À seulement vingt ans, Lansana est arrivé à Orléans en 2016 après un périple d'un an. Originaire de Guinée, il se confie sur les épreuves et les difficultés rencontrées pour rejoindre l'Europe.
"Je ne montre pas sur mes réseaux sociaux que tout va bien ici en France, parce que ça incite trop les gens de chez moi à faire la même chose. J'ai pu surmonter les obstacles, eux pas forcément". La mort de 27 migrants dans la Manche le 24 novembre dernier a ravivé de sombres souvenirs chez Lansana Kourouma. Lui aussi, il y a cinq ans, il voyait en la France un Eldorado, la promesse d'une vie meilleure.
Aujourd'hui installé à Orléans, le jeune Guinéen de 20 ans a accepté de raconter son histoire à France 3. Une façon pour lui aussi "de communiquer pour aller mieux et se motiver pour aller toujours plus loin" dans ses projets.
Quitter la Guinée, mais pour aller où ?
En 2015, Lansana a 14 ans. Il vit à Conakry, la capitale de la Guinée. A ce moment-là, le pays connaît une crise sanitaire, provoquée par le virus Ebola, et la Banque Mondiale met en garde contre l'impact "catastrophique" de cette épidémie sur l'économie du pays. L'OMS a depuis estimé à 2 535 le nombre de décès causés par la maladie.
L'adolescent vit avec ses parents jusqu'à leur divorce. Il part alors s'installer avec son père et sa belle-mère. Il tombe malade et ne peut donc plus s'occuper de sa famille, sa marâtre préfère s'occuper de ses propres enfants. C'est dans ces conditions qu'il décide de quitter le pays pour rejoindre l'Algérie.
Je n'avais pas d'avenir. J'étais jeune, je ne réfléchissais pas trop mais en même temps si je partais, je me disais que ça serait toujours mieux ailleurs.
Lansana Kourouma
Lansana reste de ses 14 à ses 15 ans en Algérie, où il travaille dans le bâtiment. "Ca se passait plutôt bien, parfois non parce qu'on me faisait travailler sans me payer. La nuit, je dormais sur les chantiers". À son jeune âge, il ne sait pas encore qu'il était possible de rejoindre l'Europe. "Certains de mes collègues sont partis en Europe et nous ont envoyé des nouvelles. C'est ce qui m'a donné envie de rejoindre le continent". Il continue à travailler jusqu'à rassembler l'équivalent de 900 euros en dinars algériens. L'heure du départ a sonné.
Objectif Europe
Un premier bus l'amène jusqu'à la frontière algérienne avant qu'un 4x4 ne le conduise chez son passeur qu'il avait payé pour rejoindre la Libye. "J'avais convenu un deal avec lui. En Libye, il devait s'occuper de moi en attendant que je trouve un moyen de rejoindre l'Europe". C'est ce qui se serait passé si le passeur n'avait pas profité de la position de faiblesse dans laquelle se trouvait le jeune homme. Une fois l'argent en poche, il jette Lansana dans un taxi, direction le bord de mer, près de Tripoli. Des galères, jusqu'au jour où l'occasion se présente : le jeune Guinéen parvient à rentrer dans un convoi.
J'y suis resté des semaines, peut-être des mois. Il faisait froid et on avait faim. Je dormais dehors tout en restant à l'affût des rebelles.
Lansana Kourouma
Les heures passent … jusqu'à ce que la marine libyenne les arrête. Retour à Sabratha, principale plate-forme de départ vers l'Europe. Là-bas, Lansana est emmené en prison où de nombreuses nationalités de migrants cohabitent. "Les gens étaient paralysés parce qu'on ne mangeait pas assez. Certains allaient même jusqu'à mentir sur leur nationalité lors de la venue des consulats pour essayer de sortir. Je dormais beaucoup parce que je ne pouvais rien faire d'autre. On était empilés les uns sur les autres et je préférais penser que c'était un rêve plutôt que de voir la réalité en face".
C'est pendant l'une des distributions de "repas", durant laquelle les prisonniers sont amenés dans un "grand hangar", qu'il parvient à s'échapper. Encore adolescent, il profite de sa petite taille pour monter sur le dos d'un autre migrant, plus costaud. "On a sauté les clôtures de la prison. Mais une fois sortie, nous étions aussi en danger. En France, vous avez des voitures. Là-bas, ils ont des armes". Aussi pourchassés par les rebelles, il garde de cet épisode le souvenir de deux de ses compagnons, s'écroulant sous le bruit des balles en criant le nom de leurs mères.
Si je sortais pas, c'était la mort. Soit tu meurs soit tu sors. Si je mourais en essayant de sortir, je voulais juste que quelqu'un puisse expliquer comment ça s'est passé, qu'il y ait une trace quelque part.
Lansana Kourouma
"Si j'avais réalisé plus tôt, je serais resté en Afrique"
Dans sa course, Lansana, à bout de forces après plusieurs semaines passées en détention, se fait rattraper par les gardes de la prison. L'un braque une arme sur lui, tente de tirer : aucune balle ne sort. "J'y ai vu un signe du ciel. Sans trop réfléchir, je me suis jeté sur lui et il était tellement surpris que j'ai pu lui échapper". À 15 ans, il frôle la mort pour la première fois.
L'adolescent marche, jusqu'à croiser un homme qui accepte de l'accueillir chez lui. Sauf que son hôte connaît l'un des gardes de la prison. "Ils ont vu mes blessures sur mon visage et m'ont demandé comment je les avais faites. J'ai dit "au travail" mais ils m'ont pas cru". De peur, il se réfugie dans une station service non loin de là, demande la route vers la mer, qu'il rejoint après 45 minutes de marche.
