"De sel, de cendres et de souvenirs" : faire face à la mort et au deuil d'un proche

Comme chaque vie est unique, chaque deuil l'est aussi. Le documentaire de Julie Grossetête interroge notre rapport à la mort.

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Faire face, sans même savoir comment, à cette disparition qu'il faut gérer dans les délais imposés. En apnée, se prêter aux obligations administratives. Chercher des photos dans les boîtes à souvenirs. Solliciter des volontaires pour lire quelques textes à la cérémonie pour témoigner de la personnalité du défunt et du manque qu'il va laisser.

Entourés par la famille et les amis, venus de plus ou moins loin, partager un repas et lever les verres pour faire hommage au disparu. Bientôt, chacun reprendra le chemin de sa vie parce que le monde extérieur ne s'arrête pas de tourner quand on perd un être aimé.

Comment continuer de vivre avec l'absence ? Existe-t-il une méthode pour faire le deuil, en suivant des étapes numérotées, comme des bons élèves capables de sortir du tunnel, une fois l'apprentissage mené à bien ? Sommes-nous tous égaux et identiques dans ce parcours ?

Bien sûr que non.

À l’écart du regard

Julie Grossetête, réalisatrice du documentaire "De sel, de cendres et de souvenirs", a perdu sa mère alors qu'elle n'avait que 18 ans. "Ça a été tellement violent, que j'ai effacé malgré moi, la mémoire de sa vie et j'ai laissé tous mes souvenirs bien enfouis dans des valises. "

Laisser les silhouettes et les visages figés sur le papier à l'écart des regards. Ne pas rajouter des souvenirs au souvenir, non pas pour oublier, mais pour ne pas rajouter de la peine à la peine, déjà si lourde. Ne pas appuyer là où ça fait tellement mal, en s'imposant un face-à-face quotidien avec un objet symbolique ou une photographie.

Je me demande comment ceux qui restent peuvent vivre leur deuil autrement ?

Julie Grossetête

Julie dans son documentaire et son chemin de deuil part à la rencontre de Marina, Christine et Motoi qui ont perdu, eux aussi, des membres importants de leur famille. Tous trois prolongent la mémoire de leurs disparus au travers d'une expression artistique.

Le pouvoir des objets

Marina le Guennec, contrairement à Julie, vit au milieu de ses souvenirs et des objets familiaux du passé. Un pot à lait, des photos, d'anciens cadres, "la vieille machine des jours avec ce temps qui passe" ayant appartenu à son grand-père. Les fameuses berniques de PéPé et les littorines de sa maman, des coquillages dans lesquels on n'entend pas la mer, mais des histoires d'autrefois.

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Marina et son théâtre d'objets "Pépé Bernique" ©France télévisions

Combien sont-ils à porter leur deuil ainsi, à caresser du regard ou de la main l'empreinte des absents ? S'accrocher aux choses personnelles pour s'approprier un lien physique avec le disparu.

Respirer l'odeur de son parfum pour embrasser encore la fragrance de sa peau. Sentir le contact d'un vêtement habité par sa présence. Combien sommes-nous à repousser le vide en nous entourant d'objets témoins de ceux qui ne sont plus ?

Le théâtre d'objets de Marina, tout en poésie, ouvre l'horizon de ses souvenirs. Elle fait de ce qui a été, une création personnelle. Loin de rester figée dans son passé, elle l'emmène ailleurs et le fait vivre autrement. Un prolongement tourné vers l'avenir pour ne pas oublier tout en continuant d'avancer.

Ce vélo-là, peut-être qu'il aurait pu te l'offrir. Il aurait été trop fier de faire du vélo avec toi.

Marina, à son petit garçon

Cette transmission est importante pour elle, pour ne pas laisser tomber dans l'oubli ceux qui ont marqué sa vie. Elle raconte sur scène et en privé les anecdotes du passé. Toutes ces petites perles précieuses qui, comme les cailloux du Petit Poucet tracent le chemin qui la mène aux côtés de son Pépé Bernique,

"Je me rends compte que les créations me mettent à distance. C'est comme une digestion. Du coup, l'émotion est moins présente."

