Barba Loutig, Annie Ebrel, Nolùen Le Buhé, Marthe Vassalo, Nolwenn Korbell, Aziliz Manrow… Les fêtes de Cornouaille font la part belle aux artistes féminines dans leur programmation. Pourtant sur près de 300 musiciens invités cette année, 85 % sont des hommes.
Répondre à la question de la place des femmes sur la scène bretonne, quand on est une artiste féminine… c’est lassant. Pourtant, les chanteuses de Barba Loutig et du trio Ebrel-Le Buhé-Vassalo ont accepté de partager leurs expériences avec nous.
"On ne recherche pas cette visibilité-là", nous explique Lina Bellard du quatuor de chant polyphonique Barba Loutig. On peut les comprendre. Et nous préférerions d’ailleurs vous pour parler plus en longueur de leur spectacle "Saflikad" ou de "Paotred", présenté par Annie Ebrel, Nolùen Le Buhé et Marthe Vassalo.
Deux beaux concerts que nous vous encourageons à découvrir cet été – et dont vous pouvez avoir un aperçu dans les videos ci-dessous.
Mais les chiffres sont éloquents et ne peuvent pas nous laisser indifférents.
Au festival de Cornouaille cette année, les femmes ne représentent que 15% des effectifs. Ce n’est pas nouveau et c’est le cas dans la plupart des festivals de musiques traditionnelles et actuelles.
Avec le mouvement #Me Too, les médias et les programmateurs en prennent de plus en plus conscience. Les artistes que nous avons rencontrées, elles, le savent elles depuis bien longtemps.
"Quand on regarde les affiches de fest-noz et de concerts, il y a parfois des fois des groupes de chanteuses, mais il n’y a pas tant que ça de musiciennes. Et dans certains festivals, sur une trentaine de formations, il n’y a quasiment que des hommes", relate Enora de Parscau de Barba Loutig. "Le fait que des festivals veuillent mettre les femmes en avant prouve qu’il y a un manque, c’est révélateur du fait que l’on n’est pas assez visibles", poursuit-elle.
Plus de professionnels que de professionnelles
Il ne s’agit pourtant pas de jeter la pierre aux organisateurs. Puisque de fait, si les plateaux sont en majorité masculins, c’est qu’il y a beaucoup plus de musiciens professionnels que de musiciennes professionnelles. Avec, il faut le noter, un peu plus de parité chez les chanteuses et chanteurs.Igor Gardes, directeur du festival de Cornouaille, a conscience de ce phénomène. "Quand je suis arrivé dans l’équipe du festival en 2014, j’ai exposé ces interrogations-là", raconte-il. "A défaut de pouvoir faire une programmation paritaire, je voulais au moins marquer le coup sur un fest-noz paritaire, qui s’est tenu le vendredi soir pendant trois ou quatre ans".
Mais l’expérience n’a pas été renouvelée. "Avec mes collaborateurs, on s’est vite rendu compte qu’on n’y arrivait pas. Nous avions vite fait le tour des groupes un peu connus", explique le directeur.
Elsa Corre, des Barba Loutig, abonde dans ce sens : "Je participe à la programmation du fest-noz du festival du cinéma de Douarnenez et tous les ans je me retrouve face à la même problématique, il n’y a pas de femmes. On a des duos de chanteuses, et après ?"
Pour elle, le problème ne vient pas des programmateurs. Il faut sans doute aller chercher du côté de la formation des musiciennes et comprendre pourquoi elles sont bien moins nombreuses que les hommes à se professionnaliser.
Travailler sur la formation des musiciennes
"Dans la musique traditionnelle, il y a toujours le syndrome du mâle blanc", plaisante la chanteuse Nolùen Le Buhé. Ses deux acolytes, Annie Ebrel et Mathe Vassalo, acquiescent. "Nous animons des stages de chant aujourd’hui. Mais il y a eu une époque où seuls les hommes animaient ces stages. Et les hommes encourageaient les hommes. Ils voyaient chez un homme un futur professionnel mais ils ne voyaient pas une future professionnelle chez une femme".Marthe Vassalo va même plus loin."La musique a un pouvoir sur les gens. Chanter et jouer c’est avoir du pouvoir sur les gens et on vit dans une société dans laquelle les hommes n’aiment pas tellement partager le pouvoir. Plus une femme est compétente et présente, plus ce qu’elle fait est impressionnant, plus elle sera dérangeante», détaille la chanteuse.
Les petites filles manquent aussi de modèles féminins auxquels s’identifier, les professionnels et les professeurs de musique étant des hommes dans la grande majorité.
Et comme pour n’importe quelle activité, elles se tournent encore vers des instruments ou des disciplines à "connotation plus féminine", comme le chant par exemple.
Pourtant, des initiatives existent pour atténuer ces tendances. "Il y a des écoles de musique qui proposent des classes d’éveil où les petits peuvent tester tous les instruments, que ce soit la batterie, la basse… c’est un bon départ pour s’ouvrir à n’importe quelle discipline par la suite", constate Elsa Corre de Barba Loutig.
Vie d’artiste et vie de famille
Mais au-delà de la question de la formation, il y a la question de la vie de famille et des inégalités dans la répartition des tâches au quotidien. Et les sept artistes que nous avons rencontrées sont unanimes, c’est probablement le premier frein à la professionnalisation des musiciennes.Car vie d’artiste et vie de maman sont difficile à concilier. "On est amenées à bouger beaucoup, ou à partir sur des longues périodes, parfois à l’autre bout de la France", raconte Elsa Corre.
Comme les autres chanteuses de Barba Loutig, elle dit avoir vu sa vie d’artiste changer avec la naissance de son enfant : "Quand on devient maman, la réalité du métier change. Pour certains papas c’est aussi le cas, mais les musiciens masculins qu’on voit autour de nous viennent rarement avec leur bébé en résidence… ".
Les contraintes liées à la grossesse, l’allaitement font que la parentalité n’a pas le même impact sur la vie d’artistes des femmes et des hommes. "On a l’impression que pour les organisateurs d'événements, les femmes ont des gestations de mammouths", dit Nolùen Le Buhé. "Car entre le moment où un organisateur apprendre que vous êtes enceinte, que vous avez accouché, que vous êtes en train de vous occuper d’un enfant… il peut se passer deux ou trois ans avant qu’on vous rappelle".
Pour Lina Bellard de Barba Loutig, certaines initiatives pourraient pourtant aider les artistes féminines : "les festivals pourraient nous demander si on a besoin d’une ou d’un baby sitter, de la même manière qu’ils nous demandent si on a besoin d’un hébergement". "Et ils pourraient le proposer aux artistes hommes qui ont des enfants également", ajoute Enora de Parscau.
Pour que les musiciennes se professionnalisent et que les scènes se féminisent, toutes s’accordent à dire que les habitudes et les mentalités doivent changer.