Affaire abbé Pierre : "Les bénévoles et les clients ont fait la part des choses entre l'homme et le mouvement de solidarité qu'il a créé"

La publication cet été de faits d'agressions sexuelles et de harcèlement sexuel commis par l'abbé Pierre sur plusieurs femmes a été vécue comme un choc par les bénévoles d'Emmaüs. Mais un mois et demi après, leur engagement est intact et leur activité n'a pas été entachée. Les clients restent fidèles. Reportage à Esvres-sur-Indre dans un des sept sites Emmaüs d'Indre-et-Loire.

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Le plus grand site d'Emmaüs Touraine se situe avenue de l'abbé Pierre à Esvres-sur-Indre. Dès l'entrée, une grande photo du fondateur d'Emmaüs accueille le visiteur. Ici, comme dans tous les centres Emmaüs de France, le prêtre décédé en 2007 reste leur figure tutélaire.

Le 17 juillet 2024, Emmaüs international, Emmaüs France et la fondation Abbé Pierre révèlent que sept femmes ont témoigné de comportements pouvant s'apparenter à des agressions sexuelles ou de harcèlement sexuel de la part de l'Abbé Pierre entre la fin des années 70 et 2005. Pour les compagnons et les bénévoles, le choc est immense. 

L'abbé Pierre placé au-dessus de tout

Marie-France Rivière est bénévole à Esvres-sur-Indre depuis trois ans et demi. 

"Je plaçais l'abbé Pierre au-dessus de tout, mais il avait déjà évoqué de son vivant qu'il avait eu des faiblesses. En revanche, ça n'enlève rien au mouvement de solidarité envers les plus démunis qu'il a mis en place", confie-t-elle. Son engagement est intact. 

C'est suite à la réception du témoignage d'une femme en 2023 qu'Emmaüs international, Emmaüs France et la fondation Abbé Pierre ont mandaté "un cabinet expert de la prévention des violences pour mener un travail d'écoute et pour établir si d'autres faits similaires avaient pu se produire", peut-on lire sur le site de la Fondation Abbé Pierre. Ils ont publié les résultats de l'expertise au cœur de l'été.

Une plateforme d’appels et de mails a été mise en place pour recueillir des témoignages. Une semaine après, une dizaine de nouvelles femmes s'étaient manifestées. Leurs témoignages sont analysés. 

La parole des victimes écoutée

Les deux amies bénévoles d'Emmaüs à Esvres-sur-Indre saluent cette façon de procéder et l'empathie vis-à-vis des victimes. "Plutôt que d'essayer de cacher ou de retarder la sortie de l'information, ils ont été transparents. Et ça, c'était très bien", tient à dire Michèle Paraud, qui vient donner de son temps deux fois par semaine.  

Marie-France Rivière, elle, regrette seulement que les faits n'aient pas été révélés plus tôt. "L'abbé Pierre n'étant plus là, il n'est pas là pour se défendre." L'abbé Pierre, Henri Grouès de son vrai nom est décédé en 2007. 

"Mais nous nous rangeons du côté des victimes", complète Michèle Paraud.  "De mon temps, les femmes qui dénonçaient ces choses-là n'étaient pas crues. Là, leur parole n'a pas été mise en doute. Ils ont bien réagi." 

Aider par le travail

Marie-France Rivière et Michèle Paraud ont choisi Emmaüs parce que c'est l'insertion qui est privilégiée.  "Les compagnons fournissent un travail pour les autres. Ils voient que ce qu'ils font aide les autres et c'est gratifiant", constate Michèle. "Il y a un grand esprit de solidarité. C'est une vraie famille." Marie-France acquiesce. 

En Indre-et-Loire, 80 personnes appelées les compagnons et les compagnes Emmaüs sont hébergés dans des appartements de la communauté. En échange, ils travaillent à la rénovation des meubles, assurent les livraisons, viennent débarrasser chez les gens ou encore trient le linge et le disposent dans les rayons pour les ventes au public.

C'est le cas de Carine Muleka qui vit dans la communauté Emmaüs d'Esvres-sur-Indre depuis un an et demi. Elle vient du Congo. "J'ai été bien accueillie ici. Je me sens à l'aise. J'ai une chambre très jolie." Avant d'arriver ici, cette maman de cinq enfants a dormi trois mois dans la rue. Aujourd'hui, elle travaille au rayon linge de maison avec Marie-France et Michèle, mais peut être appelée ailleurs. Son objectif est de décrocher une promesse d'embauche pour obtenir un visa de travail. Elle voudrait devenir infirmière. "C'est pour des gens comme Carine que nous nous engageons comme bénévoles ici. Les compagnes et les compagnons deviennent nos amis", confie Marie-France Rivière. 

Dans la grande pièce d'à côté, au rayon meuble, Nika Shamovi charge un camion de livraison. En devenant compagnon il y a trois ans, il a découvert Emmaüs et l'abbé Pierre. "Il est un grand soleil pour nous. C'est magnifique ce qu'il a fait. Je ne connais pas d'autres associations comme ça. On nous aide en nous donnant du travail. Je trouve ça formidable", confie-t-il reconnaissant et préférant ne pas parler des faits reprochés à l'abbé Pierre. 

La transparence a permis la compréhension du public

Amaury Tincq, le coresponsable du site d'Esvres-sur-Indre accepte de revenir sur le choc qu'il a vécu cet été quand les faits ont été rendus public. "On a pris l'annonce en pleine face. Je ne m'y attendais pas, mais on sait bien que tous les grands qu'on met sur un piédestal sont des humains avec leurs bons côtés et leurs mauvais côtés. C'est triste de découvrir ça, mais il fallait passer au-dessus", confie Amaury Tincq, coresponsable du site d'Esvres-sur-Indre. 

Depuis, il constate que "les bénévoles, les compagnons et les clients ont fait la part des choses entre l'homme et le mouvement qu'il a fondé. Son action a initié la solidarité en France et le début de l'écologie en créant la fameuse "économie circulaire". Ça a permis à des milliers des gens qui étaient à la rue de se poser quelque part et d'aider des milliers de gens dans le monde", rappelle-t-il.

Il espérait que cette affaire n'entache pas l'action quotidienne des milliers des gens qui sont au sein d'Emmaüs "On le craignait mais ça n'est pas arrivé. Il faut dire que la Fondation et Emmaüs France ont bien mené les choses. En demandant l'expertise et en la publiant eux-mêmes, leur démarche a été saine. Ça a mené à une bonne compréhension des gens. "

À 74 ans, Jacques Ducrettet, est bénévole au rayon musique et cinéma. Entre le tri et la vente, il est là presque tous les jours. Il confirme le point de vue d'Amaury Tinq. "Il faut dissocier l'homme et la cause et c’est ce que font les clients. Quelques-uns m'en ont parlé, mais ça n'a pas duré. Ils viennent surtout ici pour acheter pas cher. Ça n'a rien changé."

Jacques repart en rayon prêt à accueillir les clients l'après-midi.

Jusqu'au samedi 7 septembre, c'est la rentrée solidaire chez Emmaüs avec 50 % de remise pour les étudiants.

Suivra la grande vente d'automne le week-end du 5-6 octobre.

La famille Emmaüs de Touraine compte 65 compagnons à Esvres-sur-Indre et 15 dans la communauté de Chinon. 280 bénévoles s'impliquent dans les sept sites d'Indre-et-Loire. 

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