HISTOIRE. 150 ans de la Commune de Paris : trois portraits d'insurgés du Centre-Val de Loire

Du 21 au 28 mai 1871 a eu lieu la brutale répression de la Commune de Paris, instaurée depuis mars. Si la Commune n'a guère fait d'émules dans l'actuel Centre-Val de Loire, certaines personnalités issues de Tours, Blois ou encore Vierzon ont participé à l'insurrection, quitte à payer le prix fort.

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Trois semaines après la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, appuyé par un hommage présidentiel, le printemps 2021 marque aussi les 150 ans de la dernière révolution du 19e siècle : la Commune de Paris. Déclarée le 18 mars dans la cacophonie de la capitulation face aux États allemands et de l'abdication de Napoléon III, la Commune demeure l'acte de naissance sanglant du mouvement révolutionnaire qui a défini une grande partie du siècle suivant.

Du 21 au 28 mai, au cours de la "Semaine sanglante", la Troisième république réprime l'insurrection dans le sang, faisant 10 à 15 000 morts selon les comptages les plus récents. A l'occasion de ce cent-cinquantième anniversaire, redécouvrez les destins de trois personnages hauts en couleurs originaires respectivement de Vierzon, Blois et Tours : l'homme politique Édouard Vaillant, la vivandière Joséphine Marchais et le général Napoléon La Cécilia.

Édouard Vaillant, le père du socialisme

Né à Vierzon, Édouard Vaillant fut un homme politique phare de la Commune. D'origine aisée, il grandit entre Salbris, dans le Loir-et-Cher, et Paris, où il devient ingénieur des Arts et Manufactures. Sa famille proche le destine aux affaires et à la reprise de la cimenterie de son beau-frère, mais il se dirige finalement vers une carrière scientifique. Docteur ès-sciences en 1865, il étudie la médecine en France, puis la chimie en Allemagne, et enfin la philosophie, passant tour à tour par les universités de Heidelberg, Tübingen et Vienne.

Privilégié par sa situation sociale et la facilité avec laquelle il peut parcourir l'Europe, Édouard Vaillant se lie pourtant avec les idées révolutionnaires. Critique de la politique impériale de Napoléon III, promoteur de l'hygiène publique et de l'enseignement médical, Vaillant adhère à l'Association internationale des travailleurs, aussi appelée la "Première internationale", à Genève en 1867, et fait la connaissance de l'anarchiste Pierre-Joseph Proudhon. A Paris, il fréquente d'autres futures personnalités de la Commune, comme Jules Vallès, Charles Longuet et un autre Vierzonnais, Félix Pyat.

De retour à Paris au début de la guerre franco-prussienne, Édouard Vaillant est de tous les soulèvements, et n'hésite pas à prendre les armes, comme le 4 septembre, le 31 octobre 1870, et le 22 janvier 1871, lors d'insurrections contre le gouvernement de défense nationale mis en place à Versailles après l'abdication de Napoléon III. Il se retrouve également soldat au 88e bataillon de la Garde nationale lors du siège de Paris par les Prussiens, et fait partie de ceux qui, à l'encontre des Versaillais, veut poursuivre la guerre plutôt que de capituler. Le 6 janvier, il est d'ailleurs l'un des signataires de l'Affiche rouge, qui fustige la "trahison" de Versailles et appelle les Parisiens à prendre les armes.

Élu du 8e arrondissement sous la Commune, Vaillant est à l'origine de plusieurs décisions majeures du gouvernement insurrectionnel, comme la politique des otages. Il se bat notamment pour la gestion par les ouvriers des ateliers abandonnés ou expropriés, et pour l'instruction gratuite et laïque dès l'école primaire. Participant aux combats de la Semaine sanglante, Vaillant parvient à échapper à la mort et, passant par la Suisse, l'Espagne et le Portugal, gagne Londres où il renoue avec un train de vie aisé tout en poursuivant ses activités militantes, se liant d'amitié avec Karl Marx. A Paris, il est condamné à mort par contumace en 1872 et finalement amnistié plus tard par la loi du 11 juillet 1880.

