"Grâce à France 3 Bretagne, j'ai interviewé Marquis de Sade"

"Un vendredi, jour de travail, ma pause déjeuner va être différente. J’ai rendez-vous avec deux piliers de la scène musicale rennaise et nationale. Je suis stressé, je ne suis pas journaliste." Carl, l'un de nos téléspectateurs a en effet pu s'entretenir avec le groupe Marquis de Sade. 

Marquis de Sade, avant d’être un écrivain, a toujours été pour moi un groupe de rock. Enfant, on a tous des envies d’aller voir à l’étage supérieur. Mon premier souvenir de Marquis de Sade, c’est ça : à Tours, le frère d’une copine qui a le droit de se coucher tard et de regarder "Chorus" ou "Les enfants du rock" et qui ne me parle que de Joy Division et de Marquis de Sade, alors que pour moi, Jacky est juste un animateur de Récré A2. C’est également un cousin qui me parle encore et toujours de Marquis de Sade, New Order... Je suis attiré, j’ai envie de connaître.

Le jour J


Me voilà donc à midi, en costard, rien de très rock’n’roll, devant la librairie "L’encre de Bretagne", rue Saint Mélaine, à Rennes. Philippe Pascal, veste noire et marinière, arrive vers moi et me salue, le premier contact est bon, il est souriant, dégage un charisme incroyable, il est attentionné. Bref, il me met à l’aise et me propose que nous nous tutoyions, ce qui n’est pas hyper évident pour moi…

Je rentre dans la librairie et rencontre Frank Darcel, tout de noir vêtu, imposant personnage avec un regard qui peut glacer. Il me met toutefois à l’aise. Nous nous asseyons autour d’une table au fond de la librairie. Après leur avoir raconté ma petite histoire sur mes premiers souvenirs de Marquis de Sade, mes souvenirs récents des concerts des Nus, de RepubliK et de Philippe Pascal sur quelques titres à l’UBU, je me lance, comme je peux, toujours stressé.


Marquis de Sade un collectif d’artistes ?


Pour moi, Marquis de Sade ressemble plus à un collectif d’artistes, de musiciens qu’à un groupe. La composition de Marquis de Sade change très souvent avec Frank Darcel comme fil conducteur (cofondateur de Marquis de Sade avec Dargelos et Pierre Thomas en 1977, jusqu’à la dissolution du groupe en 1981).

Pour Frank Darcel, en y réfléchissant, cette notion de collectif est plutôt bien adaptée à Marquis de Sade, en tout cas au départ. Effectivement de nombreux musiciens sont venus, sont partis, mais des traces de leur passage sont toujours restées présentes dans la musique de Marquis de Sade. Philippe Pascal prend l’exemple de Serge Papail de Fracture/Frakture qui a apporté de nouveaux éléments aux groupes, d’Anzia (guitariste qui participera en tant que membre à part entière au premier album) qu’il retrouvera ensuite dans Marc Seberg, de Daniel Paboeuf (cuivres), de Frédéric Renaud qui remplacera Anzia, mais ne participera pas au deuxième album (et qui participera esuite au 45 tours "Rythmiques")


Au contraire, pour Philippe Pascal, Marquis de Sade est plus un groupe, dont le noyau dur est constitué de membres qui ont participé aux deux 33 tours. (Philippe Pascal, Frank Darcel, Aanzia (pour le premier album), Eric Morinière, Thierry Alexandre). 

Toutefois, il indique qu’effectivement Marquis de Sade aurait pu évoluer vers ce collectif d’artistes, ce qui, au final, n’aura pas été vraiment le cas. Mais la musique nécessite aussi de la discipline, ce qui peut expliquer certains départs. Sans discipline, difficile de composer, de structurer le groupe. Sur scène en revanche, ce n’était plus une question de discipline, le groupe et ses membres se lâchaient plus.

Frank précise que le groupe s’est aussi développé de manière un peu instantanée sur Rennes, ce n’était pas nécessairement calculé, c’était sur l’instant, dans l’urgence et parfois il fallait remplacer des membres qui souhaitaient partir ou qui étaient plus ou moins écartés du groupe, alors oui, la notion collective était présente. Par ailleurs, un certain nombre de personnes gravitait autour du groupe : Pierre Fablet, musicien, graphiste… qui suivra Marquis de Sade et créera par exemple certaines affiches du groupe, Richard Dumas, le photographe, l’association Terrapin... 

Marquis de Sade, un groupe de scène ou un groupe d’albums ?


Philippe Pascal est clair : c’est sur scène que Marquis de Sade  agissait et s’engageait, c’était sa raison d’être. Frank Darcel rappelle qu’à partir de la publication du premier album, les demandes de concerts affluent et le groupe démarre vraiment. Le bouche à oreille fonctionne alors rapidement. 

J’interviens alors sur la photo du concert "scène ouverte" (qui se déroule à la salle de la Cité, en 1978) présente dans le livre ROK1, où l’on découvre de nombreuses canettes de bières aux pieds de Dargelos et de Philippe Pascal. Marquis de Sade, un groupe de scène qui n’avait pas vraiment froid aux yeux ! 


