La centrale hydro-électrique de Teles Pires, qui coupe une puissante rivière du bassin amazonien, suscite l'ire du peuple Munduruku. Ses membres estiment que ses droits et ceux d'autres peuples amérindiens ont été violés par Neoenergia, filiale brésilienne d’Iberdrola. Plusieurs autres barrages ont été construits dans le bassin de cette rivière du nord du Brésil. Alors, les guerriers Munduruku sont allés jusqu'à occuper un chantier pour faire entendre leurs voix. Quatrième volet d'une enquête réalisée sur la base de la documentation existante, d’entretiens réalisés par Splann!, première ONG d'enquêtes journalistiques en Bretagne.
Description de l'infrastructure
- Centrale hydro-électrique sur le fleuve Teles Pires, Amazonie, Brésil.
- Longueur du barrage : 1,65 km. Capacité : 1.820 MW. Zone inondée : 95 km². En service depuis 2015 - 2016.
- Implication d’Iberdrola : construit et géré par la Compagnie hydro-électrique Teles Pires, constituée par Neoenergia (51 %), filiale brésilienne d’Iberdrola, et par CGT Eletrosul (24,5 %) et Furnas (24,5 %).
Accusations de violation des droits des peuples autochtones Kayabi, Apiaká, Munduruku et peuples dits « non contactés »
Destruction de lieu sacré
Le consortium a détruit la cascade das Sete Quedas, lieu sacré des Mundurukus, des Kayabi et des Apiakás, reconnu comme tel par la Fondation nationale de l’Indien (Funai). Le fait que le caractère sacré de la cascade n'ait pas été pris en compte par le consortium et les pouvoirs publics est dénoncé par les Munduruku dans une lettre ouverte et rapportés par le tribunal régional fédéral et le journal The Intercept en 2017.
« Violation » d'un cimetière sacré et ancestral
En 2010, douze urnes mortuaires et des pièces archéologiques avec une dimension sacrée sont retirées d’un cimetière ancestral et placées dans un musée avec l’autorisation de l’Institut du patrimoine historique et artistique national (Iphan), mais sans consultation des Munduruku, ce qu’ils ont dénoncé dans une lettre ouverte en 2013. Le site du cimetière a été transformé en réserve archéologique mais il est entouré par les murs de la salle des machines et reste inaccessible aux Mundurukus, selon le site d'information Amazonia Real.
« La Convention 169 des Nations Unies garantit que nous serons consultés à propos de tout ce qui nous affecte. Mais nous n'avons pas été consultés pour le retrait des urnes. Ils [les compagnies, les corps institutionnels, la Fondation nationale de l'Indien, NDRL] n'ont pas la connaissance des shamans. Seuls les shamans savent quand, comment et où les urnes doivent être déplacées. »
Poxo Wayun, guerrière Munduruku , propos rapportés par le site d'information Mongabay , 2017
Recherches archéologiques sans consultation des Amérindiens
Les recherches archéologiques préalables aux travaux auraient été réalisées sans consultation des Amérindiens, en contradiction avec la convention 169 de l'OIT que l'Etat n'a pas fait respecter, rapporte la Revue de l'archéologie . Des artefacts importants n’avaient pas été rendus aux Amérindiens en 2019 , relate le site d'information Amazonia Real . En 2021, la Maison de la culture, qui doit recevoir les artefacts moins importants, n’avait pas encore été construite par le consortium dont fait partie Néoenergia.
C ontactée par Splann ! , la filiale brésilienne d’Iberdrola répond, sans rentrer dans le détail, que les artefacts auraient été récupérés en décembre 2019 par les peuples concernés.
Des Peuples autochtones pas consultés ou peu informés
Le consortium n’aurait pas respecté la tenue d’une réunion annuelle avec les indigènes, selon le site d’information Amazonia Real . Cette réunion, prévue par l’entreprise dans son Plan basique environnemental, doit les informer des actions d’atténuation et de compensation menées par le consortium pendant la phase de construction : le premier séminaire sur les résultats de ces actions n'a eu lieu qu'en mai 2017.
Il n’y aurait pas eu de consultation préalable des peuples indigènes organisée par les autorités publiques avec le consortium avant l’émission de la licence environnementale, selon le Forum Teles Pires (un réseau d'universitaires, de collectifs d'habitants impactés par les barrages, d'organisations indigènes, de pêcheurs et de paysans et autres mouvements sociaux).
Problèmes d’alimentation et d’accès à l’eau potable pour les autochtones
Raréfaction des poissons comestibles
Des témoignages d’autochtones recueillis par le Forum Teles Pires font état de poissons « maigres et malades » en raison de leurs difficultés à s’alimenter et de la qualité de l’eau depuis l’implantation de l’usine Teles Pires et d’une autre installation hydroélectrique sur le même fleuve, l’usine São Manoel. Une des explications possibles, d’après l'organisme indépendant : la destruction de la cascade, lieu de reproduction des poissons migrateurs, lors de la construction de l’usine Teles Pires. Avec pour conséquence une perte en autonomie alimentaire de ces Amérindiens.
L’eau du fleuve serait devenue « sale », « boueuse », impropre à la consommation depuis l’implantation de l’usine, selon les représentants des trois peuples autochtones entendus lors d’une audience judiciaire en 2020. L’insuffisance des puits installés depuis par les autorités pour répondre aux besoins en eau potable, a été constatée par la justice fédérale. Il y aurait également un manque de suivi indépendant de la qualité de l’eau, selon les autochtones et les chercheurs du Forum de Teles Pires.
