Le 13 septembre, les parents du petit Fañch sauront s'ils peuvent garder le tilde du prénom qu'ils avaient choisi pour leur enfant. En attendant la décision du tribunal de Quimper, le Conseil culturel de Bretagne publie un rappel historique sur cet tilde de la discorde.
À peine quelques mois et déjà au centre de toutes les attentions. Le petit Fañch né à Rosporden en mai dernier suscite les réactions, notamment celle de l'administration et de la justice. L'État civil refuse au départ de valider ce prénom, avec le tilde sur le n. Sous la pression médiatique, l'autorisation est finalement donnée aux parents. C'était sans compter sur le procureur de la République. La décision finale devrait être prise le 13 septembre prochain à Quimper. Fañch gardera t-il son tilde ? Pour Bernez Rouz, président du Conseil culturel de Bretagne "le résultat est couru d’avance, la décision se conformera à la circulaire".
Dans un communiqué, le Conseil culturel de Bretagne rappelle justement l'histoire de cette tilde et les origines de l'interdit : "le refus du procureur de la République de Quimper de valider la graphie du prénom Fañch donné à un enfant né le 11 mai dernier à Rosporden est basé sur une circulaire en date du 23 juillet 20141 émanant du ministère de la Justice. Celle-ci, rappelant que le français est la langue de l’administration, précise les signes diacritiques utilisables pour l’état civil et rejette le "ñ" considéré comme étranger."
Un signe utilisé depuis des siècles, devenu clandestin
Ce signe est utilisé depuis des siècles, en latin, en français, en gallo, en breton, en basque, et n’est pas une exclusivité castillane. Les scribes médiévaux utilisaient couramment un signe ayant la forme d'un trait horizontal, recourbé ou non à ses extrémités et qui était placé au-dessus d'un mot pour indiquer son abréviation. Ils appelaient ce signe le titulus. Cette abréviation paléographique a été appelée titre ou tiltre en français médiéval et tilde en langue castillane : "Tiltre, signifie tantost vne ligne qu'on met sur des lettres pour suppléer l'abbreuiation des lettres totales d'vn mot que l'Espagnol appelle Tilde, le tirant du Latin Titulus, ainsi que nous." écrit Jean Nicot en 1606 dans son Thresor de la langue françoyse tant ancienne que moderne. Jean Nicot consacre donc le caractère bien français du tiltre.
Il sera couramment employé pour marquer la nasalisation dans les documents officiels de la royauté au XVIème siècle. Le concept de voyelles nasales en français fut défini pour la première fois en 1694 par Louis de Courcillon de Dangeau dans ses "Essais de grammaire". Dans le bouillonnement orthographique qui accompagna la création de l’Académie Française, certains préconisèrent l’emploi du tiltre sur les voyelles pour marquer la nasalisation. Mais l’usage majoritaire a préféré utiliser le n ou le m suivant les voyelles (an /en/on/un/) pour marquer la nasalisation : France fut préféré à Frãce.
Le tiltre devient tilde
Le tiltre étant devenu archaïque et inusité, c’est le mot tilde qui le remplace vers 1830 : "Nous avons emprunté à la langue de l’Europe la plus régulièrement accentuée, le mot tilde qui en castillan signifie : petit signe affectant une lettre, pour indiquer une modification de la voix ou pour signaler une différence qui existe soit entre la valeur des lettres, soit entrecelle des intonations." peut-on lire en 1838 dans un précis de grammaire intitulé : Parfait accord des paroles et de leur écriture, indiqué par des tildes. Le lexicographe Boiste en 1834, tout en gardant le mot titre introduit le mot tilde dans son dictionnaire et consacra le caractère uniquement espagnol du tilde : "ligne horizontale placée au dessus de la lettre n, qui lui donne la valeur du gn, en espagnol", et l’adjectif tildé (surmonté d’une tilde).
Pierre Larousse consacre par contre le caractère bien attesté de l’utilisation du signe sur une voyelle pour marquer la nasalisation : "Dans les manuscrits et dans les anciennes éditions, la lettre n marquant un son nasal était remplacé par un trait mis sur la voyelle précédente amās pour amans."
Actuellement, il n’est plus utilisé que dans des emprunts étrangers (cañon, señor, doña, el niño). Le dictionnaire CNRTL du CNRS4 garde deux acceptions : Tilde = signe diacritique en forme de s couché. En Espagnol, signe placé au dessus de la lettre n pour indiquer la palatisation Et « signe placé au dessus d’une voyelle pour indiquer une prononciation nasale ». Rien n’indique donc qu’il soit étranger à la langue française. Il continue d’ailleurs d’être utilisé dans certaines langues romanes comme le gallo de Haute-Bretagne.
Le tilde bretonne
Le tilde est en effet présent dans la langue bretonne. Le père Maunoir (1658) en précise l’usage dans sa grammaire et garde l'usage du tiltre "quand une diction est terminée en n avec un tiltre dessus, il faut la prononcer comme s’il y avait deux n." En 1908, la réforme du KLT (Kern - Leon - Treger), visant à unifier le breton "donne au ñ breton la valeur qu’il a aujourd’hui."
Bernez Rouz conclut : "l’ancien tiltre français continue donc de vivre en breton. Il est un des éléments classiques utilisés dans des dizaines de langues pour marquer la nasalisation. S’il a disparu aujourd’hui, de l’écriture française standard, il fait quand même partie des gênes de la langue française et il continue de vivre dans les traditions écrites bretonnes, gallèses et basques, langues patrimoniales reconnues par la Constitution. Il serait sans doute simple de modifier la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l’état civil."