Pour Philippe Pascal, l’histoire des cannettes envoyées sur la scène est limitée à ce concert à la Salle de la Cité, toutefois, le contexte rennais était effectivement parfois compliqué. Frank ajoute qu’il pouvait être difficile de cohabiter au quotidien avec des jeunes gens de leur âge, puis de les retrouver dans le public dans une salle de concert. Marquis de Sade, sans le vouloir avait parfois tendance à vampiriser d’autres groupes rennais, ce qui pouvait entrainer ces réactions. Avec le recul, ils soulignent qu’il y avait peut-être aussi un peu d’arrogance de leur part… les deux hommes rigolent et semblent se remémorer certaines situations. Frank rappelle qu’en Angleterre à la même époque, les concerts des Clash, par exemple se déroulaient dans un contexte de tension et d’affrontement. L’époque Punk ou post punk était celle-là.

Quid de la scène après Marquis de Sade ? 


Frank Darcel indique qu’après Octobre, il n’a vraiment repris la scène qu’avec son groupe actuel RepubliK. Pour Senso, son projet avec Patrick Vidal et Pascal Obispo, il composait mais ne faisait pas de scène. La coupure avec la scène sera assez longue puisqu’il passera une partie des années 1990 au Portugal, entre écriture et production musicale. 

J’ose indiquer à Philippe Pascal ma surprise de ne pas le voir plus souvent sur scène. Mon souvenir incroyable du concert de l’UBU en février 2015 (dans la cadre de la soirée "jeunes gens modernes") étant particulièrement vivace. Philippe Pascal est un homme de scène, il capte l’attention. Sa réponse est claire, la scène ne lui manque pas. J’insiste, un peu lourdement. Dans un sourire, il me répond que c’est son choix, rien de plus.

La composition et la production des titres


Frank Darcel indique qu’avant le premier album, très peu de concerts sont organisés. Par conséquent, les titres du 1er album ne sont pas vraiment testés en live, ce qui sera un peu différent pour le second album. Certains titres seront en effet joués avant d’être couchés sur le deuxième 33 tours.

En termes de composition, Frank Darcel explique qu’il arrivait généralement avec un riff de guitare, et le travail partait ensuite sur cette base, parfois, Philippe Pascal arrivait avec le texte et la musique était composée à partir de ses textes. Les harmonies vocales étant principalement gérées par Philippe Pascal. 

J’enchaine alors sur la production des albums. Pour Philippe Pascal, le premier album est produit par le groupe. Frank Darcel confirme en partie car  Thierry Haupais a également participé à cette production, c’est d’ailleurs lui qui est crédité sur l’album. Pour le second album, l’envie est différente, Frank Darcel souhaite un son particulier. L’écoute des groupes anglo-saxons fait ressortir un son que l’on n’entend pas dans la production française.

Il sollicite un producteur qui travaille avec Bryan Ferry, Steve Nye. La recherche d’un producteur est compliquée : un groupe français produit par un producteur étranger, certains producteurs leur rient au nez. Il faut effectivement s’adapter aux méthodes de travail d’un producteur anglo-saxon qui n’hésite pas à faire le ménage autour de lui. Frank Darcel rappelle l’anecdote de leur manager qui se fait renvoyer du studio par Steve Nye, celui-ci lui indiquant que les seules relations qu’il aura désormais avec lui passeront par son avocat, ceci dans un anglais bien imagé.

Il souligne la qualité du travail de Steve Nye. Après "Rue de siam" celui-ci produira en effet des albums de XTC, Brian Ferry, The Cure, Japan…Je profite de cet échange pour évoquer le souhait, à l’époque, de Philippe Pascal de solliciter plutôt le producteur des Buzzocks et de Joy Division, Martin Hannett. Philippe Pascal précise que Martin Hannett n’était pas trop connu des autres membres de Marquis de Sade, ils étaient donc passés assez rapidement sur une autre option.

Philippe Pascal sollicite alors Frank Darcel pour savoir si à l’époque ils connaissaient et écoutaient Joy Division. La réponse est plutôt non, quand Joy Division commence à être connu (1979), Marquis de Sade a déjà fait les maquettes de son premier album et n’est donc pas influencé par le groupe mancunien. Philippe Pascal se rappelle alors de la première personne qui lui a parlé de Joy Division, il s’agit de Frank Essner (celui-ci sera par ailleurs évoqué dans le livre "Touching for a distance" de Déborah Curtis) . Il avait logé temporairement chez Ian Curtis à Manchester et disposait de démos de Joy Division, qu’il souhaitait diffuser. Au final, Joy Division commencera à être connu en France grâce à une compilation de Factory records : "Factory sample" fin 1978 début 1979 (dans lequel figurera également Cabaret Voltaire).

Marquis de Sade, un mythe


Ma question est évidemment classique, mais je la pose quand même, comment expliquent- ils qu’un groupe dissous depuis 35 ans qui a sorti deux 33 tours, reste autant dans les mémoires et soit devenu progressivement mythique ? Pour Frank Darcel et Philippe Pascal, il n’y a pas de réelles explications et objectivement cela n’a rien changé à leur vie ensuite, chacun partant dans son propre projet musical.

