Mineurs transgenres. Bloqueurs de puberté, chirurgie, soutien psy : 5 regards sur la proposition de loi LR examinée au Sénat

Une jeune femme trans, un médecin spécialisé, un père de famille, un sénateur LR et la co-présidente de l'association Trans Santé France s'expriment sur la proposition de loi LR présentée au Sénat et visant notamment à attendre deux ans avant la prescription de bloqueurs de puberté pour les mineurs transgenres.

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"Ces jeunes, souvent en souffrance, doivent avoir le temps de mûrir leur décision avant de se lancer dans des parcours irréversibles, longs et difficiles" cette phrase introduit la proposition de loi portée par la sénatrice du Val d'Oise Jacqueline Eustache Brinio et examinée ce 28 mai 2024 au Sénat.

Ce que dit le texte

La proposition de loi des sénateurs LR, interdisait "la prescription de bloqueurs de puberté et de traitements hormonaux tendant à développer les caractéristiques sexuelles du genre auquel il s’identifie, avant leur majorité", les sénateurs ont amendé le texte après de nombreuses accusations de transphobie.

Ils souhaitent désormais "permettre la prescription des bloqueurs de puberté aux mineurs dans des centres de référence spécialisés listés par arrêté et dans le respect d’un délai minimal de deux ans après la première consultation et la vérification par l’équipe médicale de l’absence de contre-indication comme de la capacité de discernement du patient".

"Il proscrit également la possibilité de pratiquer des opérations chirurgicales de réassignation sexuelle sur des mineurs. Parallèlement, les sénateurs proposent la mise en place d’une stratégie nationale de soutien à la pédopsychiatrie, car il est indispensable que les jeunes en souffrance puissent bénéficier d’un soutien, d’une écoute et d’un accompagnement psychique. Le Sénat s’oppose au principe d’un acte irrévocable pour les mineurs".

L’article 2 de la proposition de loi fixe les sanctions pénales qui correspondent à la violation de ces interdictions. Il les réprime d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, ainsi que de la peine complémentaire d’interdiction d’exercer pendant dix ans au plus.

Les bloqueurs de puberté, de quoi parle-t-on ?

Un enfant qui s'interroge sur son genre et présente des signes d'"incongruence de genre" c’est-à-dire un mal-être en tant que garçon se sentant fille ou l'inverse, entre dans un parcours de soins complexe faute de professionnels formés. Après plusieurs mois d'attente dans le public, il peut entrer dans un long parcours au bout duquel différents types d'accompagnements sont proposés. Parmi les pistes possibles : la prescription de bloqueurs de puberté. Il s'agit de prendre des médicaments qui vont stopper la production naturelle d'hormones sexuelles permettant à l'enfant ou à l'adolescent de prendre le temps de la réflexion sur son identité ou apaisant ses souffrances de voir apparaître les premiers signes pubertaires. La très grande majorité des jeunes trans en restent à une transtion sociale ( changement de prénom, apparence et style vestimentaire en adéquation avec le genre vécu). 

En France, 11% des jeunes accompagnés dans une transition de genre ont eu accès à des bloqueurs de puberté, après un délai moyen de 10 mois entre la première consultation et la mise en place du traitement, selon la Défenseure des droits qui a alerté sur ce texte estimant que :"l’interdiction des transitions médicales pour les mineurs, est susceptible d’entraver l’exercice de leurs droits ainsi que la poursuite de l’intérêt supérieur de chaque enfant".

Cette proposition de loi intervient tandis que la Haute autorité de santé mène un travail depuis plusieurs mois pour présenter des préconisations et tenter d'améliorer les parcours de soins des personnes trans et notamment des mineurs de plus de 16 ans. Pour tenter de comprendre nous avons sollicité cinq personnes directement concernées par ce texte.

