Il fallait un jeune homme de 33 aujourd'hui pour rendre Shakespeare aussi palpitant que "Game of Thrones": Thomas Jolly crée vendredi au Théâtre National de Bretagne (TNB) à Rennes "Richard III", épilogue de son "Henry VI" marathon, donné en 18 heures au festival d'Avignon.
Lorsque le rideau tombe en juillet 2014 sur "Henry VI", le public trépigne et réclame la suite, comme dans une série télévisée. Un an et demi plus tard, voici donc "Richard III", "l'épilogue crépusculaire" de la saga, dont la tournée fera étape au Théâtre de L'Odéon du 6 janvier au 14 février.
En quelques années, le jeune homme malicieux s'est imposé comme un des metteurs en scène les plus inventifs de la jeune génération, artisan d'un théâtre de troupe, populaire et enthousiaste. Et tout cela de la manière la plus "traditionnelle" qui soit: "un théâtre avec des chaises pour faire les chevaux, et où on se bat avec des rubans!" sourit-il.
Un passionné déterminé
Ce théâtre généreux est toujours à l'oeuvre dans "Richard III" mais "le coté solaire, le sourire qui traversait Henry VI a cédé la place au chaos", dit-il. Des lumières robots menaçantes tournent autour des comédiens et tracent des faisceaux laser comme dans Star Wars: "c'est la gorge de la mort".Pour jouer le sulfureux Richard, Thomas Jolly devra être un brin schizophréne: lui-même est un vif-argent, un jeune homme mince et agile qui rit de son costume ajusté "comme un habit de toréador!" C'est aussi un passionné qui sait déplacer les montagnes: il a fallu une sacrée détermination pour faire financer par une douzaine de théâtres publics un projet insensé en 18 heures, en période de disette budgétaire. "Ma croyance dans le théâtre me donne des ailes", dit-il, "je crois que le théâtre est nécessaire, utile, urgent dans les temps que nous traversons".
Pris par le théâtre dès son plus jeune âge
Rien ne le prédestine à jouer Shakespeare comme il respire: un papa imprimeur, une maman infirmière, une enfance en Normandie. "L'histoire commence quand j'ai 5 ou 6 ans, je reçois en cadeau d'anniversaire un livre de Pierre Gripari qui a écrit de petites pièces pour les enfants qu'on peut monter dans sa chambre avec ses amis."Il débute les cours de théâtre en cinquième et n'en sort plus, du lycée à la fac et à l'école du Théâtre National de Bretagne. A la sortie en 2006, il fonde sa compagnie "La Piccola Familia", dont l'effectif est passé de 6 à 60 aujourd'hui.
Un Richard III au climat délétère
Le succès ne lui pas donné la grosse tête. Il s'émerveille de "voir que dans cette période de vitesse, de précipitation, non seulement le public a traversé 18 heures de théâtre, mais ils en veulent encore!" Autour de Henry VI s'est créée une petite communauté, qui correspond avec les comptes Twitter des personnages de la pièce.Comme dans les séries, Thomas Jolly envisage de faire précéder "Richard III" d'un petit résumé des épisodes précédents, une sorte de "réminiscence". "On ne comprend pas forcément si on tombe comme ça dans Richard III que cela fait cinquante ans que deux familles se battent et que c'est terminé. Nous, on a ce trésor de Henry VI et on peut puiser dedans pour comprendre tous les ressorts du personnage", explique-t-il.
Thomas Jolly n'a pas voulu d'un "one man show" à la manière du formidable "Richard III" campé par Lars Eidinger dans la mise en scène spectaculaire de Thomas Ostermeier en juillet à Avignon. "Ce n'est pas un ange exterminateur descendu du ciel pour faire régner le chaos, il ne réussit que parce qu'il se sert d'un climat délétère, où tout le monde voit ce qui se passe, mais personne n'est assez hardi pour le dire", un peu comme dans la politique aujourd'hui, souligne-t-il.
Et après Shakespeare? Thomas Jolly projette une trilogie autour de "Thyeste" de Sénèque, "une autre épopée", dit-il avec gourmandise.