Pour Frank Darcel, l’une des explications est le profil du groupe qui est particulier pour l’époque, les textes sont en partie en anglais. Sur la filiation musicale, Frank Darcel est plus nuancé, il n’y a pas vraiment de contact avec cette nouvelle "nouvelle scène rennaise". Frank souligne par exemple qu’il y a quelques années, les Champs Libres avaient proposé à des groupes rennais de reprendre quelques titres de Marquis de Sade (mars 2015, dans le cadre de l’opération "Écoutons la ville" partenariat entre les Champs Libres/Canal B et I’m from Rennes). L’idée était intéressante, toutefois, aucun groupe rennais n’avait  pris contact avec lui pour échanger sur leur histoire. Philippe Pascal taquine Frank Darcel : "tu es certainement trop impressionnant", rires.

Philippe Pascal indique qu’il était loin d’imaginer l’importance du groupe encore aujourd’hui. Pour preuve, au départ, ils avaient souhaité organiser le concert à la Salle de la Cité, malheureusement cela n’était pas techniquement possible. Au final, le nombre de places a été porté à presque 3 000 au Liberté. Philippe Pascal en reste surpris. Je m’emballe un peu en leur disant qu’effectivement passer d’un dernier concert au club rennais  "l’Espace" en 1981 devant une centaine de personnes pour un groupe alors au sommet, pour désormais se produire 35 ans après au «"Liberté" avec 3000 personnes. Il y a un vrai décalage. L’aura du groupe est bien là.

Bon, là, je me fais reprendre par Frank Darcel, sur "l'Espace". Frank Darcel et Philippe Pascal me précisent qu’à l’époque c’est une salle de concert d’au moins 500 voire 700 places. The Cure s’y produira deux fois. Anecdote : le concert d’adieu à  "l’Espace"  n’est pas vraiment leur dernier concert. Ils doivent en effet, pour des raisons contractuelles en réaliser un dernier à Maubeuges.

35 ans après, quel regard portent-ils sur Marquis de Sade ?


Frank Darcel confirme que globalement les titres et la qualité du son n’ont pas trop vieilli. Pour Philippe Pascal, la relecture des paroles et l’écoute des titres, l’étonnent un peu car il se voit très en colère dans les textes, une vraie rage. Après, il confirme qu’il n’avait pas nécessairement réécouté Marquis de Sade avant de se lancer dans les répétitions du concert, il était assez vite passé à d’autres projets. Il n’y a pas de regret ou de nostalgie.

Pour Frank Darcel, il valait mieux arrêter au moment où le groupe était bien. Peut-être qu’un troisième album aurait changé la vision du groupe et peut être également qu’on n’en parlerait moins désormais. Son seul regret apparent est de ne pas avoir tourné en Europe (en dehors de la Suisse et de la Belgique). Certaines villes (Berlin par exemple) auraient pu être des terrains propices pour présenter leur musique.

Impressionné


Le moment fatidique est arrivé, notre rencontre s’achève. Je les remercie vivement d’avoir accepté cet échange avec moi et pense également à tous ceux qui auraient souhaité être à ma place. France 3 Bretagne, m’a permis de rencontrer deux acteurs de l’histoire du rock français : impressionnant !

Tout au long de cet entretien, ils auront été agréables, souriants, disponibles n’hésitant pas à raconter des anecdotes. J’ose une dernière chose, la dédicace de mon vinyle "Dandzig Twist" (qui n’est malheureusement qu’une réédition), Philippe et Frank acceptent, me voilà avec un joli collector qui désormais m’accompagnera. Philippe Pascal me précisera que la réédition n’est pas totalement identique à l’originale, la page interne étant beaucoup plus noire à l’époque.


Comme quoi Marquis de Sade n’est pas un lointain souvenir, la mémoire du détail est toujours là. Et comme le précise Frank Darcel sur la dédicace "let’s twist again on september 16th…"



Et si vous preniez la plume ?
La rédaction a décidé d'associer périodiquement un téléspectateur à l’un de ses reportages. Vous accompagnez une équipe sur le terrain et vous réalisez votre propre interview. A vous ensuite de rédiger un court article qui sera publié sur le site internet de France 3 Bretagne. 

Pour cet article, c’est Carl qui a eu le plaisir et la responsabilité d’interviewer Philippe Pascal et Frank Darcel du groupe Marquis de Sade. Carl, 42 ans, plus de 400 concerts  au compteur a apprécié ce moment entre "stress et enthousiasme". "Une proposition comme celle-là de la part d’un média c’est plutôt inopiné. C’est un truc que tu ne feras pas à priori. Tu bascules dans un autre monde, un peu dans la peau d’un journaliste musical, toutes proportions gardées. Il faut aussi assumer son écrit." 

Merci à Carl pour son audace. Son article démontre son grand intérêt et sa connaissance du sujet. Merci à Frank et à Philippe pour leur grande disponibilité


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