Neoenergia affirme cependant à Splann ! qu’« en 2020 a été émis un rapport judiciaire démontrant que la construction de l’UHE Teles Pires n’a pas altéré la qualité de l’eau des fleuves Teles Pires, Paranaíta et São Benedito, en amont ou en aval du barrage ».
Poissons morts dans les turbines
En 2015, le consortium de l’usine informe l’Institut brésilien de l’environnement de la mort de poissons attirés par les turbines au moment de tests. Selon le Forum Teles Pires, qui cite un rapport du consortium, l'équivalent de 1,7 tonnes de poissons a été tué e car aucun système de protection n’avait été installé, comme cela était pourtant convenu avec l’organisme environnemental.
Neoenergia affirme néanmoins détenir un dispositif destiné à « empêcher le passage des poissons durant le déclenchement et l’arrêt des turbines ».
Bois en putréfaction et émissions de méthane
Les activités de nettoyage du bassin d’accumulation ont été « réalisées de manière peu rigoureuse et même [de manière] négligente », a rapporté l’Institut brésilien de l'environnement (Ibama) en 2015. Le consortium a laissé des arbres et végétations dans des endroits où ils auraient dû être totalement retirés avant l’émission de l’autorisation de fonctionnement de la centrale par l’Institut brésilien de l’environnement.
L’Institut national de recherche en Amazonie évoque, en 2013, un risque d’augmentation des émissions de méthane et de morts de poissons par manque d’oxygène, à cause des résidus organiques qui pourrissent. Des poissons morts en quantité et des niveaux critiques d’oxygénation de l’eau ont été observés par les techniciens de l’Ibama. Selon le consortium, cependant, « l’eau du fleuve reste de bonne qualité » et les « altérations constatées après le remplissage du bassin, dues à la décomposition de plantes et de matériaux présents dans la zone inondée, étaient attendues et ont été stabilisées ».
Les Amérindiens obtiennent, par la lutte, des promesses du consortium... qui n’ont pas été tenues
En juillet 2017, le site des travaux de l’usine São Manoel, sur le fleuve Teles Pires (en aval de l’usine Teles Pires) est occupé par des guerriers Munduruku pour protester contre les impacts socio-environnementaux des barrages du bassin. Ils demandent aussi la création d’un « fonds Munduruku » visant à investir dans l’éducation, la protection et la préservation de la culture. Notamment des lieux sacrés détruits par l’usine Teles Pires.
Les Munduruku exigent de récupérer leurs urnes. Un accord est signé entre les indigènes, la Funai, le ministère public fédéral (MPF) et les consortiums de Teles Pires et de São Manoel. Le président de la Funai affirme que les Munduruku pourront bien récupérer leurs urnes. Une réunion était prévue en septembre 2017, pendant laquelle les représentants des entreprises auraient dû présenter des excuses concernant la destruction de lieux sacrés. Cette réunion, préparée avec soin par les indigènes, fait pour eux office de rituel pour obtenir le pardon des esprits. Mais les entreprises ne participent finalement pas à la réunion et envoient une lettre au MPF dans laquelle elles rejettent toute responsabilité à propos des urnes.
En octobre 2017, 80 Mundurukus font une nouvelle tentative d’occupation du site des travaux de l’usine São Manoel mais sont repoussés par la force nationale de sécurité publique avec des grenades lacrymogènes. Ils sont repoussés jusqu’à la ville d’Alta Floresta, rapporte une journaliste du site Mongabay. Le jour suivant, ils tentent d’effectuer leur rituel devant les urnes retirées de la zone de l’usine Teres Pires et placées dans le musée d’histoire naturelle. Les discussions sont tendues avec un membre de la Funai et un employé du consortium de Teles Pires à propos du temps pris par les autochtones pour décider où seront replacées les urnes. Les Mundurukus sont escortés le lendemain vers leurs bateaux. Selon eux, les policiers auraient agi comme une milice privée des consortiums. Le Ministère public fédéral ouvre une enquête sur l’action de la police.
En décembre 2019, une réunion et cérémonie réunit 70 Mundurukus au musée d’histoire naturelle d’Alta Floresta, avant que ceux-ci ne récupèrent les urnes. C’est la première fois, au Brésil, que la récupération d’artefacts archéologiques est réalisée par des autochtones.
Déforestation indirecte
Une explosion de la déforestation est constatée dans la région de l’usine. Quatre-vingt-treizième commune qui déboisait le plus en 2010 au Brésil, avant le début des travaux, Paranaíta, est montée à la 26 e position en 2014, soit pendant les travaux, et a intégré la « liste noire » du ministère de l’Environnement. De manière générale, la déforestation indirecte est accentuée par la construction d’infrastructures et l’augmentation de la population dans une région, notamment avec l’arrivée de travailleurs. Pour le consortium, il n’y a aucun lien entre le développement de la déforestation dans la région et l’implantation de l’usine. Les études d’impact environnemental de l’usine n’évoquent pas la déforestation indirecte.
Splann ! a adressé des questions à Néoenergia. Nous reproduisons ici l'intégralité de ses réponses, traduites du portugais.
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