Mois sans tabac : "Quand on arrête 30 jours, on a 5 fois plus de chances de s'en débarrasser complètement"

En novembre, c'est le "Mois sans tabac". L'occasion d'arrêter la cigarette pour les 15 millions de Français fumeurs au quotidien. Mais beaucoup de freins existent. Retour sur ces idées reçues avec une tabacologue.

En France, le tabac séduit de moins en moins. En quelques années, la perception de la cigarette a bien changé. Aujourd’hui, 78 % des Français ont une image négative du tabac, soit 6 points de plus qu’il y a 2 ans. Si 59 % des fumeurs déclarent avoir envie d’arrêter, ils restent environ 15 millions en France (25,5 % de la population adulte).

Un véritable enjeu sanitaire puisque le tabagisme provoque chaque année 75 000 décès et 20 % des cancers en France. Pour passer ce cap difficile, des solutions existent. Le mois de novembre est celui de l’opération "Mois sans tabac". L’occasion de stopper les idées reçues sur l’arrêt de la cigarette et se lancer une bonne fois pour toutes. Entretien avec Sophie Rambourg-Hugo, tabacologue comportementaliste au CHRU de Tours.

Depuis 2016, Santé publique France et le ministère de la Santé ont mis en place le "Mois sans tabac". Est-ce un succès selon vous ?

Chaque année des gens reviennent me voir pour me dire qu’ils ont arrêté en novembre, car c’était l’occasion de le faire. En général, ce sont des gens qui y pensaient depuis un certain temps. Cela permet de mettre le pied à l’étrier.

Quand on arrête 30 jours, on a 5 fois plus de chances de se débarrasser complètement du tabac. On ne constate pas forcément une augmentation de notre activité. Par contre, on sait quand même que ce "Mois sans tabac" participe au fait de faire réfléchir les gens sur leur tabagisme et participe à dénormaliser le tabac. Mais cela prend du temps.

Nous ne sommes pas tous égaux face au tabac et on le voit de plus en plus. Il y a beaucoup d’inégalités sociales et le tabac les renforce.

Sophie Rambourg-Hugo, infirmière tabacologue comportementaliste au CHRU de Tours

Quelles sont les motivations des personnes qui viennent vous voir ?

Il y a de tout. Certains viennent uniquement pour le côté financier, d’autres ne veulent aussi plus donner de l’argent à l’industrie du tabac. Financièrement, c'est de plus en plus compliqué pour les gens donc forcément, ça joue. Je constate que certains réduisent leur consommation par rapport à ce côté financier, ils essaient de passer de 20 ou 15 cigarettes par jour à 10 pour que leur paquet dure plus longtemps.

Ou alors ils passent au tabac à rouler qui est moins cher, mais qui est plus nocif. C’est une des idées reçues parce que le tabac à rouler a une image plus naturelle. Sauf qu’une cigarette de tabac à rouler en vaut 2 manufacturées. Le tabac est plus serré et moins bien réparti alors la combustion se fait plus mal. Le fumeur a besoin de tirer plus fort sur la cigarette pour qu’elle ne s’éteigne pas, donc c’est plus nocif.

Est-ce bénéfique de "seulement" réduire sa consommation ?

Au niveau de la santé, ça ne change pas grand-chose. La réduction est un premier pas, ça apporte un changement. Quand les gens viennent nous voir pour nous dire qu’ils veulent d'abord réduire avant d'arrêter, c’est déjà très bien.

Ce qui est important, c'est de ne pas oublier l’objectif final d’arrêter. Après, s’il faut 6 mois de plus ce n’est pas grave, l'essentiel est d’arriver à s’en débarrasser. Peu importe le chemin ou le moyen. 

On multiplie par 2 les chances de se débarrasser du tabac avec un traitement de substitution bien adapté. Ce serait dommage de s’en priver. D'autant plus que c'est intégralement remboursé.

Sophie Rambourg-Hugo, infirmière tabacologue comportementaliste au CHRU de Tours

Malgré l’augmentation du prix des paquets de cigarettes et les motivations de plus en plus liées au côté financier, il y a plus de fumeurs dans les classes sociales défavorisées qu’aisées. Comment explique-t-on cela ?

Oui effectivement, c’est un marqueur social. Il y a environ 20 % de fumeurs dans les classes supérieures quand chez les chômeurs précaires et les bénéficiaires du RSA, c’est près de 50 %. Dans les CSP +, c'est vu comme quelque chose d’anormal, ce qu’il n’y a pas chez les plus précaires.

Le tabac peut donner la fausse impression que ça calme, que c’est un moment de plaisir. Ce "calme" ou "plaisir" c’est simplement que fumer répond à la dépendance de la nicotine. Quand on a les moyens financiers, on peut aller au restaurant ou partir en week-end par exemple. Quand on est précaire, fumer c’est tout ce qu’il reste.