Liz, 19 ans, jeune femme Trans

"J'ai commencé mon traitement vers mes 16 ans, car prendre une douche était devenu insupportable". Liz accepte volontiers de partager son parcours, car selon elle "la proposition de loi LR sur la prise en charge des mineurs trans donne de la force à certaines idées nauséabondes". Son point de vue est étayé par son expérience personnelle. "On présente les choses comme si les trans étaient le problème, mais quand on veut avancer, personne n'est formé !", regrette-t-elle. "Pour moi, c'était devenu une torture de me voir et de me présenter avec une apparence masculine. Ne pas être exposée du tout à une puberté masculine ça m'aurait permis de vivre tout cela beaucoup mieux. Je ne supportais même plus ma voix, alors je ne faisais plus grand-chose et je me recroquevillais, je me suis isolée avant de finir par plusieurs allers/retours en hôpital psychiatrique. Les délais d'attente quand on est dans cet état-là sont abominablement longs pour être pris en charge, alors j'ai eu la chance de passer par le privé. Au bout de cinq mois de séances fréquentes avec des médecins formés, j'ai pu mieux me comprendre, et ne pas tout mettre sur la transidentité. Ce n'est pas une maladie mentale, mais c'est accompagné de troubles, et je trouve ça logique quand on a passé des années à se cacher ou à avoir peur de décevoir et d'être rejetés. Si certains parlent d'une mode ou d'une lubie des adolescents entretenue par les réseaux sociaux, Liz réagit en souriant : "J'en parle depuis que j'ai 9 ans, et à 5 ans ma mère me dit que je demandais déjà à me faire genrer au féminin, alors c'est un peu long pour une lubie, vous ne croyez pas ?"

Nicolas Morel Journel, chirurgien au CHU de Lyon

Le Dr Morel Journel est connu partout en France où il a contribué à former de nombreux confrères. Dans son service, de l'hôpital Lyon Sud, il faut parfois attendre trois ans pour dégager une date d'intervention. Une réalité qui lui vaut des accusations "de la part des milieux conservateurs et réactionnaires qui me traitent de vendu en affirmant que je fais mon beurre sur les trans. Je rappelle que je travaille pour le service public et que 50% des autres opérations que je pratique sont des reconstructions. Il y a selon le Dr Morel Journel un courant transphobe et réactionnaire réel. Il insiste sur le fait que les bloqueurs de puberté ne sont pas des traitements nouveaux, mais sont utilisés depuis plus de trente ans, dans les cas de puberté très précoces notamment mais aussi dans le traitement de certaines pathologies. "On connaît ce traitement il a très peu d'effets secondaires et c'est tout à fait réversible. Les patients trans se suicident 40 fois plus que les autres à cause de leurs souffrances intérieures et de la transphobie. Les bloqueurs apaisent et réduisent les tentatives de suicide. Il y a donc des arguments scientifiques et forts qui nous prouvent que ces prescriptions sont utiles et ne doivent pas être interdites."

Nicolas Morel Journel regrette que le rapport des sénateurs cite une étude participative sur internet pour aborder l'augmentation du nombre de mineurs qui ont regretté leur transition. "C'est impossible de savoir qui a répondu" estime-t-il. "Ce n'est pas de la science, c'est de l'opinion". Le médecin lyonnais fait partie d'un groupe de travail d'une trentaine de spécialistes, d'avis et de méthodes différents. Ils doivent formuler des recommandations auprès de la Haute Autorité de Santé. Leurs conclusions et les positions de la HAS sont très attendues pour poser un cadre pour la prise en charge des ados transgenres.

Étienne Blanc Sénateur LR du Rhône

Étienne Blanc, sénateur LR du Rhône, fait partie du groupe de parlementaires qui présente la proposition de loi devant l'Assemblée nationale. "À l’issue de rencontres avec 67 experts français et internationaux, tous concernés par cette thématique, et rendant compte de tous les points de vue" les sénateurs ont formulé 16 préconisations. Parmi elles, l'interdiction de pratiquer des opérations chirurgicales de réassignation sexuelle sur des mineurs, un point de vue que partage pleinement le sénateur Etienne Blanc. Il reste qu'en France la chirurgie pelvienne d’affirmation n’est pas pratiquée avant 18 ans, compte tenu de son caractère irréversible et de son impact sur la fertilité. Toutefois, des interventions mammaires, torsoplasties, sont pratiquées, après une période d’hormonothérapie et souvent quelques mois avant la majorité. Selon les données du PMSI (chiffres officiels des établissements de santé) 48 séjours hospitaliers avec un diagnostic principal de "transidentité" ont concerné des mineurs en 2020. Un chiffre faible et pas forcément associé à une intervention chirurgicale mais suffisant selon le sénateur Etienne Blanc pour poser une limite législative "afin de se prémunir que cela arrive". L'élu "rejoint le texte de loi sur l'urgence et la nécessité d'un meilleur accompagnement psychologique des mineurs concernés", il ne défendait cependant pas l'idée d'une interdiction des bloqueurs de puberté. "Le moins qu'on puisse dire c'est que ce sujet ne fait pas l'unanimité dans le monde scientifique" estime-t-il. "C'est incontestable que ces adolescents sont dans des situations très lourdes et face à cela, nous devons faire preuve d'humilité car c'est éminemment complexe. Par principe, quand j'ai vu le texte, je me suis dit que Jacqueline Eustache Brinio avait raison de le porter ainsi. Mais c'est une question sur laquelle une décision brutale peut avoir de lourdes conséquences, nous devons être humbles". C'est pourquoi un délai de deux ans nécessaires avant prescriptions dans des centres de références a été ajouté dans la proposition, mais soutient la position d'un nécessaire encadrement de meilleure qualité pour les prescriptions et les parcours de soins.

