Jeanne d'Arc, une icône féministe à travers les âges

Chaque 8 mai, un hommage est rendu à Jeanne d'Arc, cette guerrière qui a délivré Orléans il y a presque 600 ans. Au fil des siècles, beaucoup se sont réappropriés son combat, notamment la cause féministe. 

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Nous sommes au XVème siècle, dans la seconde phase de la Guerre de Cent Ans. C’est la fin de la guerre civile entre les Armagnacs, dont les hommes sont partisans du roi Charles VII, et les Bourguignons, alliés des Anglais. Jeanne d’Arc, une jeune fille venue des champs de Lorraine, que l’on décrit comme robuste et endurante, prétend entendre des voix. Ces dernières lui demandent de libérer Orléans et son duc, de chasser les anglais et de faire sacrer Charles VII à Reims. Malgré sa méfiance, ce dernier l'envoit à Orléans avec un convoi de ravitaillement qui longe la Loire, composé de 4 000 hommes. 

Celle qui n’a encore que 18 ans arrive à destination le 29 avril 1429. Avec l’aide de Jean de Dunois, le bâtard d'Orléans, elle se bat en première ligne lors de l’offensive lancée le 4 mai. Quatre jours plus tard, la ville est délivrée des anglais. Presque 600 ans après, à Orléans, on continue de célébrer la pucelle lors d’une messe marquant la fin des fêtes johanniques. 

Même si Clément de Fauquembergue, greffier au Parlement cette année-là, la représente dans son registre vêtue d’une robe avec une épée et une bannière dans les mains, Olivier Bouzy, directeur adjoint du Centre Jeanne d’Arc affirme aujourd’hui qu’elle portait un habit d’homme "parce qu'il était plus pratique d'accomplir les ordres qu’elle aurait reçu de Dieu dans cet habit". Une femme qui bouscule donc les traditions d’une société “machiste et traditionnelle”, mais en quoi est-elle un symbole du féminisme ?

Une icône en France ... 

Avant toute chose, rappelons que le féminisme est, selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), "un mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme, l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme". Or, au XVème siècle, "les revendications féministes n’existent pas. Jeanne d’Arc a bousculé les traditions, mais elle se présente comme une prophétesse et non comme une révolutionnaire", explique l’historien. 

Cependant, à cette époque, le concept commence à émerger en France dans les milieux intellectuels, sous le nom de “la querelle des femmes”. Jusqu’au début du XXème siècle, on s’interroge sur le statut des femmes dans la société et l’on commence à revendiquer l’égalité entre les deux sexes. 

Au XVIème et XVIIème siècle, “les lois qui s’imposent en France sont des lois relevant du code romain (où l’on responsabilise davantage les hommes, ndlr). Des femmes, mais aussi des hommes, protestent devant cette nouveauté. On commence alors à citer un certain nombre de femmes prestigieuses qui ont fait des choses importantes au cours de leur vie et Jeanne d’Arc en fait partie. Elle devient alors le symbole d’une condition féminine qui ne serait pas complètement minée”.

Entre 1890 et 1904, l'histoire de Jeanne d'Arc fait naître deux clivages au sein des groupes féministes. "On a la représentation de la Jeanne d'Arc catholique et patriote, très ancrée chez les féministes chrétiennes et nationalistes, et d'un autre côte il y a la Pucelle d'Orléans laïque, courageuse et combative, célébrée par des revendicatrices laïques" explique Florence Rochefort, co-autrice de "Ne nous libérez pas, on s'en charge - une histoire des féministes de 1789 à nos jours" (Ed. Les découvertes). Ces visions différentes n'ont pas manqué de créer le conflit : elle rappelle par exemple l'affaire Thalamas, qui a donné lieu à un duel entre Jean Jaurès, soutenu par les féministes laïques, et Paul Déroulède (un acteur important de la droite nationaliste) en 1904. 

