Il y a 100 ans : Arsène Lupin s'invitait en Bretagne

C’était en 1917 : 
la plume de Maurice Leblanc expédiait son gentleman-cambrioleur en Bretagne pour une histoire aussi terrifiante qu’ironique, «L’île aux trente cercueils».

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Maurice Leblanc, un auteur à succès


Il s’imaginait en successeur de Flaubert ou Maupassant, Maurice Leblanc sera bien vite repéré par ses contemporains, Jules Renard ou Alphonse Daudet. Maurice Leblanc voulait pénétrer les mystères de l’âme humaine, il le fera au travers de ce héros d’un genre nouveau, Arsène Lupin.

Quand il écrit « L’île aux Trente cercueils», Maurice Leblanc est déjà un écrivain très lu, très connu, très décoré (Légion d’Honneur en 1908). Du même auteur, et figurant Arsène Lupin, on trouve déjà quelques bijoux (« L’Aiguille Creuse »,  «  813 »,  « l’Eclat d’Obus »), et Leblanc ne s’en tiendra pas là, puisque viendront ensuite « Les 8 Coups de l’Horloge », « La Demoiselle aux Yeux Verts », ou « La Barre Y Va ». Entre beaucoup d’autres.

Dans « L’Île … », et comme souvent, Leblanc écrit comme un journaliste relatant des faits réels : il termine son roman en 1917 mais ne le publie qu’en 1919, après la guerre,
dont il dit qu’elle a éclipsé à l’époque « ces événements tragiques », des évènements qu’il présente comme inconnus du grand public, mais authentiques.

Arsène Lupin, un simple voleur ?


Le gentleman-cambrioleur s’est créé une solide réputation d’un homme aux multiples talents, à la limite du surnaturel. C’est son activité principale : il vole avec talent (il n’est jamais pris) et avec goût (c’est un esthète). Il vole même la vedette à son rival anglais « Herlock Sholmès », ce que Conan Doyle ne pardonnera pas à Leblanc.

Il est populaire, ses exploits font la joie d’un public qui attend avec impatience le récit de ses exploits dans les journaux et se réjouit qu’il ridiculise sans cesse la police. Mais Lupin a beau être un hors-la-loi, il partage avec son créateur, radical-socialiste et libre-penseur, d’être un humaniste, épris de justice, de solidarité et de compassion.

Epris, il l’est aussi des jolies femmes, qui le lui rendent bien. Arsène Lupin est aussi résolument moderne, il roule en automobile et en train, il communique par le téléphone et le pneumatique, il ira en Bretagne en sous-marin, l’équivalent aujourd’hui d’une navette spatiale. Géographiquement, Lupin sévit à Paris, avec une prédilection pour ses Grands Boulevards, mais aussi sur les côtes normandes ou méditerranéennes. Pourtant, et pour une unique escapade littéraire, Maurice Leblanc l’enverra en mission en Bretagne, vers la terrifiante Sarek, « l’Île aux Trente Cercueils »

Couverture de "l'Ile aux trente cercueils" de Maurice Leblanc

L’île aux trente cercueils 


Sarek, l’île qui n’existait pas

Presque toute l’action se déroule sur une île bretonne fictive, Sarek, « l’île aux Trente Cercueils ». Située par Leblanc au sud des Glénans, elle apparaît comme un concentré de la beauté sauvage des îles bretonnes, de Belle-Ile à Ouessant, avec des falaises terrifiantes, des à-pics vertigineux, des bois profonds et une mer aussi omniprésente qu’hostile. Son inquiétant surnom vient d’une vieille légende celtique, presqu’une prophétie : un jour, la totalité de ses 30 habitants devra périr de façon violente, quatre de ses femmes seront mises en croix ! S’ajoutant à cette funeste légende, la confusion s’est installée au fil des siècles entre « écueils » et « cercueils », Leblanc ayant cerné Sarek de trente écueils menaçants le long de ses côtes. 

Et puis les rois de Bohême y auraient caché leur « Pierre-Dieu », « celle qui apporte la paix ou la mort »…  Et puis, le Clos-Fleuri, où poussent au milieu de nulle part de somptueuses et gigantesques fleurs… Et puis, « Monsieur Tout-Va-Bien », le chien venu lui aussi de nulle part, mais toujours au bon moment, pour consoler tout le monde et repartir aussitôt…

L'île aux trente cercueils : l'île de Sarek en Bretagne


L’histoire


Une jeune Parisienne, Véronique, arrive en Bretagne occidentale. Elle vient sur les indications d’un détective qui pense y avoir retrouvé la trace de son enfant, un fils qu’elle croyait mort, et dont elle a fui le père, Vorski, fanatique mégalomane. Dans une chapelle abandonnée, elle tombe d’abord sur un premier cadavre, un homme assassiné dont elle apprendra plus tard qu’il était le « prophète » de Sarek.
Elle s’embarque alors pour l’île, où semble bien vivre son fils. Mais Sarek est dans une agitation insensée : pris de panique à l’annonce de la mort violente de leur «prophète», les habitants croient venu le temps de la prophétie, et tentent de fuir en gagnant le continent.

