Le vice-président de l'association Assistance et Recherche de Personnes Disparues assiste au procès de Nordahl Lelandais pour cerner la personnalité de l'accusé et voir s'il pourrait être impliqué dans d'autres disparitions dans la région. Rencontre au palais de justice de Chambéry.
Il est policier "encore pour quelques semaines", avant de prendre sa retraite. Et s'il a quitté le terrain, lui, l'ancien commissaire de police, il n'a pas renoncé aux enquêtes. Bernard Valézy a l'investigation chevillée au corps, au point de passer son temps libre à étudier les dossiers de personnes disparues, délaissées par la justice. Des "cold cases" que l'association Assistance et Recherche de Personnes Disparues, dont il est le vice-président, tente de faire émerger de l'oubli en menant elle-même des enquêtes à titre privé. Faire le travail du système judiciaire quand celui-ci semble faire la sourde oreille.
Depuis l'interpellation de Nordahl Lelandais dans le meurtre de la petite Maëlys, puis dans celui d'Arthur Noyer, certaines enquêtes sur des disparitions ont été relancées. C'était la mission de la cellule Ariane qui a travaillé sur une quarantaine de dossiers.
Une vingtaine de familles s'interrogent sur la piste Lelandais
Ce mercredi, au palais de justice de Chambéry, Bernard Valézy n'est donc pas venu assister au procès pour "cibler dans ces affaires de disparition Nordahl Lelandais", ni retracer son parcours de vie, déjà détaillé par la cellule Ariane, mais pour essayer de cerner la personnalité du maître-chien.
"Quelqu'un qui commet deux meurtres en aussi peu de temps, on peut se demander s'il n'y a pas eu des précédents. D'autant qu'il semble qu'il ait utilisé la même manière pour disposer des corps".
Nordahl Lelandais aurait-il pu tuer d'autres personnes dès 2011 ? Dès la disparition de Jean-Christophe Morin après une fête éléctro au Fort de Tamié, près d'Albertville ? Puis l'année suivante, lors de la disparition au même endroit et après le même événement, d'Ahmed Hamadou ?
"Comprendre son mode de fonctionnement"
"On a environ une vingtaine d’affaires, de famillles, qui ont demandé à ce que des pistes soient explorées. Pour certains dossiers, à la suite du travail qui avait été fait par la cellule Ariane, le lien avec Lelandais a d’ores et déjà été écarté, reste à voir sur quelle base il l’a été", déclare Bernard Valézy qui estime par exemple que le cas de la disparition de Lucie Roux a été rejeté par la justice alors que toutes les vérifications n'ont pas été menées.
"Il est intéressant de venir à un procès comme celui-ci pour des éléments de contexte. Il est clair que ce n’est pas ici que vont se régler les autres affaires. Ce qui peut matcher entre sa présence à certains endroits et certaines disparitions, on l’a déjà en stock, donc ça ne ressortira pas de ce procès. La seule chose qui est intéressante au cours de cette session d’assises, c’est les éléments de personnalité, de façon à mieux comprendre son mode de fonctionnement, si celui-ci s’exprime ou si à travers des témoignages, on peut avoir des éléments nouveaux qui ne sont pas encore connus à ce jour".
Lever des doutes, fermer des portes sur des hypothèses
D'autant que le contexte de la mort d'Arthur Noyer semble présenter des similitudes avec celui des disparitions de Jean-Christophe Morin et d'Ahmed Hamadou au Fort de Tamié. "Ce sont des personnes qui peuvent avoir été affaiblies dans leur capacité de discernement par la drogue ou par l'alcool, et qui sont susceptibles de faire du stop après une soirée", poursuit Bernard Valézy.
Faute d'avancées dans les recherches de leurs proches disparus, les familles se sentent démunies et à bout de souffle alors que leur fils, leur frère, leur cousin n'ont toujours pas été retrouvés. La piste de Nordahl Lelandais est une hypothèse comme une autre, ni plus ni moins. Mais il faut lever le doute. C'est pour cela que Bernard Valézy assiste au procès du trentenaire de Domessin.
Faire vivre ces dossiers est crucial pour relancer l'instruction. "C’est un travail que font les avocats avec les familles", ajoute Bernard Valézy. "On demande aux familles de porter plainte pour enlèvement et séquestration de manière à ce que les enquêtes soient reprises et qu’elles puissent demander des éléments d’investigation complémentaires".
Le combat pour la systématisation des investigations dès la disparition
Reste un problème de fond selon l'association ARPD : le fameux délai de 48 heures avancé par les forces de l'ordre avant de déclarer une personne majeure "disparue".
"Trop souvent, lorsqu’on a affaire à une disparition de majeur, l’hypothèse de base, sauf élément exceptionnel, c’est de dire qu’on est probablement face à une disparition volontaire ou éventuellement que c’est une affaire de suicide qui ne demande pas d’urgence et un jour ou l’autre, on retrouvera le corps".
Les investigations des premières heures peuvent être cruciales mais en raison de ce délai, des éléments de preuves sont perdus.
"Nous, ce qu’on propose pour toutes les disparitions de majeurs, c’est, au départ, d’enclencher une première batterie de vérifications systématiquement sans se fier éventuellement au caractère jugé inquiétant ou non inquiétant par les autorités parce que c’est quelque chose de subjectif".
"On demande que pour toute disparition de majeurs, une première enquête qui balayerait notamment la téléphonie, l’exploration des comptes bancaires, la vidéosurveillance, soit menée de façon à geler la situation et à pouvoir ensuite orienter l’enquête vers une piste éventuellement criminelle et ce dès le signalement de la disparition".
Ce combat, Bernard Valézy le raconte avec Agnès Naudin dans un livre intitulé "Avis de recherche, témoignages de familles de disparus", à paraître ce jeudi 6 mai 2021 aux éditions Massot.