Mercredi 3 avril, une adolescente de 14 ans a été passée à tabac par cinq camarades qui ont filmé la scène et l'ont partagée sur les réseaux sociaux. Cette pratique, dite du "happy slapping", est médiatisée sous l'angle d'une supposée augmentation de la violence des jeunes. Pourtant, le phénomène n'est pas nouveau.
L'agression a eu lieu dans un parc, à l'arrière de l'école Jules Verne, à Tours. Il est environ 16h30, ce mercredi 3 avril, dans le quartier du Beffroi au nord de la ville, lorsque qu'une adolescente de 14 ans se retrouve dans un guet-apens organisé par cinq autres filles âgées de 11 à 15 ans.
Sept jours d'ITT et vol de ses affaires
La victime a reçu des coups de poings et de pieds sur le visage et le corps avant d'être projetée au sol et frappée à nouveau. Après son hospitalisation, le médecin légiste a conclu à sept jours d'incapacité totale de travail. Le groupe de filles lui a également subtilisé ses bottes, son téléphone ainsi que d'autres objets.
Si la plus jeune des cinq jeunes filles mises en cause sera prise en charge sur le plan éducatif par un juge des enfants, les quatre autres, originaires de Tours et d'Orléans, seront jugées pour vol avec violences en réunion ayant entraîné une incapacité de travail, mais aussi pour diffusion de l'enregistrement d'images relatives à la commission d'une atteinte volontaire à l'intégrité de la personne.
COMMUNIQUÉ suite à l'agression violente d'une adolescente à Tours le 3 avril, par un groupe de filles et film de la scène avec diffusion sur les réseaux sociaux. Happy Slapping. pic.twitter.com/hxjl2b5kWI
— 🇫🇷 Procureure Tours - Catherine Sorita-Minard (@ProcureureTours) April 5, 2024
Car, particularité de cette agression violente, la scène a été entièrement filmée par deux des agresseuses présumées et retransmise quasiment en simultané sur les réseaux sociaux. "On tape et toi tu filmes" avait intimé l'une des adolescentes à une autre. Dans son communiqué, la procureure de Tours, Catherine Sorita-Minard, parle de "Happy Slapping". Mais qu'est-ce que ce phénomène ?
"Happy slapping" ou vidéolynchage : de quoi parle-t-on ?
Rien de joyeux dans cette pratique, malgré son nom. Il s'agit de filmer et de diffuser l'agression d'une personne. La plupart du temps, les vidéos sont postées sur les réseaux sociaux, parfois en direct.
Ces lynchages filmés et diffusés sont généralement beaucoup partagés et enregistrent des milliers de vues sur les réseaux sociaux. Dernièrement, ça a été le cas de plusieurs agressions filmées dans la ville de Toulouse et qui impliquaient toutes des mineurs.
Jocelyn Lachance, un sociologue spécialiste de l'adolescence et du numérique, s'est intéressé à la question dans un chapitre de son livre Adophobie, le piège des images (PUM, 2016). Pour lui, ce genre de pratique tire sa source dans, au moins, trois motivations : une quête de reconnaissance pour les slappers (ceux qui agressent) qui gagneraient en popularité "auprès d’un groupe de pairs qui accorde à cet acte délinquant un certain prestige" ; une surenchère et donc une course à la "meilleure" vidéo ; et enfin la volonté de "revivre, par procuration, l'intensité de la prise de risque" en visionnant l'image à posteriori.
Ceci dit, ces vidéolynchages ne sont pas l'apanage des "jeunes" ou des adolescents, on trouve sur Internet des vidéos dont les protagonistes ont des âges très variés.
Que dit la loi ?
Cette pratique est punie par la loi, notamment la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Les agresseurs risquent cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, mais le fait de diffuser est également répréhensible des mêmes peines pour "acte de complicité des atteintes volontaires à l'intégrité de la personne".
Ce phénomène est-il en hausse ?
L'agression violente de l'adolescente a eu lieu la même semaine que plusieurs autres faits de violence entre adolescents. Si toutes n'ont pas été filmées ou retransmises sur les réseaux sociaux, leur ampleur médiatique, elle, a été bien réelle. D'autant que l'une d'entre elle s'est tragiquement soldée par la mort de la victime, un jeune garçon de 15 ans.
Sur plusieurs plateaux de chaînes d'information en continu, des éditorialistes se sont inquiétés d'une potentielle "flambée de violence chez les jeunes" fustigeant un "basculement vers l'hyperviolence" dans la jeunesse qui serait amplifiée par les réseaux sociaux.
S'il est difficile de quantifier un taux de violence dans la population en général et chez les mineurs d'autre part, on peut toutefois rappeler que ce phénomène n'est pas nouveau. En 2006, Le Figaro s'inquiétait déjà de "l'inquiétante épidémie du 'happy slapping'". Cela faisait suite à la mise en ligne de vidéos où de jeunes adolescents se filmaient en train de gifler, sans avertissement, des inconnus dans le métro en 2004 à Londres.
À cette époque, on découvre à peine Internet, les réseaux sociaux et leur incroyable instantanéité. Pour Jocelyn Lachance, cette visibilité d'une violence adolescente diffusée à grande échelle est déconcertante. "Interpellées par cette forme inédite de violence, les populations des pays occidentaux ont fini par confondre l’importance qualitative du happy slapping, sa gravité, avec son importance quantitative, son étendue."
"Le happy slapping exprime davantage l’errance identitaire des jeunes impliqués qu’une explosion de la violence de toute une génération", écrit le sociologue. Le vidéolynchage resterait donc un épiphénomène qui a pris en proportion, notamment à cause de sa médiatisation.