Dans l'atelier-boutique de l'illustratrice Mariette Guigal trône une authentique presse d'imprimerie des années 60. Une machine d'enfer que l'artiste a apprivoisée avec le temps et beaucoup de patience. Particularité : c'est une Heidelberg, véritable Rolls des presses d'imprimerie.
Formée à l'école des Beaux-Arts, Mariette Guigal est très attachée aux anciennes techniques de création et aux machines anciennes d'imprimerie. Dans son atelier-boutique de la rue Saint-Polycarpe, à Lyon, elle en possède deux, impeccablement entretenues. Cette Ardéchoise d'origine est illustratrice et imprimeur typographe. Entre sa presse d’imprimerie et la production assistée par ordinateur, elle utilise toutes les techniques au service de son art.
La presse Heidelberg ou la tentation du Diable
Tout au fond de l'atelier, un massicot géant, bleu-gris caractéristique des machines de l’époque, arbore d'impressionnants rouages. Mais au centre de la pièce principale, c'est une imposante et authentique presse d’imprimerie Heidelberg qui trône en majesté. Une machine datant des années 60. Un imprimeur lyonnais en a fait cadeau à Mariette. Et le pacte était clair : elle devait prendre place au coeur de l'atelier-boutique installé au bas des pentes de la Croix-Rousse. Une histoire de coeur selon l'illustratrice.
Je pense que ce monsieur avait un attachement particulier à cette machine ; ça lui faisait plaisir qu'elle soit visible et peut-être de passer de temps la saluer à travers la vitrine.
Mais cette presse typographique est loin d'être une pièce de musée. La vieille dame n'a pas encore pris sa retraite et Mariette Guigal l'utilise toujours. Comme on peut l'apercevoir de l'extérieur, certains n'hésitent pas à pousser la porte de l'atelier pour la voir fonctionner. La rutilante septuagénaire attire souvent les curieux et les anciens du métier, un brin nostalgiques. Souvenir de jeunesse. "La presse fait entrer beaucoup de monde dans l'atelier, les anciens imprimeurs viennent y jeter un coup d'oeil, les gens qui ont travaillé avec aiment bien venir la saluer..." Et les enfants ne sont pas en reste, friands d'explications mécaniques.
"La Rolls des presses d'imprimerie"
Pour Mariette Guigal, apprendre à se servir de cette machine ancienne n'a pas été simple. Formée à la gravure, elle s'est lancée dans l'aventure de l'impression voilà une dizaine d'années. Non sans mal.
Je me suis formée toute seule, je me suis procurée le manuel du conducteur de machine sur internet, j'ai gâché beaucoup de papier, j'ai souvent piqué des crises de nerf mais je l'ai apprivoisée. On travaille bien ensemble maintenant !
Elle est ancienne mais n'est pas si rare. Concentré d'innovations, la presse Heidelberg a été fabriquée à grande échelle tout au long du XXe siècle qui a eu son heure de gloire. "C'était une presse mécanique à moteur, qui avait une prise de papier automatique. C'était un énorme progrès pour les imprimeurs. C’est une machine qui a été beaucoup appréciée, qui était rapide, fiable. Comme le disent souvent les anciens imprimeurs, c'est la Rolls des presses d’imprimerie," explique Mariette Guigal. "Tous les gens qui ont travaillé avec cette presse ont un rapport affectif et affectueux avec elle", confie l'illustratrice.
Machine d'enfer et rythme infernal
Le mouvement est soutenu, à chaque feuille de papier aspirée par la machine, comme une respiration. La machine qui avale les feuilles de papier et les recrache une à une, à un rythme infernal, semble animée d'une vie propre. A l'origine, la presse Heidelberg était destinée à imprimer en grandes quantités, des cartes de visites, des publicités ou encore des papiers à lettres.
Mariette Guigal l'a un peu détournée de sa fonction première pour pouvoir l'utiliser à son gré et donner libre cours à ses créations. Elle est équipée pour l'impression à l'encre mais aussi pour réaliser de la dorure à chaud. Aujourd'hui, c'est un poulpe roc bleu et ses poissons métallisés qui sont fixés sur l'épais papier.
Si la presse typographique se plie à la volonté de sa propriétaire, elle impose aussi ses contraintes à l'illustratrice. "Ces contraintes techniques vont déterminer l'apparence de l'illustration. C'est une presse qui imprime une seule couleur à la fois ; cela va m'obliger à avoir une illustration assez stylisée, à limiter le nombre de mes couleurs".
Et le papier prend vie...
Et l’impression en creux ainsi obtenue donne vie au papier. Pour obtenir cet effet, la presse maltraite le support du dessin : "C'est une presse qui va imprimer grâce à un cliché en relief qui est extrêmement dur. Elle va appliquer énormément de pression. Elle va mordre un peu le papier. C'est cet aspect particulier qui m'a plu et m'a fait venir à cette technique. On a une présence du papier qui est mise en évidence par la presse et par l'écrasement causé par la pression".
L'illustratrice a connu les évolutions de ce milieu artistique, complètement bouleversé par l’arrivée des ordinateurs et des outils numériques de production. Très attachée à sa presse traditionnelle et à son tablier d'imprimeur, elle aurait pu rester fidèle aux méthodes classiques, crayon et papier, gouache et aquarelle. Mais elle n'a pas hésité à utiliser les outils numériques.
C'est le travail d'impression qui donne vie à son dessin : "L'impression me permet de donner corps à l'illustration. Tant qu'elle est dans une tablette ou un ordinateur, ça reste un fichier numérique qui n'a pas d'existence propre. Le travail de la presse permet d'en faire un objet qui existe en 3 D, qu'on peut toucher, manipuler, conserver".
Pourquoi "diable" ?
C'est un souvenir d'enfance qui a donné son nom à l'atelier-boutique de Mariette Guigal : "Diable ! petite manufacture". "Quand j’étais petite, explique Mariette, mon père faisait un origami en forme de diable pour nous amuser, ma sœur et moi." Un pliage d'origami qui laissait apparaître une tête de diable lorsque l'on soufflait dessus. Et puis “diable”, c’est aussi le surnom que l’on donne aux enfants polissons et trop remuants. Avec sa soeur graphiste, Mariette ouvre en 2014 cet atelier-boutique.
Les dessins délicats de Mariette Guigal qui ont pour thème la faune et la flore, rendent hommage aux planches des naturalistes donnent à son atelier des allures de cabinet de curiosités. On peut retrouver ses créations sur son site internet et son compte Instagram @diable.petite.manufacture.