Mona Ozouf, Bretonne, grande historienne, a grandi tiraillée entre les principes de la culture bretonne à la maison, les valeurs de la République à l'école et les principes de l'Église catholique. À 92 ans, elle vient d'être élue Bretonne de l'année lors des victoires de la Bretagne.
Mona Ozouf, de son vrai nom Mona Annig Sohier, est née le 24 février 1931 dans la petite commune finistérienne de Lannilis. Fille d'instituteurs de campagne et militants, Mona Ozouf a grandi dans la Bretagne des années 30. Une Bretagne à l'époque traversée par de multiples identités.
Le breton, cette vieille langue si méprisée, avec ses expressions de toutes les passions humaines.
Mona Ozouf
Enfance bretonne et éducation française
Alors qu'elle n'a que quatre ans, son père décède d'une pneumonie.
C'est à travers des photographies et la bibliothèque de son père, dédiée à l'histoire de la culture bretonne, que Mona s'est créé des souvenirs et des légendes. De personnalité très singulière, son père était de gauche et militant breton, et défendait corps et âme la cause bretonne.
Comme par une boulimie insatiable, elle s'est nourrie d'ouvrages et de traductions d'auteurs en breton.
Appartenances et singularités
Sa mère, totalement dévouée à l'enseignement, restera meurtrie par le décès de son époux. À l'époque, le remariage ne compte pas dans les "bonnes mœurs" de la religion catholique, très forte en Bretagne.
Sous le contrôle de sa grand-mère désormais venue consolider le cadre familial, la petite Mona grandit ainsi dans le chagrin, l'isolement et la vigilance. Les trois femmes habitaient dans l'école et le cadre dans lequel l'enfant est élevée est parfaitement délimité.
« Et si ton père te voyait » lui renvoient les deux femmes. À force, Mona s'est construit un surmoi très lourd, et d’une extrême timidité, qui continuera à l’habiter tout au long du parcours.
Tout cela constitue les appartenances et les singularités de son identité.
Il y a quelque chose de violent dans la définition l’identité. Au lieu de demander qui nous sommes, demandons-nous qui est l’autre.
Mona Ozouf
L’école, la France et l’Eglise
Mona Ozouf, n'est jamais sortie de l’école. Professeure, puis historienne, elle a écrit sur l’enseignement, l'éducation et les instituteurs. Peut-être une manière d'être hors d’atteinte de ce qui était menaçant ou douloureux à l’extérieur.
J’ai beaucoup aimé l’école, mais surtout la cour de l’école.
Mona Ozouf
La maison était vouée à la Bretagne et l’école vouée à la France. Sur les murs des classes, des cartes géographiques invitaient à sortir de l’espace claustrale, à la rencontre des héros de la France.
Le rituel du dimanche consistait à aller à la messe, aux vêpres et au cimetière. Dans ses souvenirs, l'espace de l'église était un espace sociologiquement quadrillé. D'une part, les garçons venant de l'école des Frères de l'école catholique, de l'autre, ceux de l'école laïque, tenus à distance. La même disposition pour les filles, mais de l'autre côté de l'allée ou au fond de l'église.
Fallait-il vivre inégaux et dissemblables comme l’Eglise le pratiquait, égaux et semblables comme l’école de la République le réclamait, ou alors, égaux pour faire valoir notre dissemblance ?
Mona Ozouf
L'ouverture vers l'extérieur
En 1941, pour sa rentrée au collège publique, les trois femmes déménagent à Saint-Brieuc. En pleine guerre et sous l'occupation des Allemands, le collège des jeunes filles était un monde clos, mais qui menait vers autre chose, enfin.
C'est à Normal' Sup à Paris, qu'elle part étudier. Pour la première fois de sa vie, elle quittait la Bretagne. Pour la jeune Mona, c'était l'occasion d'accepter le "pluriel" qui était en elle.
C'est le hasard des rencontres, des paroles ou de lecture qui a décidé de mes choix. Je n'ai jamais eu de vocation.
Mona Ozouf
Mona se souvient qu'en arrivant en classe préparatoire, "du fin fond de sa Bretagne", elle était terrifiée. D'une part, par la difficulté des sujets proposés, mais aussi par ses amis, qui eux, avaient l'air de tout savoir et étaient beaucoup plus informés.
Elle y a rencontré une bande de jeunes historiens. Ils s'appellent Emmanuel Le Roy Ladurie, François Forray, Maurice Agulhon, et Jacques Ozouf, qui deviendra son époux. Tous ses jeunes qui n'avaient pas encore écrit d'œuvre, mais avaient bien l'ambition d'en faire une. Avec eux, elle a pris goût à écrire et à s'engager.
Une identité intime et collective
Ses camarades se chargent de son éducation politique, et c'est ainsi qu'entre particularisme et universalisme, Mona Ouzouf n'a eu de cesse de s'appliquer à essayer de comprendre son pays.
Mona Ozouf, c'est une vie d'intellectuelle, un lien affectif à la Bretagne, une citoyenneté républicaine et une éducation religieuse. Elle n'a jamais renoncé à aucun de ces attachements.
Nos appartenances sont multiples. La partie élective peut ne pas être notre patrie native. On peut combiner les deux, elles ne sont pas antagonistes.
Mona Ozouf
"Les identités de Mona Ozouf", un documentaire réalisé par Catherine Bernstein, sera diffusé le jeudi 14 décembre à 22h50, et sur France.tv