Je ne comprends guère ceux qui semblent supposer qu’une révolution se fait comme à volonté, et détermine librement ses conséquences, ou plutôt les laisse déterminer par ses acteurs. Il y a là un vieux fond de scepticisme et une erreur. Les révolutions ne sont que les crises politiques et sociales, qui éliminent les éléments vieillis de l’ordre social, et mettent en œuvre, dégagent pour une évolution nouvelle, les éléments accumulés par le progrès des choses et des mœurs, au libre développement desquels s’opposait le régime antérieur survivant, par la force organisée de son gouvernement, de sa classe privilégiée, aux conditions qui l’avaient créé, et qui, disparaissant, amènent sa chute.

Édouard Vaillant, "Les Blanquistes" in Le Monde socialiste, Léon de Seilhac, 1905

De retour en France, Vaillant est auréolé d'un certain prestige auprès des anciens partisans d'Auguste Blanqui, l'un des inspirateurs de la Commune mort en 1881. Élu conseiller municipal de Vierzon puis député, Vaillant incarne le socialisme révolutionnaire, en opposition avec les réformistes de Jean Jaurès. En 1905, les deux mouvements finissent par fusionner pour donner naissance à la Section française de l'internationale ouvrière (SFIO), ancêtre de l'actuel Parti socialiste. Infatigable militant pour l'accès au logement, au soin, à l'instruction, à l'assurance chômage, Édouard Vaillant est le premier candidat socialiste à se présenter à une élection présidentielle en 1913, où il arrive troisième avec 8% des voix. Lors du déclenchement de la Première guerre mondiale, il rejoint l'Union sacrée après l'assassinat de Jean Jaurès. Épuisé par des années de travail, il meurt finalement dans son domicile du 12e arrondissement le 18 décembre 1915, à l'âge de soixante-quinze ans.

 

Joséphine Marchais et les femmes des barricades

La Commune n'est pas qu'une affaire d'hommes. Ne disposant pas du droit de vote au 19e siècle, les communardes ont pourtant joué un rôle majeur dans l'insurrection, tout en donnant une impulsion au mouvement d'émancipation des femmes. L'institutrice, écrivaine et militante anarchiste Louise Michel fut de celles-là. Participant à la vie sociale et économiques, elles sont pour la première fois inclues à la dimension militaire de cette révolution avortée. Parfois en se déguisant en homme, parfois en formant des bataillons entièrement féminins, tout en continuant à remplir d'autres rôles liés au soutien, comme la construction des barricades ou le soin aux blessés.

Toutes n'ont cependant pas eu la même notoriété que Louise Michel. C'est le cas de Joséphine Marchais, née à Blois en 1842, dans un milieu défavorisé. Au cours de sa jeunesse, elle effectue six mois de prison pour vol, tandis que sa mère fut condamnée à cinq ans pour incitation à la débauche et sa soeur à trois mois pour vol. En 1871, elle rejoint le bataillon des Enfants-Perdus également immortalisé en 2021 par le documentaire de Raphaël Meyssan. Dans ce bataillon, où combat son amant, un garçon boucher nommé Jean Guy, Joséphine est vivandière et fait la distribution de vivres et de munitions aux soldats fédérés.

Joséphine Marchais participe aussi personnellement aux combats. Les 22 et 23 mai, elle monte sur la barricade de la rue de Lille, avec son fusil et coiffée d'un chapeau tyrolien. Capturée les armes à la main, elle est accusée d'avoir forcé son amant à rejoindre les barricades, ainsi que de pillages et de propos obscènes. Ces mêmes femmes qui réclamaient l'égalité dans le travail, la politique et la famille sont considérées comme "diaboliques" par le conseil de guerre, selon l'historienne Ludivine Bantigny, autrice de La Commune au présent. "Le rapporteur qui accable Joséphine utilise le mot 'pandémonium'", note par exemple l'historienne au détour d'un tweet. "C'était la capitale des Enfers où Satan lui-même officiait."

Condamnée à mort, Joséphine Marchais voit finalement sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Elle est déportée à Cayenne en 1872. Après une tentative d'évasion, elle meurt finalement à l'âge de 34 ans en 1874.