Les poches vides, Lansana se présente une nouvelle fois lors du départ des convois, en vain. "Y'avait un camerounais qui avait 200 euros sur lui qu'il gardait pour acheter un téléphone en Europe. Il voulait pas me laisser dans la galère. Il m'a filé 100 euros pour prendre le bateau, mais j'ai encore dû négocier. On m'a finalement conduit jusqu'au convoi". Sur place, il est rapidement identifié par les autres migrants, "le Guinéen". Il parvient malgré tout à monter à bord d'un bateau gonflable avec, à son bord, plus d'une centaine d'autres migrants. Une seule idée demeure : rejoindre l'Europe, peu en importe le prix.
Je ne savais pas que la route était comme ça. Si j'avais réalisé plus tôt, je serais resté en Afrique. C'est risquer sa vie.
Lansana Kourouma
130 migrants alignés en rang de dix dans un bateau gonflable de nuit sur la voie de la Méditerranée centrale. La scène paraît surréaliste et pourtant, ils sont des milliers chaque année à tenter la traversée. Mais le jeune homme a eu de la chance cette nuit-là : après neuf heures en mer, ils sont repêchés par un bateau de SOS Méditerranée. "J'ai vu comment les vagues remuaient le grand bateau et moi je me suis aventuré sur un gonflable. J'ai risqué ma vie et avec du recul, je réalise que c'était une grande connerie". Il passe deux nuits à bord avant de débarquer, enfin, sur les côtes italiennes.
Début de la Dolce Vita
Lansana se retrouve à Palerme, en Sicile. Il y est accueilli par un médecin à la retraite, fondateur d'une association d'aide aux migrants. "C'est pas comme en France : on nous donnait à manger, une prof venait de temps en temps faire cours, mais par exemple pour les vêtements, on devait se servir à la déchetterie". Il vit alors majoritairement avec des Gambiens, qui ne partagent pas la même vision que lui de la vie. Selon lui, ils n'avaient pas les mêmes vécus et les mêmes valeurs. "J'ai pas risqué ma vie pour ça". Un mois après son arrivée, il parvient à quitter l'île.
Par autocar (embarqué sur un bateau), il rejoint Milan. "Là-bas, j'ai eu la chance d'avoir une copine dont la maman était restauratrice. Je l'aidais à cuisiner et faire le ménage contre de l'argent. Elle voulait que je m'habille, mais je gardais l'argent pour partir car je n'avais pas l'intention d'y vivre".
J'avais pas trop le choix : je devais quitter les gens que j'aimais. Je ne parle pas la même langue. C'est aussi ça qui me donnait envie de venir en France.
Lansana Kourouma
Il rejoint ensuite Vintimille, une ville située à la frontière franco-italienne. Son rêve est à quelques minutes de train. Il parvient à en prendre un qui le fait arriver à côté de Nice (il ne se rappelle pas du nom de la commune). C'est un dimanche, et aucun bus ne circule. Lansana s'est battu plusieurs mois pour arriver jusqu'en France : il est prêt à patienter quelques heures de plus.
En voiture, un homme accepte de la déposer à une station de tramway, grâce auquel il rejoint la gare de Nice. "On m'avait dit qu'une fois monté dans le train, on ne pouvait pas me faire descendre". Il atteint Marseille, puis Lyon, avant d'arriver enfin à Paris. "J'ai dormi une nuit gare d'Austerlitz et j'ai demandé quelle était la ville la plus proche pour éviter les contrôles. C'est comme ça que je suis arrivée à Orléans". Le périple prend fin en juin 2016.
"Aujourd'hui, mes amis me font oublier presque tout ce que j'ai vécu"
Arrivé à Orléans, le chemin est encore semé de quelques embûches. Il se présente au commissariat le plus proche où il est placé en cellule pour la nuit. Le lendemain, il est conduit au CHR d'Orléans pour des tests osseux, visant à déterminer approximativement son âge. Les tests révèlent qu'il est encore mineur : il est rapidement présenté à une juge pour enfant. "C'est aussi grâce aux associations que la juge a accepté que je reste sur le territoire. Elles m'ont aidé à trouver un avocat, à faire du bénévolat au Secours Populaire et à la recyclerie de l'Argonne pendant trois ou quatre mois. Ca m'a permis de créer du lien et montrer que je voulais m'intégrer."
Depuis, Lansana Kourouma a suivi une formation de quatre ans pour devenir paysagiste. Quatre années durant lesquelles il s'est aussi construit personnellement. "Aujourd'hui, mes amis me font oublier presque tout ce que j'ai vécu. Si je ne les avais pas eu, j'aurais pas eu le courage de continuer. Ils m'ont donné toute l'affection que mes personnes ne m'ont pas donnée". Cet été, pour la première fois depuis son départ, le jeune Guinéen est allé rendre visite à sa famille.
Je suis retournée en Guinée dix jours. Ca a été difficile parce que ma famille ne voit que le profit que je fais aujourd'hui en France quand je raconte mon histoire. J'ai compris que personne n'aime mon bonheur comme moi-même
Lansana Kourouma
Aujourd'hui, Lansana est en passe de signer son CDI en tant que paysagiste pour la société Eric Dunou Espaces Verts à Traînou, à une vingtaine de kilomètres d'Orléans. Même s'il doit encore régler certaines formalités, comme passer son permis de conduite, l'homme désormais âgé de 20 ans apparaît heureux de la vie qu'il mène. "Tant qu'il y a la santé, c'est le principal". Comme un parfum de revanche sur la vie.