avoir 6 ou 7 ans", confie Arlette, une cliente fidèle. Impossible pour un Lyonnais d'ignorer cette boutique d'à peine 30 m², souvent bondée le samedi. Elle trône depuis 1936 au centre du petit passage de l'Argue, dernier passage couvert de la ville. Chez Crozet, on y venait en famille, de génération en génération. On s'y passait le flambeau. Cette micro enseigne a longtemps fait la pluie et le beau temps dans l'univers du pépin. Des produits fiables pour affronter les intempéries. Mais dans ce petit paradis de la baleine, on ne se contentait pas de vendre des parapluies, on les réparait aussi. Un service impossible à trouver aujourd'hui malgré la tendance antigaspi.

Les gérants de la boutique avaient eu un vrai coup de cœur pour cette boutique reprise en 2009.

C'était une révélation. J'adore ce magasin, j'adore le produit, j'en suis tombée amoureuse (...) Mais je suis bien obligée d'en prendre mon parti. Au départ, j'avais acheté ce magasin pour toute une vie.

France Gisclon

gérante, Parapluies Crozet

Le couple a pris la suite de l'ancien gérant, en fin de carrière.  Aujourd'hui, ces artisans déchantent et ne cachent pas leur amertume. Ils vont devoir changer de voie.

Ce n'est pas la crise économique, ni l'inflation qui va emporter la maison Crozet. C'est un bail commercial non reconduit qui conduit à la perte de cette boutique. Une affaire simple, en apparence seulement. La bataille juridique de Lionel et France Gisclon dure en fait depuis 13 ans. Alors qu'ils ont repris la boutique en 2009, deux ans plus tard, le couple s'est vu notifier son congé, sans offre de renouvellement de bail. "On ne connaît pas le nom de nos propriétaires, on n'a jamais pu rentrer en contact pour négocier, pour essayer de partir avec un bon accord," confie Lionel Gisclon. 

Au gré des propriétaires successifs des murs, les Gisclon se sont retrouvés sans bail depuis cette date. Le couple a porté l'affaire en justice. Il a bien essayé de trouver l'équivalent dans le passage ou de faire reconnaître sa valeur. En vain jusqu'à présent. Le dernier épisode s'est déroulé devant la cour d'appel de Lyon en novembre dernier.  "En septembre 2011, on avait un congé de bail commercial disant qu'il fallait qu'on parte. On attend une indemnité d'éviction pour partir. On attend une notification de la justice, afin de tomber d'accord sur le montant de la valeur du droit au bail. Depuis 13 ans, on attend que la justice estime réellement la valeur de notre magasin (...) Le procès d'appel a eu lieu en novembre 2023. Le résultat devrait tomber fin mars ou début avril. Mais, quoi qu'il arrive, on devra partir", résume Lionel Gisclon.

Indépendants : tendance à la baisse ... du rideau

Bientôt le passage de l'Argue va perdre un peu de son ambiance rétro. Les parapluies Crozet doivent fermer mi-avril. Un crève-cœur pour beaucoup. Avec les derniers chapeliers du passage, le petit comptoir fait encore partie du monde d'avant. Cette enseigne historique va pourtant s'effacer à son tour. Les habitués croisés ce jour-là ne cachaient pas leur déception. Beaucoup n'y croient pas. Installé dans un angle du passage, le commerce continue malgré tout d'attirer une clientèle fidèle.

Après plus de 240 ans d'existence, entre l'église Saint-Nizier et la place des Terreaux, la plus vieille boutique lyonnaise a aussi disparu. Fondé en 1780, le magasin L’Homme d’osier, consacré à la vannerie et aux meubles en rotin, a définitivement fermé le 30 septembre dernier. Tout juste un an avant, une autre enseigne centenaire de la presqu'île fermait : le Vieux Crépin, installé rue Tupin. Si la boutique installée en 1895 vendait principalement du cuir et du matériel pour les cordonniers de la place lyonnaise, c'était une vraie caverne d'Ali Baba. Le dernier propriétaire de cette affaire familiale a pris sa retraite à 78 ans. 

La presqu'île de Lyon affiche une belle densité commerciale avec des centaines de boutiques. Mais ces derniers mois, le centre-ville a perdu plusieurs enseignes historiques, essentiellement des commerces indépendants. L'association My Presqu'île, qui fédère près de 400 commerçants indépendants du centre-ville, en fait le constat, mais tempère cette tendance. 

"On était à 60% de commerces indépendants. Là, on doit être à 56% (...) On a un turnover naturel de 10 à 15 % de commerces en presqu'île qui ferment ou qui partent. D'autres arrivent, la vacance en presqu'île est de l'ordre de 5 à 6%. Elle n'est pas importante (...) Il faut qu'on soit vigilant pour que la presqu'île conserve une qualité commerciale et artisanale et une qualité aussi," explique Clément Chevallier, président de My Presqu'île.

Cette diminution des commerces indépendants a débuté voilà près de cinq ans, selon Clément Chevallier. Au mouvement des gilets jaunes, a notamment succédé la crise Covid. Plusieurs facteurs sont en cause pour expliquer cette tendance, selon ce dernier. "Ce qui est inédit, c'est plutôt la conjonction de facteurs post-COVID : inflation, PGE à rembourser, des commerçants anciens qui partent en retraite sans avoir trouvé de successeurs et la question des loyers, importants en presqu'île", énumère le représentant.

"Il y a des changements importants dans les modes de consommation depuis quelques années et il y a sans doute aussi une pression sur les loyers qui est importante. Quand les bailleurs souhaitent réévaluer les loyers, cela peut entraîner le départ du commerçant", assure-t-il. 

Renouvellement

Cette tendance à la disparition des enseignes parfois centenaires est-elle inquiétante ? Pour Clément Chevallier, les boutiques se renouvellent en s’adaptant avec les demandes. Si les fermetures s’enchaînent, les locaux ne restent pas vides très longtemps. En effet, facile de constater que l'Homme d'Osier a laissé place à un chocolatier de renom. Une installation éclair d'un indépendant.

Il y a encore beaucoup de commerçants indépendants en presqu'île. De l'ordre de 50 à 60%. C'est triste de voir des commerçants emblématiques partir, mais chaque cas est particulier. On souhaite conserver une mixité commerciale en presqu'île.

Clément Chevallier

directeur de My Presqu'île

 

Pourtant, la mairie de Lyon affirme être préoccupée par ces fermetures. Contactée, elle souhaiterait que l’État agisse pour créer un encadrement des loyers commerciaux.  "L'idée est d'avoir, en fonction des différents territoires, des niveaux de loyer qui soient définis et plafonnés. Des loyers qui soient raisonnables et soutenables pour les commerçants", a indiqué Camille Augey, adjointe au maire de Lyon, en charge du commerce. La proposition est défendue depuis fin 2022 par d’autres municipalités comme Lille ou Paris.

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