Dès le 15 avril dernier, Catherine Belzung, Professeure de Neurosciences à l'Université de Tours, a mis en ligne une tribune demandant qu'un futur vaccin contre le Covid-19 soit libre de tout brevet et mis dans le domaine public. De nombreuses personnalités l'ont suivie et ont signé cet appel
Les premiers signataires de la tribune de Catherine Belzung ont été Antonine Nicoglou, Professeure de Philosophie à Tours, Luigino Bruni, Professeur d'Economie et le prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus. A eux quatre, ils ont contacté des professeurs et scientifiques renommés ainsi que des personnalités du monde entier.
L'appel pour un vaccin contre le Covid-19 dans le domaine public a finalement été publié dans la Presse début mai, en France et à l'étranger, avec 130 signatures prestigieuses. Par ailleurs, une pétition a été mise en ligne (environ 5000 signatures récoltées à ce jour).
A qui profite le vaccin ?
Pour Catherine Belzung, l'efficacité d'une campagne de vaccination repose sur son universalité. Et pour être accessibles à tous, les vaccins doivent être libres de tout brevet :« Seul un vaccin permettra de juguler définitivement cette pandémie. Mais face à une crise mondiale, si le vaccin n'est pas disponible pour tous, non seulement ce sera une terrible injustice, mais la maladie continuera à se répandre. »
Pour illustrer son propos, Catherine Belzung cite Jonas Salk, inventeur du vaccin contre la polio, mais aussi un exemple plus récent et sans doute plus marquant aujourd'hui :
«L'invention du gel hydroalcoolique a été réalisée il y a une vingtaine d'années seulement par un épidémiologiste suisse, Didier Pittet. Il a déposé un brevet, mais en a offert l'exploitation à l'Organisation Mondiale de la Santé. S'il touchait aujourd'hui ne serait-ce qu'un centime par litre, il serait mutimilliardaire...»
SANOFI entre dans la danse
Jusqu'à la semaine dernière, peu de monde s'intéressait à cette problématique. Mais les propos tenus par le PDG de SANOFI ont jeté une lumière crue sur la réflexion de la scientifique tourangelle. Dans une interview à l'agence Bloomberg, Paul Hudson a déclaré que les Etats-Unis seraient prioritaires pour la fourniture d'un éventuel vaccin contre le Covid-19. Il y a bien eu un rétropédalage par la suite, mais assez peu convaincant.Salarié à l'unité SANOFI de Tours, Christophe Chrétien est délégué syndical central à la CGT. Comme bien des salariés du laboratoire pharmaceutique, il a été choqué par ces propos.
Il y voit surtout une manoeuvre pour obtenir encore davantage de crédits publics, français ou européens :
« L'Etat français verse tous les ans à SANOFI 110 à 150 millions d'euros, notamment en crédits recherche, soit plus d'un milliard d'euros sur 10 ans. Les aides publiques existent déjà. A coté, SANOFI a dilapidé en dividendes 4 milliards d'euros cette année! Puisqu'ils disposent de fonds publics pour la recherche, ils ne devraient pas faire d'argent sur ce vaccin, ce devrait être un bien commun. »
Le syndicaliste rejoint donc l'universitaire à ce propos. Catherine Belzug y apporte des précisions :
« Je ne suis pas en train de dire qu'il faut que ce soit à perte pour l'industrie pharmaceutique. Développer un vaccin est un investissement considérable. Il faut donc trouver un retour sur investissement juste en échange de sa mise dans le domaine public. »
A ce sujet, le délégué central Christophe Chrétien a bien une idée :
La décence voudrait que ce vaccin soit vendu à prix coûtant. Mais l'industrie pharmaceutique, l'une des plus rentables au monde, est constituée de sociétés privées qui veulent toujours plus de profits. Comment leur faire confiance là-dessus ?
Une note d'optimisme, tout de même, pour finir, par la voix de Catherine Belzung :
« Ca m'a rassurée d'entendre les propos très forts de nos gouvernants après la déclaration de M. Hudson. Selon eux, ce discours est inacceptable, le vaccin doit être dans le domaine public et ne pas rentrer dans les lois du marché. Au final, cela aura contraint les dirigeants à se prononcer sur le sujet de manière assez forte. »
Et, comme elle l'écrit dans son appel : « c'est le bon moment pour mettre en place une norme mondiale où nous ne serions pas aveuglés par l'argent, oubliant la vie de milliards de gens. »