La cigarette, c'est la sensation de plaisir facilement accessible. Nous ne sommes pas tous égaux face au tabac et on le voit de plus en plus. Il y a beaucoup d’inégalités sociales et le tabac les renforce. Ensuite, c’est le cercle vicieux puisque le tabac coûte cher et apporte des soucis de santé avec des arrêts maladie, par exemple.

Il y a justement beaucoup qui ne veulent pas arrêter, car fumer leur procure du plaisir…

Il faut bien comprendre d’où vient ce "plaisir". C’est simplement la nicotine qui arrive et comble le manque. Bien sûr, il n’y a pas que la nicotine. Il y a tout ce qui est comportemental, c’est ce sur quoi on travaille pendant les consultations. Et puis il y a l’aspect psychologique : il faut arriver à gérer ses émotions sans la cigarette. Pour cela, on travaille avec une sophrologue. Mais il n’y a pas que la sophrologie. L’hypnose, par exemple, peut être une technique intéressante pour le côté comportemental et psychologique.

Mais ça ne va pas du tout agir sur les récepteurs de nicotine par contre. S’il n’y a pas de substitution à la nicotine, la personne peut se sentir en manque au bout de quelques jours et reprendre. Mais les deux combinés peuvent être une solution. Il y a plein de méthodes, variables d’une personne à l’autre. Mais il faut prendre en compte les 3 points de dépendance du tabac.

Nous ne sommes pas du tout contre la cigarette. Mais il faut toujours garder l’idée de s’en servir de moins en moins pour l’arrêter à un certain moment. Certains l’utilisent à longueur de journée et ce n’est pas bon.

Sophie Rambourg-Hugo, infirmière tabacologue comportementaliste au CHRU de Tours

Pour arrêter de fumer, il existe des patchs, des chewing-gums, des sprays… Est-ce que les moyens de substitution à la nicotine sont-ils tous efficaces et sans dangers ?

On entend souvent qu’il ne faut pas fumer avec un patch et qu’il y aurait un risque cardiaque. C’est tout à fait faux, il n’y a aucune contre-indication ! On multiplie par 2 les chances de se débarrasser du tabac avec un traitement de substitution bien adapté. Ce serait dommage de s’en priver. D’autant que depuis 2016, les substituts sont entièrement remboursés. Chacun à des besoins en nicotine propre et c’est justement notre travail d’orienter vers la méthode qui convient.

Est-ce aussi vrai pour la cigarette électronique ?

Même si on manque encore d’étude sur le long terme, la cigarette électronique est de mieux en mieux connue. On sait que c’est beaucoup moins nocif que le tabac. Si c’est un passage pour se séparer du tabac, nous ne sommes pas du tout contre. Mais il faut toujours garder l’idée de s’en servir de moins en moins pour l’arrêter à un certain moment.

Quand quelqu’un vient me voir en voulant utiliser une cigarette électronique pour arrêter, je suis d’accord. Mais avec une autre substitution nicotinique afin de pouvoir s’en passer. Certains l’utilisent à longueur de journée pour pouvoir maintenir un niveau de nicotine qui leur convient et ce n’est pas bon.

Certains se disent qu’en faisant de sport, ils éliminent la cigarette. Ça ne fonctionne pas du tout comme ça ! C’est très bien de faire du sport, mais les risques sont les mêmes.

Sophie Rambourg-Hugo, infirmière tabacologue comportementaliste au CHRU de Tours

Arrêter le tabac fait-il vraiment grossir ?

Il y a quand même une réalité derrière ça, mais souvent, elle est déformée. C’est lié à la quantité fumée. Une cigarette dépense 10 Kcal et fumer coupe l’appétit, donc il existe un risque de prendre du poids.

Mais ce n’est pas pour autant qu’on prend obligatoirement 10 kg. Quelqu’un qui est bien suivi, avec une bonne substitution, ne voit pas son appétit augmenter. La prise de poids reste très modérée, en moyenne entre 2 et 3 kg.

On entend beaucoup de choses fausses sur l’arrêt du tabac. Certaines de ces idées reçues ne seraient-elles pas des arguments pour ne pas avoir à arrêter ?

Beaucoup de ces craintes sont réellement ressenties par ces personnes, mais ce sont des freins à l’arrêt. Parfois, on vient nous dire : "À l’âge que j’ai, c’est trop tard pour arrêter de fumer." C’est un argument de résistance à l’arrêt du tabac, il n’y a que des bénéfices à arrêter de fumer.

Au bout d’un an, on réduit de moitié les risques cardio-vasculaires, ce n’est pas négligeable. L’inflammation bronchique diminue au bout de quelques jours. Il n’est jamais trop tard pour arrêter. C’est que du bénéfice que ce soit pour la santé ou le côté financier.

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