Blois : le parcours du combattant des femmes migrantes qui représentent plus de la moitié des immigrés

52 % des migrants dans le monde sont des femmes. Alors que se tiendra dimanche 18 décembre, la Journée internationale des migrants instaurée par l'ONU, des bénévoles de la Cimade et du Planning familial de Blois ont tenu à nous parler du parcours de ces femmes qui ont du quitter leur pays d'origine pour venir en France, de leurs souffrances mais aussi de leur courage. Elles se sont retrouvées à l'accueil de jour de Blois ouvert à toutes les femmes depuis un an.

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Vigita, très réservée, pousse pour la première fois la porte de l'accueil de jour du Planning familial de Blois.  Lola Dufresne, salariée du Planning familial lui explique en anglais: "Vous avez vu Rosalie dans la cuisine ? Elle prépare à manger pour ce soir. Vous pouvez faire la même chose et emporter votre repas à l'hôtel".

Vigita remercie Lola et continue à étendre son linge. Elle nous raconte toujours en anglais : "J'ai été déboutée du droit d'asile à Paris alors j'ai été envoyée à Blois où je ne connais personne. J'ai appelé le 115 et j'ai eu une place à l'hôtel."

Vigita a dû quitter le Sri Lanka où elle était menacée avec sa fille de 8 ans. " A l'hôtel, on peut juste dormir. C'est très difficile parce que je ne peux même pas préparer un petit déjeuner à ma fille avant qu'elle aille à l'école..." Vigita s'interrompt. Les larmes montent. Elle ne peut plus parler. Nous la laissons tranquille.

La souffrance psychologique de ces femmes migrantes, Lola Dufresne y est confrontée régulièrement. Ce jour-là, la salariée du Planning familial reçoit des bénévoles de la Cimade. Elles échangent sur leurs expériences. Lola raconte : "En septembre et jusqu'à fin octobre, il y avait jusqu'à 15 femmes avec leurs enfants ici chaque jour. Il y avait des enfants scolarisés dans la journée qui dormaient dehors le soir. C'était très difficile parce qu'elles étaient angoissées tout le temps."

Elle poursuit, encore émue : " Le 115 n'avait pas de place pour tout le monde. C'était une bataille constante pour être à l'abri. C'est un stress monumental. Parce que tous les mardis, les places sont renouvelées et elles doivent toujours se tenir prêtes à partir. Parfois, certaines sont contraintes de vendre leur corps pour dormir au chaud avec leurs enfants".

On ne prend pas en compte la souffrance des ces femmes

Annie Pleybert, bénévole à la Cimade

France 3 Centre-Val de Loire

Annie Pleybert, bénévole à la Cimade réagit : "Il y a une forme de violence à ne pas donner de solution durable à ces femmes. On ne prend pas en compte leur souffrance. Elles ont souvent laissé derrière elles des enfants. Elles ont fait un long voyage. Elles sont passées par l'Algérie, la Lybie, ont subi pour certaines des violences sexuelles avant et pendant leur voyage et ça n'intéresse personne". Annie poursuit : "Ce serait bien qu'elles aient une aide psychologique. On leur demande de s'intégrer même quand elles n'ont pas de papier mais on ne se soucie pas de ce qu'elles portent en elles comme violences subies déjà dans leur pays d'origine, parfois avec des mariages forcés mais en plus tout ce qu'elles ont subi sur la route". 

A côté d'Annie Pleybert, Marie-Claire Nairbeduru, également bénévole à la Cimade complète : " On reçoit de plus en plus de femmes angoissées, qui n'ont pas d'hébergement, qui ont des enfants à charge. Leurs petits sont également terrorisés. Ils ont souvent des problèmes psychologiques liés au fait d'être dehors et d'avoir une maman perpétuellement angoissée." Et de conclure :" On sait bien que si on quitte sa famille et son pays, c'est vraiment la dernière extrémité. Ce sont des femmes en général extrêmement dynamiques parce que pour entreprendre un tel voyage et de telles démarches, il faut avoir beaucoup de ressort. Quand elles arrivent en France, elles se heurtent à des barrières insurmontables". 

Depuis 2020, 52% des migrants sont des femmes 

La migration des femmes dans le monde ne cesse de croître depuis 1974.

"Jusqu’au milieu des années 1970, la population immigrée était majoritairement masculine : les flux d’immigration, destinés à combler les besoins de main-d’œuvre nés de la reconstruction d’après-guerre puis des Trente Glorieuses, sont essentiellement masculins " peut-on lire dans la publication de l'INSEE du 3 mars 2022, intitulée "Femmes et hommes, l'égalité en question". 

"Depuis, la population immigrée se féminise. En 1974, un frein est mis à l’immigration non qualifiée et le regroupement familial prend une part croissante dans les flux. Plus récemment, les femmes migrent également pour d’autres raisons (poursuite d’études, recherche d’un emploi, etc.). Ainsi, la part des femmes dans la population immigrée est passée de 44 % au milieu des années 1970 à 50 % en 1999 pour atteindre 52 % en 2020 (soit 207 000 femmes de plus que d’hommes au niveau mondial)."

Une réelle volonté de s'intégrer

Yvelyne Froger, bénévole à la Cimade du Loir-et-Cher raconte : "Ce qui est vraiment désolant c'est qu'on s'aperçoit que les femmes en particulier ont une réelle envie de s'intégrer. En général, ce sont elles qui mettent tout en oeuvre pour apprendre le français, pour essayer de trouver un travail. Mais elles ont des difficultés à en trouver parce qu'elles ont du mal à faire garder leurs enfants. C'est valable pour beaucoup de femmes seules en France. 