Marina, profondément meurtrie par le décès de sa maman, va éveiller le silence. Faire éclore un nouveau spectacle pour libérer ses mots, encore enfouis.

Vu le sujet, je ne maîtrise pas tout, c'est dur de se mettre à distance.

Marina

Qu'on le veuille ou non, la mort fait partie de la vie et à cela, on n'y peut rien changer. Plus de veillées, de chambre mortuaire dans les maisons, de vêtements de deuil. Autrefois, la mort avait une forme, un cadre, une pratique.

Aujourd'hui, dans notre société, où tout va très vite, il faut rapidement passer à autre chose. Ne pas imposer sa peine au-delà des limites entendables, au risque de faire le vide autour de soi. 

Le deuil du monde

Christine Spengler découvre sa vocation avec son frère Éric, qui lui propose de faire un voyage avec lui au Niger et au Tchad. À leur retour, elle lui apprend qu'elle veut devenir correspondante de guerre pour témoigner des causes justes. Il lui offre son Nikon accompagné d'un petit mot.

Elle continue son chemin, seule en Irlande du Nord et à Saïgon. Brisée par le suicide d'Éric, elle fuit dans tous les conflits avec l'espoir de le rejoindre plus vite. Cambodge, Sahara occidental, Nicaragua, Salvador, Liban, Afghanistan et Irak. La mort est partout, mais elle ne veut pas d'elle.

Christine a choisi la photo car elle fige un instant pour l'éternité.

Julie Grossetête

En osmose avec les femmes de martyre, elle éprouve et témoigne en noir et blanc de cette souffrance face à la disparition d'un proche. À chaque retour, elle réalise des photomontages en couleurs des défunts de sa famille, des êtres aimés et admirés comme Marguerite Duras, Frida Khalo, Maria Callas...

J'ai enfin trouvé le moyen d'abolir la barrière entre les vivants et les morts.

Christine

Ses compositions perpétuent la mémoire, en donnant de la vie aux portraits des disparus, entourés de leurs objets personnels et de leurs talismans. Une sortie de l'ombre pour entrer dans une autre dimension, enluminée, où la vie ne s'éteint pas.

Au pays du soleil levant

Motoi crée des labyrinthes de sel pour revisiter la mémoire des êtres aimés, décédés. Il commence par dessiner une petite partie qui ressemble à un but, censée représenter le cœur. Son autre série s'appelle Jardin flottant.

C'est une œuvre où je crée des formes de vagues souvenirs, qui sont profondément enfouis dans mon subconscient.

Motoi

Au japon, le sel est utilisé lors des rites funéraires pour se purifier et chasser les mauvais esprits après avoir assisté à des funérailles. Dans les autels installés dans les maisons, à la mémoire des disparus, il capture les émotions et les peines qui seront renvoyées à la mer.

Depuis le décès de sa sœur, il y a vingt ans, Motoi, fait corps et âme avec ce sel qui absorbe ses sentiments et le transforme en support artistique. Sa défunte femme Atsuko, la maman de sa petite fille, laisse désormais, elle aussi, ses empreintes dans ces lignes blanches. Des œuvres éphémères, comme notre passage sur terre.

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Motoi Yamamoto aux côtés de sa fille face au décès de sa femme Atsuko ©France télévisions

Faire une place à nos morts dans nos vies et raviver les souvenirs qui nous lient. Éveiller nos mémoires et transmettre aux générations futures l'histoire de nos aïeux pour ne pas éteindre la flamme. Laisser libre cours à l'expression pour que jaillissent enfin "nos souvenirs quand on les a laissés s'effacer."

"De sel, de cendres et de souvenirs", un documentaire de Julie Grossetête produit par Camille Raulo et Jean-François Bigot. Une coproduction de JPL films, France Télévisions et France 3 Bretagne. À voir sur France 3 Centre Val de Loire à 23 h ce jeudi 11 janvier 2024 et en replay sur france.tv.

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