Une nouvelle nuit sous tension a eu lieu dans le quartier de la Duchère à Lyon. Des échanges de tirs ont provoqué la mort de deux hommes. La piste du règlement de comptes est privilégiée. Les riverains oscillent entre un sentiment d'inquiétude et de résignation.
Un soleil de plomb accable la Duchère. Bons nombre de volets sont fermés le long des barres d'habitation. La chaleur y est pour beaucoup, les évènements de la nuit dernière aussi.
Une nouvelle fois, les coursives des immeubles ont été le théâtre de violences mortelles.
"Je n'aime pas habiter là"
Derrière son masque anti-covid, Thérésa revient sur ce qu'elle a entendu la veille. "Hier soir à 23h30, je parlais au téléphone avec ma fille quand j’ai entendu comme des pétards "boum boum boum" très, très fort. J’ai regardé par la fenêtre et une deuxième fois, j'ai entendu comme des bruits de carabine, très fort et beaucoup. J'ai vu qu'il y en avait un allongé et il y avait du sang. Après, je ne sais pas, dit-elle, j’ai téléphoné à la police et ils sont passés mais beaucoup plus tard."
Elle reprend son récit, rapidement, "Je crois qu’il était mort car il ne bougeait plus et il y en a un autre qui criait "son cerveau est sorti, son cerveau est sorti". Quelqu’un a balancé un drap et ils ont couvert le corps."
Cela fait 20 ans que Thérèsa habite la Duchère, elle rêve de partir vivre ailleurs. "Je cherche un appartement, je ne supporte plus mais c’est dur à trouver. Je demande un autre logement depuis des années, on ne me propose rien."
Thérésa poursuit avec une note de fatalisme dans la voix, "je n’aime pas habiter là, c’est sale et il y a du bruit. On ne se parle pas beaucoup entre voisins, tous mes amis sont partis."
Trop de scènes choquantes
Théodore Ali, habite aussi le quartier. Il croisait sans les connaitre, les victimes décédées dans la fusillade. Il a de la peine pour les familles, les victimes sont jeunes et il pense à ses propres enfants. "On a des enfants en bas âge, ma fille aujourd’hui, elle ne voulait pas aller à l’école, elle ne voulait même pas descendre. Elle m'a demandé "est-ce qu’ils ont emmené le corps?". Elle a été traumatisée, pourtant on a rien vu mais juste tout ce qu’elle entend, elle emmagasine et puis après elle passe une nuit agitée. Aujourd’hui je l’ai gardé à la maison."
L'insécurité inquiète Théodore Ali, pourtant au quotidien, il reconnait qu'il n'y a pas de violence, ni de terreur. "Quand on rentre dans le quartier, dans l'immeuble, c’est vrai, ils sont courtois. Il faut dire la vérité, les enfants sont polis, ils aident les femmes quand elles sont chargées" explique Théodore Ali. "Après, reprend-il, comment ça se passe la nuit ? Est-ce que ce sont des gens qui viennent d’ailleurs ? Je ne sais pas".
Théodore Ali l'assure, il n'a jamais vu de trafic effectué devant lui, mais les faits divers qui s'enchaînent il aimerait s'en éloigner.
"Moi, personnellement, je voudrais déménager parce que ça mettra un temps fou pour que la Duchère soit sécurisée, pour que ce soit rétabli comme il faut. Il y a beaucoup de dégradations dans les escaliers, les ascenseurs. L’autre fois après le "fracassage" des bus, j’étais avec ma femme, les bus étaient détournés jusqu’à Écully. Et de Écully jusqu’à ici, on est venu chargé comme des mules" déplore-t-il.
"On est des chiens pour vous"
Alors que le maire de Lyon est interviewé par les médias locaux, une voix de femme s'élève. Une voix teintée de colère. "On est des chiens pour vous. Ils sont morts comme des chiens".
Les riverains ne s'étalent pas, ils parlent peu mais témoignent du temps qu'ont pris les secours pour arriver. "On a appelé quelques minutes après les tirs et les secours sont arrivés 45 minutes plus tard. Ils ne pouvaient pas venir, tant qu'ils n'étaient pas sécurisés par la police" explique un riverain avec amertume.
Prescillia est venue avec son bébé dans la poussette. Paradoxalement la Duchère ne l'effraie pas. "Je suis née ici, j’ai grandi ici, je n’ai pas peur. Je ne me sens pas menacée ici."
Didier, le père de Prescillia n'est pas aussi détachée que sa fille. "Je suis habitué à vivre ici explique-t-il, j’habitais déjà ici avant qu’ils démolissent la barre, car cette barre elle était plus grande avant. J’aimerais bien que ça se calme, que ça se passe mieux mais enfin y’a eu pire, dans les années 80, c’était infernal" conclut-il défaitiste.
Une cellule de soutien psychologique a été mis en place, à destination des habitants encore secoués par le double meurtre de la nuit dernière.