L'exemple de Thérèse en France depuis 13 ans 

Thérèse est originaire de la République démocratique du Congo. En ce moment, elle est hébergée à l'hôtel. La journée, elle vient à l'accueil de jour du Planning familial de Blois. Elle est une habituée du lieu.

" Je viens chercher un toit de jour", raconte Thérèse, les yeux rieurs. Elle vient cuisiner, faire une machine, tout ce qu'elle ne peut pas faire dans son hébergement d'urgence. "Ici, l'accueil est chaleureux. J'ai pu rencontrer des gens différents, créer des relations. C'est comme une famille". La semaine prochaine, elle va enfin obtenir un titre de séjour. Elle se bat depuis des années pour le décrocher. "Je vais enfin pouvoir avoir un logement mais surtout j'espère avoir le droit de travailler. J'ai fait beaucoup de bénévolat pendant des années. Je donne des cours de français dans une association. Maintenant je souhaite me rendre utile en travaillant." 

Thérèse attend le précieux sésame depuis 13 ans. Et pourtant elle reste reconnaissante. "La France nous accueille, nous soigne, nous donne un toit,. La moindre des choses c'est de se rendre utile". 

Diplômée en relations internationales, Thérèse aimerait enseigner. Mais elle sait qu'en France c'est impossible. "Si je peux me rendre utile dans des domaines qui embauchent rapidement, comme le service à la personne, je veux bien. Ou la boulangerie, pâtisserie, je sais déjà faire le pain. S'il faut que je fasse une formation pour être qualifiée, c'est encore mieux. "

Des femmes migrantes de plus en plus diplômées

Parmi les femmes qui immigrent en France, nombreuses sont celles comme Thérèse qui sont diplômées. Et elles le sont de plus en plus. Selon l'INSEE, 38% des femmes migrantes ont un diplôme supérieur contre 35% des femmes françaises. 

"J'ai en tête une avocate qui venait d'un pays où elle était menacée. Elle n'a pas pu le prouver. Elle a donc été déboutée du droit d'asile", raconte Yvelyne Froger, bénévole à la Cimade du Loir-et-Cher. 

"Allez dire à cette avocate qu'il faut qu'elle trouve un poste d'agent d'entretien ! Ça interroge sur ce qu'on impose à la personne qui arrive dans un pays dit des droits de l'Homme. On leur demande de faire une croix sur leur vie antérieure et de redémarrer dans des conditions plus que précaires. Ce stress chez les personnes migrantes, c'est vraiment inhumain," s'indigne-t-elle. 

L'obligation d'héberger toutes les femmes quelle que soit leur situation administrative

Avec le plan hivernal et grâce à la solidarité des bénévoles, le nombre de femmes sans abri, majoritairement des femmes en situation irrégulière, a baissé en ce mois de décembre dans le Loir-et-Cher. "L'Etat a l'obligation de proposer une solution d'hébergement d'urgence à toutes les femmes et leurs enfants de manière inconditionnelle, quelle que soit leur situation administrative", rappelle Daniel Ramelet, directeur départemental en charge de solidarités auprès du Préfet du Loir-et-Cher.

Entre 2018 et 2022, le nombre de places d'hébergement d'urgence dans le Loir-et-Cher a plus que triplé passant de 98 en 2018 à 352 en 2022, auxquelles il convient d'ajouter jusqu'à 45 places d'hôtel. " Mais il est vrai que la précarité et la pauvreté augmentent plus vite que les moyens mis en place", concède le directeur départemental chargé de l'hébergement d'urgence dans le Loir-et-Cher. 

L'inquiétude vis à vis du projet de loi sur l'immigration

A l'accueil de jour du Planning familial, un sujet fait consensus : "Un titre de séjour libère une chambre en hébergement d'urgence", explique Hélène Couturier, bénévole à la Cimade. "Il faut revoir le système d'attribution des titres de séjour. Certaines ont un titre de séjour sans permis de travail. Sans travail, pas de logement...alors qu'une femme en situation régulière peut avoir accès à un logement social". 

Toutes craignent que le projet de loi sur l'immigration durcisse encore plus les choses. 

Pour recruter dans les secteurs en pénurie de main d'œuvre, le gouvernement plaide pour la création d'un titre de séjour "métiers en tension".  "Les organisations professionnelles nous disent qu'elles ont besoin qu'on facilite le recrutement d'étrangers. Nous leur proposons des solutions avec ce projet de loi", estime Olivier Dussopt, ministre du Travail. "Ce titre de séjour spécifique sera là pour régulariser une situation parce qu'on démontre qu'on travaille dans un métier en tension", a -t-il détaillé lors d'un entretien accordé au Monde le 2 novembre 2022, citant notamment l'exemple de la filière du bâtiment.

 "C'est une loi à deux vitesses avec les personnes qui parviendront à s'insérer parce qu'elles peuvent exercer un métier en tension. Par contre, pour les femmes avec des enfants en bas âge qui n'ont pas accès à l'apprentissage de la langue ou de solution de garde, la situation sera encore plus précaire", craint Hélène Couturier, bénévole à la Cimade à Blois. 

Le projet de loi sur l'immigration portée par Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et Olivier Dussopt, ministre du Travail doit être examiné début 2023. 

Pour la Journée internationale des Migrants instaurée par l'ONU, la Ligue des Droits de l'Homme et le Collectif de soutien aux sans papiers et demandeurs d'asile du Loir-et-Cher lancent un appel au rassemblement le dimanche 18 décembre devant la Préfecture du Loir-et-Cher à 11h. 

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