La maison Athos de Brison-Saint-Innocent, en Savoie, accueille des militaires victimes de traumatismes psychologiques. La structure offre une prise en charge non-médicale aux blessés psychiques pour leur permettre d'avancer sur le chemin de la reconstruction, entre rechutes et envie de s'en sortir.
"Depuis que je suis ici, je revis." Assis sur un banc, dans le jardin de l'ancien prieuré, David esquisse un rapide sourire lorsqu'il repense à son parcours. Chasseur alpin pendant 22 ans, l'ancien militaire a été mobilisé sur deux opérations extérieures, en Afghanistan. Des missions dont il est revenu indemne physiquement, mais gravement blessé psychiquement.
"J'ai rechuté en août 2021 quand Kaboul a été repris par les talibans. J'ai sombré dans des problèmes de sommeil", raconte-t-il d'un ton posé, pesant chacun de ses mots. "Je rêve régulièrement de ce que j'ai vécu en Afghanistan. Ca m'empêche de dormir ou ça me réveille."
Depuis plusieurs semaines, David est pris en charge au sein de la maison Athos de Brison-Saint-Innocent, en Savoie. Cette structure, inaugurée le 13 avril, est la troisième à voir le jour en France. Les militaires souffrant de blessures psychiques à la suite d'une opération y sont accueillis dans un cadre non médicalisé, en complément de leur parcours de soin.
"Ici, ils viennent dans un autre contexte, pour se reconstruire. Ils travaillent avec nous sur ce projet de reconstruction", explique René, directeur de la maison Athos de Brison-Saint-Innocent. Anciennement engagé dans les troupes de marine, une composante de l'armée de Terre, il a vu certains de ses hommes revenir traumatisés après des opérations en Bosnie ou en Afrique.
"C'est un travail de longue haleine, d'abord pour le blessé lui-même, note-t-il. Beaucoup ont du mal à se reconnaître eux-mêmes blessés. Il y a d'abord cette reconnaissance de la blessure, et ensuite la reconnaissance vis-à-vis de leurs pairs et de la société." Un parcours sinueux, semé de rechutes et d'embellies. Charge aux accompagnateurs de guider les blessés vers une guérison durable, notamment via des activités qui les aident à aller de l'avant.
Rompre l'isolement
David, lui, s'est pris de passion pour la cuisine. Chaque matin, il se lève le premier et prépare le café pour tout le monde. "Quand le directeur se lève, son petit-déjeuner est prêt. Il est tout content", sourit l'ancien militaire qui se verrait, à l'avenir, employé dans une maison d'hôtes. "Pourquoi pas ouvrir la mienne dans le futur", songe-t-il en détaillant de la volaille pour le repas du midi.
Randonner en montagne ou naviguer sur le lac du Bourget, à chaque blessé sa recette vers la guérison. Allongés sur l'herbe, une petite dizaine de membres de la maison Athos participent à un cours de yoga. Des exercices de respiration, de relaxation pour se réapproprier son corps.
"Le yoga permet d'expérimenter cette sensation d'être ici et maintenant, remarque Aude Chambru, professeure de yoga qui intervient régulièrement au sein de la structure. Le fait qu'ils soient là, ça fait partie d'un pas (…) Il y a une notion de solidarité vraiment forte entre eux. Ils sont en sécurité parce qu'ils appartiennent au même groupe."
"Ici, ils trouvent leur place et du bien-être, résume Xavier qui accompagne les militaires blessés psychiques. David, on l'a vu complètement recroquevillé sur lui-même. Aujourd'hui, il s'investit pleinement dans la vie de la maison (…) Il s'ouvre de plus en plus. Il retrouve cette confiance qu'il avait perdue."
Les pensionnaires viennent aussi chercher du lien social, rompre l'isolement induit par le traumatisme. "A l'armée, il y a une cohésion qu'ils perdent quand ils tombent malades et qu'ils retrouvent au sein des maisons Athos", souligne Xavier. "Plus tôt ces blessures invisibles sont prises en charge, plus tôt ils pourront en sortir. Ca peut aussi être très long pour certains. L'isolement accentue ces blessures."
Vivre avec une blessure "permanente"
Echapper au quotidien le temps d'une journée pour "remonter les marches de la vie", c'est l'objectif de Patrick. Ancien militaire au 13e Bataillon de chasseurs alpins (BCA) de Barby (Savoie), il a quitté l'institution après onze années de service. Traumatisé, il avait réussi à "remonter la pente" avant de rechuter fin 2018.
"Depuis ce temps-là, c'est encore plus difficile. Il faut être patient. J'ai appris à l'être. Parfois, ça peut aller. D'autres fois, malheureusement, ça ne va pas. Il y a quelque chose qui manque pour avoir ce regain d'envie", exprime l'ancien chasseur alpin qui aspire à retrouver le goût des choses simples. Ne serait-ce qu'une randonnée à ski entre amis. "On a tous des activités qu'on aime. Moi, c'était ça. Mais depuis, c'est difficile."
Difficile d'avancer un jour, puis de revenir sur ses pas le lendemain. Retrouver le sourire et s'effondrer quelques heures plus tard. "Cette blessure invisible, elle est permanente", décrit Patrick qui espère reprendre confiance en lui, avec l'aide de ses camarades. Trouver un nouvel horizon professionnel, aussi, pour finalement reprendre goût à la vie.
Les séjours à la maison Athos de Brison-Saint-Innocent sont intégralement pris en charge par l’armée dans un contexte d'évolution des mentalités au sein de l'institution. "La parole se libère davantage et il y a moins de honte à en parler", souligne le colonel Eric Deschamps, porte-parole adjoint de l'état-major des armées.
Les blessures psychiques sont reconnues comme étant des blessures de guerre depuis 30 ans. Quelque 2 800 militaires français affectés de blessures psychiques ont été recensés de 2010 à 2019, soit cinq fois plus que le nombre de blessés physiques.