Dans un article publié dans une revue scientifique américaine, 11 médecins du CHU de Rennes décrivent scientifiquement l'état des patients à la suite de l'essai clinique mené par Biotrial en janvier dernier. Il s'agit, selon une source proche du dossier, de "rétablir les faits".
Depuis le début de l’affaire Biotrial, les médecins qui avaient pris en charge les six patients de l’essai clinique, disent avoir été tenus au silence par le ministère. Un silence qu’ils ont décidé de rompre, "pour rétablir les faits, et rien que les faits, car depuis le début, on entend tout et n'importe quoi". Les médecins ont choisi pour s’exprimer le New England Journal of Medicine, un journal professionnel américain, "un média incontestable, reconnu et lu dans le monde entier".
Mais au-delà de la communication médicale, accessible uniquement pour la profession, impossible d’approcher ces médecins pour mieux comprendre leur démarche : le CHU de Rennes a bouclé sa communication en choisissant "ses" médias, (3 organes de presse écrite), refusant ainsi de nous laisser les rencontrer.
Selon une source médicale proche du dossier, que nous avons malgré tout pu contacter par téléphone, ces médecins, lassés des polémiques, des communiqués de presse rageurs et des règlements de compte interprofessionnels par médias interposés, ont peut-être surtout voulu se démarquer et rappeler que leur action a permis de sauver 5 des 6 patients. Les médecins dénoncent donc l’amalgame de leur action avec l’essai lui-même, qui laisserait entendre une responsabilité partagée.
Rappel
En janvier 2016, un homme de 49 ans est décédé à la suite de la prise de la molécule testée par le laboratoire Biotrial et d'autres personnes ont été hospitalisées. En cause : les effets toxiques de la molécule, liés à son accumalation. Ces patients sont ceux qui ont reçu la plus forte dose : 50 mg par jour. Dans les phases précédentes de l'essai, 84 volontaires avaient reçu des doses allant jusqu'à 20 mg par jour pendant 10 jours, sans qu'aucun effet secondaire grave n'ait été rapporté.Anomalies
Au cinquième jour après l'administration de la molécule, à 11 h du matin, le patient 1 se plaint de voir trouble et de taches flottantes. À 15 h 30, il note des céphalées. Surviennent ensuite des troubles de la marche et une perturbation de l'élocution. Il est conduit aux urgences du CHU de Rennes à 20 h 50.Le lendemain, à 7 h 45 du matin, le patient devient soudainement confus et agité. Les troubles du mouvement des membres empirent. S'ajoutent également des tremblements. L'homme n'est pas en capacité de s'asseoir dans son lit.
Une IRM du cerveau montre des anomalies. L'état du patient 1 continue à se dégrader au point qu'il devient inconscient et que les médecins le placent sous respiration assistée. La température de son corps, jusque-là considérée comme normale, atteint désormais 38,2°C. Les soupçons se portent désormais sur des virus tels que l'herpès, la varicelle, la listériose, mais les résultats des analyses s'avèrent négatifs.
Mort cérébrale
Au 7e jour, la fréquence cardiaque du patient se réduit considérablement et sa pression artérielle baisse de manière inquiétante. Les lésions ne cessent de croître, les examens mettent en évidence des œdèmes. Le surlendemain, le 13 janvier, après que son état s'est encore aggravé, le patient est déclaré en état de mort cérébrale.La veille de son décès un autre patient commence à présenter des symptômes similaires à ceux du patient décédé, suivi un jour plus tard d'une autre personne. Ces deux personnes reçoivent un traitement anti-inflammatoire avec des corticoïdes à haute dose ; leur état s'améliore.
"La relation de cause à effet paraît évidente"
Interrogé par le journal Le Monde, le professeur Didier Dormont estime que "l'atteinte bilatérale relativement symétrique est très évocatrice d’une toxicité de la molécule plutôt que d’un accident vasculaire cérébral. La relation de cause à effet paraît assez évidente même si le mécanisme est encore inconnu. Ce qui étonne, c'est la gravité incroyable des signes apparus avec l’administration d’une dose de 50 mg/J, par rapport à une dose de 20 mg/J." De fait, les patients qui ont reçu la dose de 20 mg/J n'ont présenté aucun de ces symptômes.Les équipes du CHU de Rennes précisent qu'elles n'ont pas eu accès aux données de l'autopsie pratiquée sur le patient décédé, car une instruction judiciaire est en cours.Baptiste Galmiche et Thierry Bréhier