Témoignage. "La prison, il est temps de la regarder", l'ancienne surveillante de la prison des femmes de Rennes brise le silence

Ses 37 années de surveillante à la prison des femmes de Rennes, Marie-Annick Horel les retrace dans un livre au franc-parler et sans concession. Un témoignage inédit sur l'univers carcéral féminin. Un récit de l'intérieur sur ces détenues condamnées à des longues peines et sur un métier confronté au manque de moyens.

Elle a 21 ans quand elle entre comme surveillante à la prison des femmes de Rennes. Marie-Annick Horel suit alors les conseils d'une collègue. "Note tout pour ne rien oublier" lui dit-elle.

Pendant trente-sept ans, elle va ainsi noircir les pages de ses carnets. "Je savais qu'un jour, j'en ferais quelque chose". Une fois à la retraite, elle met de l'ordre dans ses souvenirs et prend la plume. Pour de bon.

Son livre, Au coeur de la prison des femmesest paru ce 3 mars. Elle y retrace sa vie de surveillante dans le seul centre pénitentiaire français exclusivement réservé aux femmes. Des longues peines "qui ne se pardonnent jamais".

"Pas dans l'angélisme non plus"

La plume est sans détour pour décrire un métier qu'elle estime "mal dépeint" et "oublié". "Personne ne parle des surveillants, assène-t-elle en préambule, sauf lorsque la situation dérape en mutinerie ou en évasion". Il y a de la colère dans les mots. Elle relève aussi le vocabulaire dont "la société, les médias usent pour nous définir : 'gardiens de prison', autant dire 'garde-chiourmes', quand ils ne retiennent pas le nom donné par les détenus : maton".

Elle même essuie des remarques, des jugements hâtifs, "les questions stupides", la curiosité, le mépris parfois quand elle explique qu'elle travaille dans une prison pour femmes. "La réalité est que ce métier fait peur et qu'il n'est pas compris, relate-t-elle. La prison est une micro-société dont le grand public ignore tout. Il est temps de la regarder"

Marie-Annick Horel reconnaît que le centre pénitentiaire de Rennes n'a rien de comparable avec ce que vivent, dans d'autres établissements, les surveillants confrontés à la surpopulation carcérale "et tout ce qu'elle engendre comme tensions, agressions, mal-être de part et d'autre, souligne-t-elle. La prison de Rennes, à côté, c'est du velours". A peine 300 détenues et du temps pour "bien travailler, écouter, échanger, partager avec ces femmes" pour lesquelles elle éprouve de l'empathie. "Mais je ne fais pas dans l'angélisme non plus" prévient celle qui, durant 37 ans, a su trouver la juste distance. 

"Oubliées et très vite abandonnées"

L'ancienne surveillante dit encore que ces femmes incarcérées sont, elles aussi, "oubliées" - "est-ce parce qu'elles ne représentent que 3,5 % des personnes mises sous écrou qu'elles sont mises hors-jeu ?" interroge-t-elle dans son livre - et "très vite abandonnées". Elle s'appuie sur ce qu'elle a observé à Rennes : des parloirs désertés par les conjoints et la famille entière. 

Elle évoque l'histoire de cette détenue, "condamnée à trente ans de réclusion criminelle" après avoir tué son mari et ses enfants. "Une femme, précise-t-elle, issue de la classe moyenne. Je discutais souvent avec elle. Elle avait une mère, un frère et une soeur. Aucun d'entre eux n'est jamais venu la voir en prison. Elle, elle considérait leur attitude comme normale. Elle me répétait : 'je ne mérite pas d'avoir du soutien'. Des récits, comme le sien, j'en ai entendus beaucoup".

"Les femmes sont mises à l'écart à la fois dans le regard que la société porte sur elles, mais aussi dans leur prise en charge

Marie-Annick Horel

Pas d'angélisme mais de l'humanité. "Nous ne gardons pas des objets quand même" rappelle Marie-Annick Horel qui, dans son livre, déplore "la discrimination" à laquelle les détenues sont exposées "dès l'instant où elles posent un pied en prison". "Encore récemment, on ne trouvait ni tampons ni serviettes hygiéniques dans le kit" remis aux femmes à leur arrivée. "Les choses ont changé à Rennes, nuance-t-elle aujourd'hui, grâce à l'intervention de la direction du centre pénitentiaire".

Elle pointe les formations qui "cantonnent les femmes emprisonnées aux ateliers de confection, cartonnage et couture, ce qui limite leur réinsertion". L'ancienne surveillante, qui n'a jamais voulu grimper les échelons pour se retrouver dans un bureau, "loin des cellules", dresse un constat sans appel sur la situation des 3.000 détenues que comptent les prisons françaises. "Elles sont mises à l'écart à la fois dans le regard que la société porte sur elles, écrit Marie-Annick Horel, mais aussi dans leur prise en charge".

"Je me demandais si j'allais tenir le coup"

Cette fille d'un officier de la marine marchande est entrée dans "la pénitentiaire" un peu par hasard. Quand elle passe le concours, "il n'y a que des hommes dans la salle". Dans sa promotion, à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire, elles ne sont que six. 

Sans hésiter, elle postule en Bretagne en 1980. Sa première journée à la prison de Rennes ? "Je me sentais mal, dit-elle. Je me demandais si j'allais tenir le coup. Au début, je ne faisais que fermer et ouvrir des portes. Les ouvrir, ça allait. Mais les refermer, enfermer quelqu'un, le geste n'était pas anodin".
Une collègue, avec dix ans de métier, la prend sous son aile. "Quand on entre là-dedans, on est des apprenties. C'est important d'avoir quelqu'un qui nous montre le chemin. C'est ce qu'elle a fait pour moi"

La prison a ses travers. Mais elle devrait aussi être un espace de reconstruction pour l’individu, or nous en sommes loin

Marie-Annick Horel

La conversation revient à son métier, "un métier qui bouffe" confie l'ancienne surveillante mais dont elle est "fière". Un métier qu'il est difficile de laisser à la porte de chez soi. Passer à autre chose, pas si simple, malgré une vie de famille. "Un jour mon fils m'a dit que tout cela avait pesé lourd dans notre quotidien, qu'il me trouvait parfois triste".

Marie-Annick Horel admet qu'il faut être "hyper solide" pour ne pas craquer et "réfléchir avant d’accepter une mission qui demande d’aimer les gens, de les respecter, même s’ils ont commis des actes graves".

Son livre, elle l'a écrit "pour libérer une parole trop longtemps contenue et raconter de l’intérieur les injonctions paradoxales de l’administration pénitentiaire, la violence, la mort, le manque de moyens (...) La prison a ses travers. Mais elle devrait aussi être un espace de reconstruction pour l’individu, or nous en sommes loin".

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