La journaliste Anne Gouerou s'est intéressée à l'inégalité entre sexes, dans tous les domaines. Elle en a fait une série, diffusée tous les dimanches dans Bali Breizh. Dans ce sixième épisode, elle aborde la question des violences faites aux femmes au sein des couples.
Anne Gouérou est journaliste indépendante. Dans la série qu'elle a réalisée, intitulée Reizh Direizh , elle aborde le sujet de l'inégalité des sexes, à différentes étapes de la vie et dans tous les domaines
Chaque semaine dans Bali Breizh sur France 3 Bretagne
Les épisodes de la série d'Anne Gouérou sont diffusés chaque dimanche à 9 h 55 dans l'émission en langue bretonne Bali Breizh sur France 3 Bretagne.
Nous les publions également chaque semaine ici, sur notre site. Ils sont accompagnés d'une explication de l'auteure sur son travail et son constat.
Dans ce sixième épisode, elle s'intéresse aux victimes de violences conjugales.
Le mot de l'auteure :
"Ce n'est pas la première fois que je m'intéresse, en tant que réalisatrice, à la question des violences faites aux femmes. En 2016, j'avais réalisé un documentaire-fiction sur Solenn, une jeune victime accompagnée par l'Abri-Côtier, une association de Concarneau. Le mouvement Metoo n'avait pas encore émergé."
"Cette année-là, c'est une autre affaire qui occupe l'espace médiatique, celle de la condamnation de Jacqueline Sauvage qui avait abattu, en 2012, son mari de trois coups de fusil dans le dos. Il la battait depuis 47 ans."
Jacqueline Sauvage, symbole de ces victimes
"À son procès, elle invoque la légitime défense pour alléger ou éviter une peine de prison ferme. Sa condamnation à dix ans d'emprisonnement en 2014, confirmée en appel en 2015, suscite la mobilisation des féministes, mais aussi de représentants politiques, de gauche comme de droite. Tous réclament sa libération immédiate et la révision de la loi sur la légitime défense dans le cas de violences conjugales. Jacqueline Sauvage devient un symbole de ces victimes. La mobilisation paie : elle bénéficie d'une grâce partielle, accordée par François Hollande en janvier 2016. Mais le juge d’application des peines ne suit pas le Président de la République : il lui refuse la libération conditionnelle."
"La Cour d'Appel ne sera pas plus clémente fin 2016 : Jacqueline Sauvage doit rester en prison, car la condamnée « ne s’interroge pas assez sur son crime » et « sur sa part de responsabilité dans le fonctionnement pathologique de son couple ». Les juges en veulent pour preuve que Jacqueline
Sauvage n’a jamais porté plainte pour violences conjugales et n’a pas tenté de trouver d'autre solution que d'assassiner son mari. L'affaire se clôt, fin décembre 2016, par une grâce totale, prononcée par François Hollande. Elle sort de prison, mais les magistrats sont nombreux à regretter la décision présidentielle qui revient, selon eux, à donner droit à se faire justice soi-même."
"J'ai conservé de cette affaire le souvenir vif d'une discussion avec une juge. Il partageait l'avis majoritaire de ses confrères. De mon côté, si je comprenais la crainte des magistrats – une porte ouverte à la vengeance – j'argumentais sur cette fameuse légitime défense, s'agissant d'une femme victime de son mari depuis tant d'années. La discussion glissa du cas de Jacqueline Sauvage à ces trop nombreuses femmes victimes de féminicides. C'est à ce moment de nos échanges que la juge me dit à peu près ceci : pour elle, lorsque les femmes battues sont restées chez elles sans se plaindre ou sont revenues malgré les risques, on pourrait considérer que ces femmes assassinées ont rendu leur mari assassin ! J'en restais sidérée. Tout le procès avait tourné autour de cette question : comment cette femme avait-elle supporté 47 ans de violence, pourquoi n'avait-elle jamais déposé plainte ?"
Le phénomène déroutant de l'emprise
"C'est ce que va nous expliquer Maelaïg Féroc dans cet épisode. Educatrice spécialisée à L’écoutille, un lieu d’accueil à Lorient pour les personnes victimes de violences sexistes et sexuelles, Maelaïg sait à quel point il est difficile de comprendre pourquoi les femmes supportent si longtemps des situations de violence, multiplient les aller-retours, en moyenne cinq à sept fois avant de partir définitivement, déposent puis retirent leur plainte… Si les juges sont formés depuis quelques années à la complexité de ce processus d'emprise, il est encore plus important que les victimes elles-mêmes décryptent les mécanismes qui les emprisonnent."
Le cycle des violences
"Ce phénomène a été synthétisé dans un schéma, celui du « cycle des violences ». Grâce à lui, la victime commence à appréhender comment son agresseur, une personne pour laquelle elle peut conserver de forts sentiments, la manipule en alternant les comportements, des « petits » dénigrements, humiliations et autres pressions psychologiques jusqu'aux violences proprement dites, qu'elles soient physiques, verbales, sexuelles, économiques..."
"Arrive ensuite une phase de justifications qui tend à rendre la victime responsable des gestes et des comportements de son agresseur. La « fautive » accueille la dernière période avec soulagement : c'est la « lune de miel », une phase de répit, voire de tendresse, qui l'amène à douter des perceptions de danger que les précédentes phases avaient provoqué chez elle."
Difficulté à comprendre ce processus insidieux et dangereux
"Car au départ de l'emprise, il y a toujours une séduction, d'où l'immense difficulté à comprendre ce processus insidieux et des plus dangereux. Il s'agit d'un système de domination psychologique qui nie l'individualité de la victime, à tel point que, même son entourage ne la comprend plus. Quand il en reste, tant il est vrai que la stratégie de l'agresseur passe aussi par l'isolement progressif de la personne. Lorsqu'une personne a ainsi été réduite à rien pendant des années, il vaut mieux pour elle d'être accompagnée pour reprendre pied."
Être accompagnée pour reprendre pied
"C'est ce que fait aussi L'Ecoutille, en collaborant avec un Centre social de Lorient, l'Escale Brizeux. Sans que personne en sache rien, des femmes victimes de violence peuvent rejoindre leurs ateliers, « Instant pour soi », réservés aux femmes. La plupart d'entre elles sont du quartier et n'ont aucun problème à la maison ! Elles sont là pour se faire du bien, en alternant danse, relaxation, sophrologie et autres activités qui développent l'écoute de soi à travers le corps. Personne n'est là pour parler de ses blessures, mais toutes pour se (re)connecter à la vie, (re)trouver du plaisir, lâcher prise. Pour celles qui ont connu des violences, cette mobilisation du corps est essentielle : il s'agit de couper avec l'hypervigilance qui a anesthésié le corps, de se reconnecter à ses émotions, d'apprendre à les décoder et à s'autoriser le bien-être défendu par l'agresseur, pendant si longtemps."
"« Toutes les femmes ont besoin de travailler leur estime de soi », conclue Maelaïg. Mais elle est bien placée pour savoir que certaines en ont encore plus besoin que d'autres."
Anne Gouerou
Retrouvez chaque dimanche un épisode de Reizh Direizh dans Bali Breizh, à 9h55 sur France 3 Bretagne et en replay sur France.tv.