David Bazin est un disquaire heureux. Un Finistérien qui n'imagine pas sa vie sans musique. C'est dans l'ancienne station-service de Plounéour-Ménez qu'il officie depuis un an. Ici, les vinyles ont remplacé les accessoires auto. Rencontre avec un passionné à l'occasion du Disquaire day.
Ce n’est pas la route 66. Mais la départementale 785. L’axe Lorient-Roscoff. Ici, pas de vieux motel isolé mais cette station-service à la peinture écaillée, débarrassée de ses pompes à essence. Elle fait naître une petite musique en mode Bagdad Café. Mais fini de rêvasser. Le désert des Mojaves peut attendre. Les Monts d’Arrée se chargent du dépaysement.
"Dans mon élément"
Cette station-service, plantée à l’entrée de Plounéour-Ménez, donne envie de couper le moteur. De claquer la portière pour aller voir ce qui se trame dans la boutique toujours ouverte. Parce que la Boutique, qui signe son nom d’un "b" capital, n’a, elle, pas baissé le rideau. Mieux : à peine à l’intérieur, l’oreille attrape les notes suaves et jazzy d’un morceau de Thelonious Monk. Et, au passage, ce petit craquement familier du diamant sur un microssillon. Sur un mur, les Buzzcoks font de l’œil à Mireille Mathieu.
Pour qui est amateur de bonne musique, qui plus est de vinyles, la Boutique se pose en véritable caverne d’Ali-Baba. Elle ne désemplit pas. Accoudé au comptoir, le maître de cérémonie : David Bazin. Il surveille, du coin de l’œil, la platine mise à disposition des clients. Et accueille d’un large sourire et d’une voix rocailleuse quiconque pénètre dans son antre. "Je suis dans mon élément ici", confie ce Finistérien de 49 ans qui, du jour au lendemain, a fini par tout lâcher pour devenir disquaire.
Je suis plutôt quelqu'un qui aime mener sa barque tout seul
David a mis le temps pour se lancer. Presque trente ans. Il a bossé "à droite à gauche" et surtout à l’ex-abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau. Bien avant que l’usine, comme il l’appelle, ne mette ses 800 ouvriers sur le carreau. "Je ne m’y plaisais pas du tout, dit-il, sans ciller. J’ai tellement entendu mon père se plaindre de son patron que j’en suis venu à me dire que je n’étais vraiment pas fait pour cette vie. J’ai tout fait pour ne pas être salarié et coincé à un seul endroit. Je suis plutôt quelqu'un qui aime mener sa barque tout seul". Le montage de scènes, la cantine et le ménage dans les écoles parsèment son quotidien. Mais il a toujours, dans un coin de la tête, ce vieux rêve d’être disquaire qui tourne en boucle, comme un 33 tours rayé.
Non essentiel
Quand il décide de franchir le pas, David Bazin repère la boutique de la station-service désaffectée. Le réparateur d’électro-ménager qui occupait le local est parti. Le loyer est bon marché. Il signe le bail et transporte le stock de vinyles qu’il a constitué au fil des années. 600 de ses albums personnels servent de point de départ et surfent sur les valeurs sûres pour commencer : Rolling Stones, Doors, Beatles, Led Zeppelin, Pink Floyd, etc. "Pour débuter, il te faut de la bonne came" sourit-il.
On est le 3 mars 2020. Douze jours plus tard, le disquaire est prié de rentrer chez lui. Le Covid a rendu son activité non essentielle. "Le truc bien frustrant que je n’avais pas vu venir, se souvient David. Mais je n’ai pas eu le choix".
Il prend son mal en patience. Se demande, malgré tout, s’il pourra tenir le coup. A peine ouvert, déjà fermé, la poisse ! Mais l’homme n’est pas du genre à se démonter. Alors, quand la vie refait surface, petit à petit, il se lève aux aurores, enfourche sa moto et file à plein régime remettre du son.
« Il y a des perles ! »
La Boutique se fait un nom. A l’origine, David Bazin l’aurait volontiers baptisée d’un titre des Cramps, ‘Stay sick’. Il a peut-être eu raison de changer d’idée, vu la pandémie en cours. "Finalement, je me suis dit que conserver l’appellation qui date de l’époque de la station-service, c’était mieux. Peu importe le nom, en fait. Ce qui compte, c’est ce qu’on y trouve".
Ici, l’éclectisme est roi. "Tous les genres sauf ce qui est trop commercial" prévient d'emblée celui qui revendique "une base rock" largement explorée à l’adolescence, dans la maison familiale du Cloître-Saint-Thégonnec où il a grandi. "Et puis, j’ai eu envie de tout écouter : jazz, blues, punk, free jazz, tout y est passé".
La première fois que je suis venu à la Boutique, j’ai halluciné. La collection de vinyles est très riche
Son frère l’initie à une musique "plus difficile, plus exigeante. Il m’a ouvert à Franck Zappa". Ce qu’il ne savait pas, en devenant disquaire, c’est qu’il croiserait, sur sa route, Guy Darol, auteur d’une biographie sur Zappa, LE spécialiste français du compositeur américain aux multiples facettes.
L’écrivain, installé à Plouigneau, a découvert la Boutique grâce à son fils. Et ce jour-là, c’est en famille qu’il en pousse tout naturellement la porte. "La première fois que je suis venu, relate-t-il, j’ai halluciné. C’est vraiment un lieu pour nous. Les vinyles sont de très bonne qualité, c’est très riche. Il y a des perles !".
Dans le mille
Le rayon jazz recèle plus de 700 galettes et pas des moindres : John Coltrane, Eric Dolphy, Dave Brubeck, Arto Lindsay pour ne citer qu’eux. "Les trois-quarts des gens viennent pour prendre leur Beatles ou leur Stones, confie David. Et puis il y a ceux qui ont envie de découvrir, d’être surpris".
La discussion avec les clients s’engage, comme si la Boutique devenait le dernier salon où l’on cause bonne musique. "Tenez, écoutez ça !". Sur la platine, le ‘Ba power’ de Bassekou Kouyaté. L’album du musicien malien met à chaque fois dans le mille. "Dès les premières notes, je sais que ça fait mouche".
Dans les bacs de ce disquaire des Monts d’Arrée, se côtoient vinyles neufs et d’occasion. S’il est en contact étroit avec les labels, David Bazin écume aussi les vides-greniers. Parfois, ce sont les particuliers eux-mêmes qui déboulent avec leurs disques sous le bras, ne sachant plus trop quoi en faire. Au pied du comptoir, ce coffret un peu abîmé de l’œuvre complète de Georges Brassens. "Les gens voulaient s’en débarrasser, ils me l’ont donné mais il n’est pas très en bon état".
La station-service reconvertie en magasin de disques fonctionne au bouche-à-oreille. Et sa réputation commence à dépasser les frontières d’Armorique. "J’ai eu un appel d’un gars de Nantes, l’autre jour, pour un album qu’il ne trouvait pas dans sa ville. Et puis, Francis Dordor (journaliste aux Inrocks, NDLR) s’est arrêté aussi. Je ne dis pas ça pour la frime, ajoute David, mais je suis content que ma boutique attire les passionnés de musique, j’y fais de belles rencontres".