... qui s'est exportée à l'étranger

En Grande-Bretagne, Jeanne d’Arc, sur son cheval et vêtue de son armure, devient l’égérie de l'Union politique et sociale des femmes (WSPU), dont les membres se font appeler les "suffragettes". Pendant près de dix ans, et sans réel soutien de l’opinion publique, ces bourgeoises brisent des vitrines, posent des bombes et sabotent les réseaux électriques dans un seul but : obtenir le droit de vote. Ce dernier finit par leur être accordé, le 6 février 1918.

De ce mouvement découlera en 1911 la création d'une alliance féministe catholique internationale luttant pour le droit de vote des femmes, l'Alliance internationale Jeanne d'Arc.

A partir de ce moment, elle cesse d’être l’emblème des conditions disparues pour devenir un symbole de lutte féministe. On est passé d’un combat perdu d’avance à des revendications actives

Olivier Bouzy, directeur adjoint du Centre Jeanne d'Arc

Au pays du soleil levant, les japonaises “n’ont pas d’héroïne féminine dans laquelle s’incarner, de symbole féminin fort”. En effet, l’une des rares femmes samouraï, Tomoe Gozen, a vu son histoire être tellement déformée à travers les âges, qu’il est aujourd’hui difficile de distinguer ce qui relève de la réalité et de la légende. "Vers 1890 - 1905, des officiers japonais sont formés en Allemagne pour résister aux attaques maritimes que connaissait =leur pays. Ils sont donc revenus au Japon avec la musique de Beethoven et la pièce de théâtre allemande La Pucelle d’Orléans (Die Jungfrau von Orleans de Schiller, ndlr)"

Depuis cette époque, Jeanne d’Arc fait partie intégrante de la culture japonaise, au point qu’un manga et des jeux vidéos retracent son histoire. "Au Canada, beaucoup d’auteurs citent Jeanne d’Arc comme une figure féministe. Il y a même des femmes qui portent ce nom !". 

Et aujourd'hui ? 

"Hormis dans la mythologie grecque, Jeanne d'Arc est la première femme à remettre en question le patriarcat et être à la tête d'une armée". Arnaud Hadrys, secrétaire général de HES Rouen Normandie et militant LGBT, est plus familier avec la seconde partie de l'histoire de Jeanne d'Arc puisqu'en Normandie, elle ne s'y est rendue que pour être jugée avant d'y mourir brûlée sur le bûcher en 1431. Selon lui, Jeanne d'Arc demeure aujourd'hui "très traditionnelle sur certains aspects du féminisme. La virginité qu'elle prône s'oppose au combat féministe, qui revendique le choix de se marier ou non ou encore de faire ce qu l'on veut de son corps".

Elle représente, à son époque, la voix des femmes en politique dans un système chevaleresque et régenté par un milieu masculin. Et c'est toujours d'actualité : encore en 2007, des hommes se posaient la question de se ranger derrière une femme [Ségolène Royale] pour les présidentielles. 

Arnaud Hadrys, militant LGBT

Si l'évocation de la pucelle d'Orléans se fait aujourd'hui plus rare dans le milieu féministe, Arnaud Hadrys l'a choisi comme l'un des symboles de lutte pour les droits LGBT, comme en témoigne la photo de couverture de la page de HES Rouen Normandie. Lorsque Olivier Bouzy pense que "Jeanne d'Arc n'essaye pas de se faire passer pour un homme. Elle s’habille comme cela, parce que ça facilite sa mission divine. Puis elle prône aussi l’abstinence, donc il n’y a aucune connotation sexuelle, ni même le moindre flirt", le militant LGBT préfère faire abstraction de la mission divine. "Je pense qu'il faut dissocier la sexualité de l'orientation du genre. C’est pas parce qu’une femme casse les codes du genre, en ayant les cheveux courts et son habit d'homme, qu’elle va être lesbienne. Ce n’est pas parce qu’elle prône l’abstinence qu’elle ne casse pas les stéréotypes de genre".

La force de l’histoire de Jeanne d’Arc réside donc dans l’interprétation historique que se font les groupes, allant des partis politiques aux communautés en passant par les mouvements sociaux.

 

 

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