Au sortir de l’île, leurs bateaux sont pris sous une fusillade, personne n’en réchappe. 26 morts. Ne restent sur Sarek que trois vieilles sœurs, que la jeune femme va retrouver crucifiées. 29 morts. Entretemps, elle croit bien avoir retrouvé son fils, arme au poing, au côté des assassins. Véronique sera t’elle la quatrième mise en croix, et la dernière des trente de la légende ?

C’est l’arrivée d’un bien étrange druide qui va démêler les fils de l’intrigue. Magicien ou clown, il va mettre hors d’état de nuire Vorski et sa bande criminelle, qui avaient mélangé légendes, superstitions et meurtres, pour s’emparer de la Pierre-Dieu.


Une des couvertures de "L'île aux trente cercueils" de Maurice Leblanc

Simple anagramme


Comme souvent, Leblanc rebaptise son héros. L’auteur est déjà célèbre et sa reconnaissance en tant qu’écrivain comme la popularité de son héros lui autorisent ce genre de canulars littéraires. Arsène Lupin est parfois Paul Sernine, Raoul d’Andrésy, ou bien d’autres encore. En Bretagne, il sera Luis Perenna, et à bien y regarder, ce nom de se compose des mêmes lettres que celui … d’Arsène Lupin !

Comme souvent aussi dans ses aventures, Lupin n’apparaît que tard dans la narration : ici, vers la moitié du livre. Leblanc déroule jusque là une histoire terrifiante, où le pire n’en finit pas d’empirer, les méchants de devenir de plus en plus méchants, et les gentils de perdre de plus en plus de terrain.

Avec « L’île aux Trente Cercueils », Maurice Leblanc signe un de ses plus grands romans. Car s’il faut le rappeler, de même qu’il n’existe aucune Sarek au sud des Glénans,
cette histoire cruelle n’est heureusement qu’une histoire.

Modernité et superstitions


Mais si le roman est aussi prenant et haletant, c’est bien parce que Leblanc tire le maximum littéraire et dramatique du caractère de la Bretagne. La splendeur hostile de son île difficilement accessible (Ouessant), sa végétation étrange (Bréhat), son relief torturé (Belle-Ile), ses habitants emprunts de religiosité superstitieuse, ses légendes inquiétantes et mortifères …
Comme pour conjurer le mauvais sort, Leblanc qui était malgré tout sensible au contexte très spirite de son époque, se moque du grand prêtre suprême breton : Arsène Lupin en personne, sous son énième déguisement, va se métamorphoser en druide. Tout en terrifiant et réduisant ses ennemis par sa parole ironique et sa robe blanche, il se moque de toute superstition et de toute peur, utilisées par ces grands prêtres de tout poil pour assoir leur pouvoir sur des populations trop crédules parce que trop isolées du savoir.
Il vient en druide pour jouer la tradition, mais arrive en sous-marin hi-tech, la navette spatiale de l’époque.

Du grand Lupin : manipuler pour démonter la manipulation

Maurice Leblanc est bien de son époque : s’il ne rejette pas la spiritualité, il croit au savoir et à la connaissance, autant qu’aux techniques modernes, du téléphone à ce sous-marin. A ne pas laisser confisquer, surtout au sortir de l’atroce « Grande » Guerre, où soif de pouvoir et manipulation, autant que techniques nouvelles, n’avaient que trop tué.

Science, superstition, modernité technique : le début du XXème siècle est une époque de grandes avancées scientifiques, mais qui n’arrivent pas encore dans toute la France, et certainement pas à son extrémité ouest. Alors que dans les laboratoires, on phosphore dur sur la radioactivité, dont on connaît déjà l’ambivalence bienfaisance/toxicité, Maurice Leblanc ne peut pas rater la très granitique et donc naturellement radioactive Bretagne. Nombre de cas de « maisons hantées » ou « maudites » ont été expliqués en Bretagne par leur forte radioactivité, qui tuait lentement leurs habitants, tout en les entourant de fleurs extraordinaires. Alors si on y ajoute une mystérieuse « Pierre-Dieu »... 

Et donc aussi, si l’histoire se passe en Bretagne, au-delà de ses éléments dramatiques, si séduisants pour l’écrivain, il n’est pas impossible que Leblanc l’ait choisie parce qu’aux yeux d’un Parisien de 1917, elle représentait tout ce que la « province » pouvait avoir d’arriéré.

Arsène Lupin en Bretagne : il n’y est venu qu’une fois. Peut-être simplement parce que pour que cette histoire fonctionne, les très modernes et ouverts d’esprit Leblanc/Lupin devaient se confronter à un lieu, à des protagonistes encore enfermés dans des superstitions d’un autre âge.


L'adaptation télévisée de l'Île aux trente cercueils

Quelques adaptations...                                                                   


Le roman a donné lieu à adaptation télévisuelle en 1979, une série de six épisodes de Marcel Cravenne avec Claude Jade.
En 2011, le Rennais Marc Lizano publie une bande dessinée sous ce même titre, qui mélange le roman et la vie de Maurice Leblanc. 
Mais étrangement, Marcel Cravenne comme Marc Lizano ne font pas apparaître Arsène Lupin-Pérenna dans leur adaptation,
comme si le personnage les encombrait.
Et dans les deux cas, on a envie de dire : dommage.


"L'île aux trente cercueils", la BD de Marc Lizano



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