Après un périple de 70.000 km autour du globe, la goélette Tara a fait samedi son retour à Lorient, avec des milliers de prélèvements de micro-organismes dont l'analyse doit permettre de mieux comprendre le fonctionnement du plancton océanique.
Après presque deux ans de mission "Microbiome", la goélette Tara a fait une dernière escale sur l'île de Groix pour une conférence de presse avant de rejoindre Lorient son port d'attache.
Au cours de son trajet du Chili à l'Afrique, en passant par l'Amazonie et l'Antarctique, le célèbre voilier-laboratoire conçu par l'explorateur Jean-Louis Etienne a réalisé près de 25.000 prélèvements de micro-organismes marins (virus, bactéries, prostites, animaux, etc).
"Toutes ces données vont être analysées. D'ici 18 mois à deux ans, on commencera à avoir les premières découvertes de cette mission car pendant qu'on est en mer, il y a 300 chercheurs qui travaillent", a indiqué Romain Troublé, le directeur de la Fondation Tara
A la base de la chaîne alimentaire, ces micro-organismes, "peuple invisible de la mer", constituent plus des deux tiers de la biomasse marine. Ils captent le CO2 atmosphérique et fournissent la moitié de l'oxygène que nous respirons.
"La question qu'on se pose, c'est: comment ça marche? Comment tous ces virus, ces bactéries, ces microalgues marines arrivent à interagir pour produire de l'oxygène, stocker du carbone et produire des protéines?", a expliqué Romain Troublé. "Et comment ça va changer demain avec le changement climatique et la pollution?"
Sargasses et pollution plastique
La goélette s'est notamment intéressée à l'impact du fleuve Amazone, dont le débit avoisine les 200 millions de litres par seconde, sur la vie des océans et du microbiome océanique.
"On pense que l'Amazone a un rôle dans le développement des sargasses", a relevé Samuel Chaffront, chercheur CNRS à Nantes Université.
Ces algues, qui prolifèrent dans les Antilles, dégagent des émanations nauséabondes et toxiques quand elles pourrissent sur le rivage.
"Une des hypothèses est que la déforestation du Brésil et l'agriculture croissante a augmenté la décharge d'engrais nitraté dans l'Amazone", a dit Samuel Chaffront. "Cela va permettre le développement de ces sargasses qui sont des espèces invasives et qu'on retrouve jusqu'aux côtes africaines."
Les données récoltées par Tara lors de ces précédentes missions ont donné lieu à plus de 250 publications dans la presse scientifique.
Le rôle de la pollution plastique étudié durant les 22 mois de mission
"C'est un petit écosystème qui se passe sur chaque morceau de plastique dans les océans", a expliqué Jean-François Ghiglione, directeur de recherche CNRS au laboratoire d'océanographie microbienne de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales). "On veut voir si les microorganismes pathogènes qui vivent sur ces petits radeaux de plastique vont aller se balader dans les océans", a-t-il ajouté.
La goélette de 36 m de long et 10 m de large, avec plusieurs laboratoires à bord, accueille 14 personnes, dont une demi-douzaine de scientifiques de toutes nationalités.
Ces derniers se sont relayés à plusieurs reprises au gré de leurs sujets de recherche.
Chaque partie de la mission a reçu le nom d'une femme scientifique appartenant à la région du globe traversée par Tara, "pour rendre hommage" à ces chercheuses, a précisé Flora Vincent, cheffe d'équipe au laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) à Heidelberg, en Allemagne.
"Chaque chef de mission a dû se creuser un peu la tête", a souri la jeune chercheuse spécialisée en microbiologie marine qui a étudié les efflorescences de micro-algues au large de l'Argentine.
Nouvelle mission au printemps 2023
"Tara est emblématique d'un outil scientifique qui mêle la recherche de pointe et la parole des scientifiques au service de la société. Il n'y a pas plus bel exemple", a salué la ministre de la recherche Sylvie Retailleau, au cours du point de presse à Groix.
Après plusieurs mois en cale sèche, la goélette larguera les amarres au printemps 2023 pour une mission sur la pollution chimique au large des côtes européennes.