Bonne nouvelle pour la biodiversité : la vente des semences reproductibles est enfin autorisée par la loi française, mais aux jardiniers amateurs seulement. Une victoire, quant on sait que 90 % des variétés agricoles traditionnelles ne sont plus cultivées. Mais l'Europe n'approuve pas cette loi.
La vente de semences paysannes est enfin autorisée par la loi. Des semences que leurs défenseurs préfèrent nommer semences reproductibles. Une commercialisation qui ne s'adresse qu'aux jardiniers amateurs et aux collectivités.
La nouvelle n'a pas fait grand bruit
Discrètement publié au journal officel le 11 juin 2020, ce texte fait suite à un premier texte voté en 2016 mais censuré par le Conseil constitutionnel.
Après des années de combat, la vente de #semences paysannes à des jardiniers amateurs est enfin officielle ! Un grand pas pour la #biodiversité ! Prochaine bataille à mener à l’échelle de l’#UE : autoriser la commercialisation des semences paysannes en agriculture conventionnelle https://t.co/WYM81XVB3c
— Barbara Pompili (@barbarapompili) June 11, 2020
Avant cette loi, un maraîcher qui cultivait ses propres fruits et légumes ne pouvait pas commercialiser des semences issues de sa propre production. Seules les semences répertoriées et inscrites dans un catalogue officiel sont autorisées à la vente.
Cette obligation fait le jeu des grands semenciers de la planète, à savoir Monsanto (absorbé par Bayer en 2016), DuPont, Syngenta ou encore le groupe coopératif Français Limagrain...
Les semences hybrides
Les semences desquelles est issue une grande majorité des fruits, des légumes ou encore des plantes que nous achetons, sont des semences hybrides. Ce ne sont pas des OGM (Organisme génétiquement modifié), mais pour les obtenir, il faut pousser la sélection variétale à l'extrême. Concrètement, vous sélectionnez une tomate A, très rouge pour sa couleur et une autre tomate B, pour la dureté de sa peau. Ces deux qualités A et B sont alors réunies au sein d'une même tomate, grâce à la sélection génétique. Vous obtenez ainsi une tomate appétissante par sa couleur et robuste pour le transport avec sa peau dure.
C'est ce que l'on appelle une semence hybride F1 (hybride de première génération stérile ou dégénérescente) pour désigner une hybridation poussée à l'extrême. Le spectre génétique de cette graine de tomate, qui n'est pas présent au départ dans la nature, est tel que pour se développer, on doit lui ajouter des engrais et des pesticides, en quantité "raisonnée", pour qu'elle donne un fruit. Cette sélection génétique rend volontairement les graines de cette tomate stériles ou peu reproductibles. Donc, si vous replantez cette graine, votre production ne sera jamais à la hauteur de ce que vous avez récolté l'année précédente. Il se peut même qu'elle ne pousse pas du tout. Le cultivateur doit donc commander chaque année des graines, des engrais et des pesticides pour obtenir une récolte à peu près constante. D'autant plus que cette semence hybride F1 appartient au groupe industriel qui l'a développée, vous ne pouvez donc pas la réutiliser, elle est protégée par un brevet.
"Qui contrôle la semence, contrôle les peuples"
La majeure partie des groupes semenciers, comme ceux cités précédemment sont également des multinationales agrochimiques. Ces dernières déposent des brevets pour ces semences F1, ce qui empêche quiconque de s'approprier leurs graines "programmées" pour devenir inopérantes. Des semences brevetées et inscrites au catalogue officiel du ministère de l'Agriculture ainsi qu'au niveau Européen. A la différence des semences paysannes (semences reproductibles) qui restent libre de droit. Une différence de taille, puisque seules les semences inscrites au catalogue officiel peuvent être commercialisées.
Ces brevets sur le vivant sont une aberration pour l'association Kokopelli qui distribue depuis plus de 20 ans ces semences anciennes en dépit de la loi qui le lui interdit, comme nous le confie son président Ananda Guillet.
Cette contrainte est bénie par les multinationales comme Bayer et les autres, ils peuvent ainsi contrôler les semences, les agriculteurs et la nourriture que nous mangeons. Mais l'agriculture est née il y a 45 00 ans et les échanges de semences comme leur reproduction ont toujours fait partie de son histoire. Ce qui est illégal aujourd'hui existe depuis des dizaines de milliers d'années. C'est l'agro-industrie qui a décidé au lendemain de la seconde guerre mondiale de changer ces règles de libre distribution et de gratuité. On y voit bien la mainmise de l'agro-industrie sur le politique.
Une autre organisation lutte depuis des années contre cette interdiction : le réseau semences paysannes.
Ce retour officiel des semences reproductibles est donc une bonne nouvelle pour ces associations. Un premier pas, car elles ne peuvent être vendues qu'aux jardiniers amateurs ou aux collectivités, comme précisé dans le Journal officiel. L'association va t-elle alors inscrire ces semences paysannes au catalogue officiel ?