Napoléon La Cécilia, un vétéran du Risorgimento sur les barricades

Chef militaire de premier plan de la Commune, Napoléon La Cécilia semble avoir vécu plusieurs vies, comme nombre de ses contemporains. Survivant des barricades de mai 1871, il parvient à se réfugier à Londres, qu'il quitte peu de temps après pour l'Égypte afin de soigner sa tuberculose. A sa mort en 1878, il laisse derrière lui l'héritage d'un universitaire, d'un militant politique et d'un soldat ayant participé de près aux grands tournants de son époque.

Napoléon La Cécilia est né à Tours d'un avocat d'origine espagnole et d'une mère corse en 1835. Dans sa jeunesse, il étudie au sein de plusieurs université, dont la plus prestigieuse est sans doute celle d'Iéna, en Allemagne actuelle. Passionné par les langues, il tente de concilier tant bien que mal les sommes que lui coûtent ses livres, les cours particuliers de mathématiques qu'il donne, et le temps qu'il doit consacrer à son propre travail universitaire. Les archives départementales d'Indre-et-Loire ont ainsi récupéré en 2020 une lettre, datée du 26 mai 1859, où le jeune étudiant fait part de ses difficultés financières à son créancier, un certain M. Crepet.

Dans la même lettre, le jeune homme de 23 ans exprime aussi la tempête idéologique qui balaie l'Europe à cette époque, entre nationalismes et premiers grands mouvements ouvriers. Il fait ainsi part, dans la dernière partie de sa lettre, de son engagement politique dans le Risorgimento, la réunification italienne entamée par le roi de Sardaigne et le général Garibaldi.

Il m’était impossible de rester plus longtemps en Allemagne dans un moment où l’Italie tente un dernier effort pour son indépendance, où l’Allemagne fanatisée et égarée par l’Autriche méconnait tout sentiment de justice et de solidarité des peuples et ne parle que de conquérir et démembrer la France. Je me suis donc résolu à tirer moi aussi l’épée pour la cause italienne.

Napoléon La Cécilia, lettre du 26 mai 1859 (Archives de Touraine)

"Ne voulant pas prêter serment à qui vous savez", probablement Napoléon III, qui engage la France dans la guerre d'indépendance italienne contre l'Autriche, Napoléon La Cécilia rejoint directement l'armée piémontaise. Conscient du risque encouru sur le champ de bataille, La Cécilia met en avant ses convictions pour justifier son engagement : "j’espère que les balles autrichiennes me respecteront, mais si la mort m’attend sur les champs de la Lombardie, je sacrifierai volontiers ma vie pour une cause aussi juste et qui doit avoir la sympathie et l’appui de tout vrai démocrate."

En mai 1860, Napoléon La Cécilia participe, avec Garibaldi, à l'expédition des Mille, qui rattache militairement le royaume des Deux-Siciles à l'unité italienne en train de se construire. Fidèle à ses premières amours, Napoléon La Cécilia s'installe alors à Naples, où il enseigne le sanskrit de 1861 à 1869. Cette année-là, l'université est à nouveau confiée aux jésuites et La Cécilia, refusant de continuer à y enseigner, regagne la France. Il se mêle à l'opposition républicaine contre Napoléon III, et s'engage, après la capitulation de Sedan, dans l'armée de la Loire formée à Tours par Léon Gambetta, participant notamment à la bataille de Châteaudun et gagnant ses galons de colonel au sein du corps de francs-tireurs de Lipowski.

Après la soulèvement parisien du 18 mars 1870, il devient général de la Commune et épouse l'institutrice Marie David, également communarde et militante des droits des femmes. Au cours de la Semaine sanglante, La Cécilia commande l'armée communarde entre la rive gauche de la Seine et la Bièvre, mais doit finalement fuir Paris. Le couple passera par la Belgique et le Luxembourg, visitant au passage Victor Hugo qui réside à Vlanden, avant de gagner Londres. Après la mort de son mari en 1878, Marie La Cécilia continue à enseigner et à faire vivre le souvenir de la Commune, et sort de l'histoire par la petite porte, sa date de décès restant inconnue à ce jour.

 

 

 

 

 

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