Béatrice Denaes, coprésidente de Trans santé France

Béatrice Denaes a été sollicitée par le groupe de sénateurs LR à l’origine de la proposition de loi. Elle estime que son audition n'a pas été prise en compte du tout dans les 16 préconisations retenues. Voici ce qu'elle soulignait dans sa réponse aux questions des parlementaires :

"Être un jeune trans serait-il un crime qui nécessite une loi l’interdisant et promouvant, sans le dire clairement, les thérapies de conversion pour le remettre « dans le droit chemin » ? Quel mal un jeune trans fait-il à la société ? Les homosexuels ont vécu ce même rejet législatif jusqu’en 1982"

Selon elle l'ajout d'un délai minimum de deux ans ne constitue pas une avancée du texte législatif proposé. "Quand le jeune vient consulter il est déjà dans l'urgence, bien évidemment que nous ne préconisons pas de prescrire ces traitements à la légère. Mais deux ans, pendant la puberté c'est déterminant. Cela revient finalement à interdire l'accès des bloqueurs à ceux qui en ont le plus besoin. Ce qui nous choque c'est que ce texte nous met au même rang que la Russie, on veut imposer par la loi un mode de fonctionnement à des médecins."

Dans sa réponse aux sénateurs, Béatrices Denaes souligne justement que "les structures et les spécialistes sont trop peu nombreux avec des délais de prises en charge inhumains et dangereux. Une stratégie de développement de la pédopsychiatrie est évidemment souhaitable, mais dans un esprit de bienveillance et de respect des différences".

En effet selon le rapport le plus récent sur la santé des personnes trans remis au ministre de la santé en 2022, "les mineurs et leurs parents sont aussi,voire plus, démunis que les adultes trans pour trouver à qui s’adresser ; trouver un psychologue, un psychiatre ou un endocrinologue accessible, bienveillant et formé relève de l’impossible dans certaines régions, d’où de l’errance, de l’urgence et des suivis qui se font parfois dans des services distants de plusieurs centaines de kilomètres du lieu de vie des jeunes".

Pour Beéatrice Denaes : "il faudrait un grand plan de formation et d’incitation en faveur de la pédopsychiatrie, de l'endocrinologie et de la psychologie, notamment avec une meilleure connaissance des transidentités. Il convient également d’associer les médecins généralistes, médecins de premier recours, proches de leurs jeunes patients et de leurs parents".

Jacques, père d'un enfant Trans

L'association Transparents, réunit des familles d'enfants, adolescents ou jeunes hommes et femmes transgenres, ses membres sont mobilisés pour tenter de créer les conditions d'un débat plus apaisé. "Nous avons formulé nos positions au rapporteur du projet de loi, en espérant être entendus", explique un des membres de l'association qui préfère rester anonyme pour protéger l'identité de son enfant et ne pas l'exposer à une éventuelle violence, notamment en ligne. "Le débat nous effraie beaucoup" explique-t-il. "On s'apprête à créer des fractures. Nous, familles, on a besoin de solutions concrètes et constructives. On comprend les peurs, et nous reconnaissons que le mal-être de la jeunesse va bien au-delà des questions de genre. Mais vu la complexité des parcours d'accompagnement aujourd'hui, ceux qui confirmeront leur besoin de transition en ont vraiment besoin, il faut leur proposer des réponses. Nous n'avons jamais vu de dérives de médecin qui pour ceux que nous connaissons appliquent les recommandations de l'Organisation mondiale professionnelle WPATH. Pour nous, c'est un sujet de santé devant lequel il faut être humble et qu'il faut traiter avec humanité". C'est pourquoi il faudrait selon lui établir des recommandations et des parcours sécurisés, "la Haute autorité de Santé travaille sur le sujet avec des professionnels, laissons-la travailler", conclut-il.

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