Certainement pas. Il n'y a aucune raison d'inscrire le vivant sur un catalogue. Nous ne voulons pas rentrer dans ce jeu. On inscrit seulement quelque chose qui est stable. C'est une aberration juridique, éthique et botanique. C'est aussi financier, cela a un coût, ce qui favorise les grands groupes. On s'y refuse. Nous sommes des militants. Nous ne voulons pas rentrer dans ce jeu.
Historiquement on a industrialisé l'agriculture après la guerre 39-45 pour augmenter la production.
Le problème c'est que cette homogénéisation des variétés créée par les industriels au lendemain de la guerre permet de contrôler aujourd'hui les variétés autorisées sur le marché. Ce qui conduit à la standardisation de notre alimentation et à un appauvrissement de la biodiversité. C’est une industrie récente qui a décidé de changer ces règles fondées sur la gratuité et la libre distribution.
Biodiversité et industrie chimique ne font pas bon ménage
Pour le président de l'association Kokopelli, un autre problème se pose. Ces hybrides F1 sont des variétés souvent mono résistantes. Elles sont "programmées" pour résister essentiellement à une seule maladie, comme le mildiou sur la tomate par exemple. Cela va à l'encontre de la biodiversité. Alors que les semences reproductibles ont des résistances horizontales, qu'elles transmettent de génération en génération. Elles peuvent donc s'acclimater dans tous les terroirs imaginables et possibles. Les préserver et les distribuer, c'est donc conserver une partie de la biodiversité.
La plupart des groupes semenciers multinationaux sont aussi des firmes agrochimiques. Les semences ne sont pas très onéreuses. Les profits de ces groupes se font essentiellement sur les ventes des engrais et des pesticides. C'est un marché très lucratif. Ils détiennent à la fois les semences et les produits chimiques pour les faire pousser. Ce sont des gens puissants, pour preuve de leur influence, cette loi qui vient de paraître en France, a été mise en stand-by il y a quelques jours par la Commission européenne. Est-il éthique que des firmes privées déposent des brevets sur du vivant ? C'est scandaleux !
La culture biologique logée à la même enseigne
Ces semences hybrides représentent également la majorité des semences utilisées par l'agriculture biologique. Pour les défenseurs de ces semences reproductibles, il n'est pas normal de ne pas pouvoir ressemer l'année suivante ces variétés hybrides.
C'est une trés bonne nouvelle aussi pour la Conféderation paysanne qui se réjouit d'une telle décision. "On défend la biodiversité et le maintien des espèces anciennes. Ces espèces qui disparaissent possèdent des qualités qui pourront nous servir demain pour nous adapter aux conditions climatiques changeantes et aux differentes maladies auxquelles les cultures devront faire face dans le futur. C'est le même problème avec les animaux et la conservation des races anciennes", explique Charlotte Kerglonou, porte parole de la Confédération paysanne d' Ille-et-Vilaine
Cette autorisation de vendre des semences reproductibles ou paysannes représente aujourd'hui une avancée pour les défenseurs de la biodiversité. Leur but : essayer de retourner vers l’autonomie alimentaire et semencière. Mais ces ventes autorisées ne concernent que le marché des jardiniers amateurs et des collectivités. Un marché anecdotique et peu lucratif pour les grandes firmes semencières, même si vous y ajoutez les plusieurs milliers de paysans et de maraîchers en Europe qui ont déjà recours, en toute illégalité, à ces semences paysannes. Des hommes engagés pour préserver une partie de notre biodiversité, souvent dans l'illégalité, car pour ces derniers il y a des "intérêts plus essentiels que ceux de l'agro-industrie" ajoute Anonda Guillet.
Mais ils sont peu nombreux et peu influents, à la différence des agriculteurs clients de l'agro-industrie. Du côté de l'Europe, on semble jouer la montre, en émettant un avis circonstancié sur cette loi. La Commision européenne estime que la vente, même pour le jardinage est contraire à la loi européenne. Les lobbyistes seraient-ils dans la place ? Sauf que la loi a été inscrite au Journal officiel le 11 juin 2020. Elle est donc applicable en France. Une loi qui pourtant tombe sous le bon sens du vivant.
Un bras de fer va maintenant s'engager entre le ministère de l'Agriculture et la Commission européenne car la vente de ces semences reproductibles a bel et bien éclos en France. L'association Kokopelli, elle, poursuit son combat. Elle distribue chaque année plus de 700 000 sachets de semences paysannes dans l'Hexagone et à l'étranger.
"N’oublions pas que 90 % des variétés agricoles traditionnelles ne sont plus cultivés" aime à rappeler Frédérique Tuffnell, ex-députée LREM, désormais membre du groupe Écologie démocratie solidarité.