Témoignage. Journée mondiale de lutte contre le sida. "Vivre avec, ce n'est pas un handicap, c'est une gêne invisible"

Gérald est séropositif depuis presque 40 ans. Le Rennais a connu les premiers traitements contre le sida, lourds et peu efficaces. Il a traversé les décennies en se jurant que le virus n'aurait jamais sa peau. A 56 ans, il déroule un récit qui convoque les visages disparus, le combat et la sérénité retrouvée.

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Le geste est devenu mécanique. Chaque soir, avant de se coucher, Gérald avale son cachet de trithérapie. Son bouclier contre le sida. Depuis près de 40 ans, l'homme compose avec sa séropositivité.

Elle est une compagne de vie peu envahissante qui se rappelle toutefois à lui lorsqu'il attend les résultats de son suivi médical annuel. "C'est dans ces moments-là que j'ai un petit pic d'angoisse, confie-t-il. Sinon, je n'y pense pas. D'autant que ma charge virale est devenue indétectable grâce au traitement. Ma vie aujourd'hui n'a rien à voir avec ce qu'elle a été à l'époque".

"Combien de temps il me reste"

A l'époque, ce sont les années 80. Quand le sida, Outre-Atlantique, est encore qualifié de "cancer gay" et que l'information sur le virus reste sommaire.

Gérald a 18 ans. S'il cache son homosexualité à sa famille, il découvre ce qu'il appelle "le milieu". Les rencontres. L'insouciance. "Et la confiance que je donnais facilement aux autres. Je me disais 'si ce mec vient avec moi, c'est qu'il n'y a pas de problème' ou encore  'il est mignon, propre sur lui donc il n'y a pas de risque'. Je pensais que ce que je faisais était bien. Finalement, on ne savait pas grand chose".

Une époque. Un contexte. Et, au bout du chemin, la contamination que Gérald ne découvre que quelques années plus tard, à la faveur d'un test qui révèle sa séropositivité. S'ensuivent des premiers bilans sanguins, lesquels montrent que ses défenses immunitaires sont à plat. "J'avais pourtant zéro symptôme, explique-t-il. Je me suis pris le diagnostic en pleine figure, surtout que, vu mon état, ça allait être compliqué de me soigner. Le seul traitement qui existait, c'était l'AZT. Et il était loin d'être efficace".

Gérald pose la question "combien de temps il me reste ?" au médecin de l'hôpital. La réponse claque : trois ans. "Et là, la première chose à laquelle j'ai pensé, c'est comment je vais le dire à ma famille ?. Il fallait que je leur annonce à la fois que j'étais homo et séropositif. C'est ça qui a été le plus compliqué pour moi, bien plus que de devoir vivre avec le virus. J'avais peur d'être rejeté, isolé. Finalement, j'ai commencé par la séropositivité avant de dire le reste". 

Rester debout

Si le Rennais, aujourd'hui coordinateur de l'association Aides en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-d'Armor, prend la bataille contre le sida à bras-le-corps, son corps à lui s'affaiblit sous l'effet de l'AZT. La fatigue est extrême. Les vomissements, les diarrhées, les vertiges, les crampes sont le prix à payer pour rester debout.

Sa vie amoureuse chancelle. "Pendant longtemps, je n'osais plus avoir de relations, j'avais l'angoisse de contaminer quelqu'un, relate-t-il. Après, quand je rencontrais un homme, je lui disais que j'étais séropo. 'Je ne couche pas avec les malades', ce genre de phrase, je l'ai entendue souvent".

Dans son entourage, des visages amis disparaissent, emportés par la maladie. Il tient bon. Encaisse. Avance. En 1996, la trithérapie change la donne. "J'avais eu l'AZT, les monothérapies, les bithérapies et arrive la trithérapie qui endort le virus, sans tous les effets secondaires horribles des premiers traitements. Alors certes, elle ne guérit pas. Mais elle permet de vivre mieux ". Et plus loin qu'un pronostic brutal de trois ans.

Mémoire

Quand il regarde en arrière et déroule ses presque quarante années de séropositivité, Gérald raconte dans un grand éclat de rire qu'il a vieilli. D'autres feraient la moue. Lui savoure chaque année qui balaie la précédente. "Vous savez, vivre avec ce virus, ce n'est pas un handicap. C'est plutôt une gêne invisible. Je sais qu'il est là, c'est tout".

Gérald s'est marié il y a 8 ans. Il s'est également investi très tôt dans les actions de prévention et de sensibilisation de l'association Aides. "C'est une porte qui s'est ouverte, analyse-t-il. J'ai appris beaucoup de choses à travers les autres. Je me suis senti soutenu et compris"

Sans jouer les donneurs de leçon, cet homme de 56 ans observe le phénomène de banalisation du sida, "parce que les nouveaux traitements existent et que l'on s'en sort". Il vient justement d'animer une réunion avec des étudiants rennais chez lesquels il n'a ressenti "pas plus de peur que ça ni même d'angoisse. La vision est différente. Les mentalités évoluent. A Rennes, par exemple, il n'y a plus de groupes de parole pour les personnes séropositives car les attentes ne sont plus les mêmes. Nous, à l'époque, nous en avions besoin car nous étions paumés et seuls".

Gérald n'a pas la mémoire courte. Les amis qu'il a perdus, ceux qui, comme lui, ont traversé le temps, c'est à eux qu'ils pensent. Et pas seulement le 1er décembre. C'est leur histoire et la sienne qu'il aime transmettre. "C'est important de se rappeler que des gens sont morts et que si nous sommes encore là, c'est aussi grâce à eux". 

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