À l'occasion de la commémoration des 40 ans de l'élection de François Mitterrand, les élus socialistes de la Région Centre-Val de Loire ont livré leurs souvenirs d'une période où "tout devenait possible" pour la gauche. À un an de l'élection présidentielle, ils veulent croire à une nouvelle union.
C’était il y a 40 ans. Le 10 mai 1981 marqua un tournant dans l’histoire politique française. À 20 h, les écrans de télévision de toute la France laissèrent apparaître le visage de François Mitterrand, synonyme de victoire pour la gauche à l’élection présidentielle. "J’étais à l’époque président des socialistes du Montargois, se souvient le Président-sortant de la Région Centre-Val de Loire, François Bonneau. Nous avions organisé un rassemblement dans une salle pour vivre le résultat ensemble. L’image qu’il me reste est celle d’un vieux libraire de 70 ans qui, dès l’annonce du résultat s’est mis à sangloter. Il n’arrivait même plus à s’exprimer, pris par la joie."
Après 23 ans d’attente, l’alternance politique voyait enfin le jour pour une gauche qui "espérait, mais n’osait pas y croire". Le maire de Blois, Marc Gricourt décrit lui une "soirée que l’on n’oublie pas", pour ce qui fut son premier scrutin en tant qu’électeur. Dans la bouche de tous les élus socialistes interrogés, l’évocation de ces souvenirs rappelle l’émotion d’un moment particulier puis, très vite, une liesse populaire.
C’était le 10 mai 1981, il y a 40 ans. François Mitterrand était élu président de la République. Une première dans la 5ème République pour un socialiste. Pendant plus de 25 ans, Mitterrand a tenté de conquérir l’Elysée. pic.twitter.com/Zt1XGl5sOi
— Ina.fr (@Inafr_officiel) May 10, 2021
"C’était un moment d’espoir attendu depuis un long moment, tout devenait possible", se remémore André Laignel, le maire d’Issoudun qui fut secrétaire d’État sous la présidence de François Mitterrand. À l’époque, la demande d’avancées sociales est plus forte que jamais et laisse entrevoir l’espoir d’un changement. "Ce fut une période pleine de transformation sur des sujets où, à ce moment-là, tout semblait bloqué", revoit François Bonneau.
Des réformes qui ont changé le pays
C’est au Creusot que, le 9 mai, les socialistes ont décidé de se rassembler pour commémorer l’anniversaire de cette élection, ô combien symbolique. L’ancien Président de la République François Hollande, la maire de Paris Anne Hidalgo, l’ex-Premier Ministre Lionel Jospin ou encore Johanna Rolland la maire de Nantes ont tous décidé de se saisir de cette date pour afficher l’image d’un Parti socialiste rassemblé. Le tableau est d’autant plus fort qu’à un an de l’élection présidentielle de 2022, la gauche veut à nouveau croire à l’union pour retrouver la victoire, comme ce fut le cas en 1981.
Présent sur les lieux, Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret décrit un rassemblement "tourné vers l’avenir". "Ça ne donnait pas le sentiment d’une réunion d’anciens combattants nostalgiques, assure-t-il. Nous avons évoqué les grandes réformes que François Mitterrand a portées afin de mieux construire celles de l’avenir."
Car les deux mandats de Mitterrand à la tête de la France ont été symboles d’évolutions profondes pour le pays. Et en premier lieu, l’amorce d’une décentralisation. La création des communautés des communes et d’agglomération, redistribue alors le pouvoir. Ce "moment qui fait que l’action publique ne trouve plus uniquement sa source au plan national et crée un espace publique local" a fortement marqué François Bonneau. Il n’est pas le seul.
De l’abolition de la peine de mort à l’IVG, en passant par la nationalisation d’entreprises en difficulté, la retraite à 60 ans ou encore les nombreuses avancées culturelles, les élus socialistes de la Région Centre interrogés se rappellent de ces progrès, non sans émotion. Dans un contexte où les divisions de la gauche apparaissent plus d’actualité que jamais, le passé rassemble. De quoi donner des idées pour la suite ? André Laignel y croit : "Avant de déposer une gerbe, je relisais les dernières pages des Mémoires interrompus de François Mitterrand. Les dernières phrases qu’il nous a laissées évoquent ce qu’il a toujours porté : le seul avenir pour la gauche est dans l’union."
François Mitterrand a réussi construire cette union. Si tout le monde prend conscience des enjeux, nous réussirons.
Même son de cloche du côté du sénateur Jean-Pierre Sueur qui refuse de croire à l’incapacité d’un rassemblement des gauches qui serait synonyme de défaite. "En 1965, personne ne pensait non plus que Mitterrand mettrait en ballotage le Général de Gaulle. Il suffit de regarder les sondages 1 an avant chaque élection présidentielle pour voir que les sondages d’aujourd’hui ne veulent pas dire grand-chose", rappelle-t-il. Il ne veut pas se résoudre à laisser une nouvelle fois les Français choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
"À l’époque, avant la candidature de Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing était à 60 % d’intention de vote, continue le maire d’Issoudun André Laignel. La seule question était alors : Qui allait-on envoyer se faire battre ? Quelques-uns y ont cru et on a vu ce que ça a donné." Et le maire d’Issoudun de citer René Char : "Le réel quelquefois désaltère l'espérance. C'est pourquoi contre toute attente, l'espérance survit."
Les difficultés de l'union
Si l’optimisme semble de rigueur pour les deux élus qui ont déjà connu des moments difficiles au sein de leur famille politique, d’autres restent plus prudents. "Si la gauche va à la présidentielle dans cet état-là, c’est plié ! Aucun candidat n’a de chance d’arriver au second tour dans ces conditions", averti François Bonneau. Avant de rajouter, sur une note plus positive : "François Mitterrand a réussi à gagner en construisant cette union. Si tout le monde prend conscience des enjeux, nous réussirons." C’est à cette condition que Marc Gricourt s’autorise cet espoir. "Je ne suis pas forcément optimiste, mais je veux y croire, nuance-t-il. On doit donner tous ensemble des perspectives aux Français sur des problématiques environnementales, sociales et fiscales que seule la gauche peut apporter."
Si les valeurs peuvent rassembler la gauche, il reste pour le moment plus difficile d’imaginer des partis de gauche derrière un seul et même candidat. "Il n’y a, pour le moment, pas de personnalité qui ait la capacité d’unité qu’avait François Mitterrand", observe le Président de la Région Centre-Val de Loire, François Bonneau. En ce sens, les élections départementales et régionales en juin prochain permettront peut-être, selon Marc Gricourt, de donner une tendance, un parti envers lequel se tournent les Français.
Mais au-delà même de rassembler plusieurs partis, les socialistes peinent tout de même à se rassembler entre eux. Olivier Faure, secrétaire général du PS a attiré l’attention… par son absence, alimentant ainsi quelques joutes verbales - par médias interposés – avec l’ancien Président François Hollande. Le député et secrétaire général du Parti socialiste avait pourtant le sens de la formule dans une interview donnée à L’Obs le 10 mai : "La gauche ce devrait être les égaux, pas les egos." Une phrase qui semblait s’inspirer pleinement de l’engouement qu’avait réussi à insuffler François Mitterrand il y a 40 ans. Pour que l’histoire se répète en 2022, le chemin semble encore long.