Les deux tableaux de Lionel Floch rendus à la Ville d'Audierne proviennent-ils ou non d'une spoliation d'oeuvres d'art pendant la Seconde guerre mondiale ? C'est la question qui entoure cette restitution opérée par la petite-fille d'un soldat allemand en poste dans le sud-Finistère entre 1940 et 1941.
Quand il rentre chez lui en permission, à la fin de l'année 1941, Max Müller, sergent de la Wehrmacht affecté en Bretagne et plus particulièrement à Audierne, dans le Finistère, emporte avec lui deux tableaux de Lionel Floch.
80 ans plus tard, Petra Hoffmann, la petite-fille de ce soldat allemand, souhaite rendre les peintures à la France et se rapproche de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS).
Elle ignore comment son grand-père est entré en possession de ces deux huiles sur toile. Y-a-t-il eu vol ? Le sergent Müller, "amateur d'art" selon sa famille, a-t-il acheté les oeuvres directement à l'artiste quand il se trouvait à Audierne ?
Plusieurs hypothèses
Pendant deux ans, la CIVS a ainsi enquêté pour tenter de remonter le fil de l'histoire de ces deux tableaux qui ont refait surface et qui, depuis la semaine dernière, ont rejoint les cimaises de la mairie d'Audierne.
André Cariou, ancien directeur du musée des Beaux-Arts de Quimper et spécialiste de l'oeuvre de Lionel Floch, a participé aux recherches qui ont permis d'authentifier les deux peintures. L'une montre des ramasseurs de goémon, l'autre, une scène de marché en Afrique-du-Nord.
Lionel Floch, peintre figuratif de l'école de Pont-Croix, a surtout représenté des scènes de vie du Pays bigouden et du Cap-Sizun. Il a également voyagé dans la péninsule ibérique et en Afrique-du-Nord.
De quelle manière les tableaux ont fini entre les mains du soldat allemand ? Le mystère reste entier. "Malgré les éléments mémoriels de la famille de Lionel Floch, on n'a pas pu clarifier leur provenance, relève Michel Van Praët, adjoint à la culture à Audierne. La seule certitude que l'on a est qu'aucun vol n'a été commis dans l'atelier de Floch à cette période".
L'hypothèse d'un achat par Max Müller à l'artiste devient une piste possible. Décrit comme "anti nazi" par sa petite-fille, ce sergent de la Wehrmacht aurait-il sympathisé avec le peintre connu pour ses liens avec Max Jacob, mort dans le camp de Drancy en 1944, et Jean Moulin, le fondateur du Conseil national de la Résistance, arrêté et torturé par les Allemands en 1943 ?
"On peut en effet s'interroger, explique l'élu d'Audierne. Après, on a aucune preuve de cette transaction ni même que Max Müller était anti-nazi, comme l'affirme sa famille".
Une deuxième piste n'est pas écartée : celle de la spoliation des vrais propriétaires des tableaux. "On ne peut pas exclure que Floch ait vendu ou offert ses toiles à quelqu'un qui a ensuite été spolié par ce soldat. Or, personne n'a jamais déclaré de vol".
Recherche des propriétaires
De leur côté, Petra Hoffmann et sa mère décident de restituer les deux tableaux à la France. Sauf qu'elles ne peuvent pas en faire don puisqu'elles n'ont pas le moyen de prouver qu'elles en sont propriétaires "de bonne foi".
Seule alternative : se dessaisir des oeuvres qui sont alors mises en dépôt à la mairie d'Audierne, "dans l'attente de retrouver les ayant-droits des propriétaires légitimes, précise l'adjoint à la culture. Elles ne seront pas intégrées aux collections. Ni un musée ni personne n'a d'ailleurs le droit de le faire".
D'ordinaire, ce type de dépôt s'opère dans un musée. Là, il revêt "un caractère exceptionnel en étant confié à la municipalité, observe Michel Van Praët. Dans la mesure où ce soldat était en poste à Audierne et que la commune s'est engagée à montrer les tableaux pour permettre de retrouver ses propriétaires légitimes, nous allons les conserver. Si une personne se manifeste comme ayant-droit, il y aura une enquête de la CIVS".
C'est donc un volet plus généalogique de l'affaire qui s'ouvre aujourd'hui. Si d'aventure les deux tableaux ne sont pas réclamés, ils demeureront dans le patrimoine de la Ville d'Audierne en tant que simple dépôt. Une convention a été signée dans ce sens entre la municipalité et la commission d'indemnisation des victimes de spoliation.
Les peintures signées Lionel Floch sont pour l'instant exposées dans la salle du conseil municipal.