Le centre financier des Chèques Postaux installé à Orléans La Source en 1968 est un lieu mythique pour les orléanais. C’est aussi un lieu emblématique de l’émancipation des femmes dans le monde du travail. A découvrir dans le documentaire "La vie moderne" de Bruno Ulmer et Catherine Ulmer-Lopez
Le documentaire "La vie moderne" nous plonge dans les années 60, à l'arrivée du centre financier des Chèques Postaux dans le quartier nouveau de La Source.
Revoir le documentaire "La vie moderne" :
Naissance de la ville nouvelle de La Source
Dans les années 1960, une ville-champignon pousse à dix kilomètres du centre d'Orléans, en pleine Sologne. La Source, cité nouvelle de près de 20000 habitants que les Orléanais - encore aujourd'hui - ont du mal à considérer comme un quartier de leur ville.
En 1959, le maire centriste Roger Secrétain souhaite redynamiser Orléans. Il a un projet très ambitieux : bâtir de nouveaux logements, mais aussi attirer des centres de recherche parisiens et, surtout, faire renaître l'université, sous forme d'un "Oxford à la française". Il décide donc d'acquérir 718 hectares de forêts et d'y installer un "Orléans 2", dont la réalisation est confiée à l'architecte urbaniste Louis Arretche.
Le quartier prend forme : des barres HLM, symboles de modernité, plus loin des pavillons, des lacs, un vaste campus universitaire, une zone d'activité, le tout en préservant de nombreux espaces boisés. Le CNRS vient s'y s'installer, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) également, ainsi que des administrations.
Implantation du centre financier des Chèques Postaux
Les Chèques Postaux ont été créés en 1918 après la première guerre mondiale pour éviter une inflation. L'État veut démocratiser l’usage du chèque auprès des Français. Les PTT sont désignés pour cette mission.
40 ans après l'ouverture des premiers centres de Chèques Postaux, le centre de Paris atteint sa capacité maximale. Le nombre de comptes chèques a doublé entre 1945 et 1965.
En 1962, un projet de créer un nouveau centre dans la ville nouvelle d'Orléans-la-Source voit le jour. La construction des CCP de la Source commence en 1965. C'est au milieu de l'immense chantier de ce nouveau quartier d'Orléans qu'émerge un immeuble en croix, conçu un peu dans le style de celui de l’UNESCO, érigé à Paris peu d’années auparavant, haut de 8 étages, 42000 m2 de béton armé. Il ouvre ses portes le 12 novembre 1968.
Dans la vidéo ci-dessous, retour sur la construction du bâtiment des Chèques Postaux d'Orléans-La-Source :
Dans ce quartier en pleine émergence, La Poste crée une épicerie, une crèche, un centre culturel, des installations sportives. C'est une véritable institution. Le centre financier de la Source est l'un des plus importants des 19 centres existants en France métropolitaine et le premier producteur européen de carnets de chèques.
Les "Chèques Postaux", comme on a tout de suite pris l’habitude d’appeler le lieu, deviennent rapidement le noyau de vie du nouveau quartier.
Une épopée féminine : des combats pour de meilleures conditions de travail et de vie
A leurs débuts, les Chèques Postaux, c'est surtout un univers de femmes.
Les PTT qui ont déjà une longue tradition d’une répartition sexuée des emplois préfèrent recruter des femmes (40% des effectifs) pour les métiers d’employées à partir d’un principe justificateur simple : celui reposant sur leur supposée plus grande efficacité que les hommes pour effectuer des tâches parcellisées. Pour des raisons également machistes et masculines pleinement assumées, les femmes seraient plus attentionnées et nerveuses. De ce fait, elles auraient un meilleur rendement. Autre raison : le salaire. Celui des femmes est bien inférieur. Au centre de La Source, 75% des employés sont des femmes, majoritairement encadrées par des hommes.
Je suis arrivé pour encadrer un service de 250 personnes dont 249 femmes. C'est elles qui avaient les travaux les plus routiniers et qui avaient le moins de liberté.
Philippe de Bertrand, cadre de la Poste à la retraite
Au cours des années 1950 et 1960, l’administration des PTT devient le théâtre de nombreux mouvements sociaux pour dénoncer la condition sociale du personnel féminin, la santé au travail et la difficile conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle. En France, les femmes représentent alors, une grosse part de la classe ouvrière, dont le plus grand nombre se trouve en bas de l’échelle sociale.
Orléans-la-Source va devenir un site majeur de revendications sociales concernant l’environnement du travail féminin.
La reconnaissance de risques liés à leur travail est portée par les voix fortes de Louis Le Guillant, médecin psychiatre reconnu et militant communiste et Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT.
Entièrement codifié, le travail mécanisé tend à transformer les agents en automate dont la qualité s’apprécie d’abord en fonction de la rapidité des gestes à effectuer. Au fil du temps, le volume de chèques à traiter ne cesse d’augmenter alors que les effectifs n’augmentent que de 6%.
Louis Le Guillant effectue une recherche pour tenter d’évaluer l’influence des conditions de vie et de travail sur la santé mentale. Il déclare que ce n’est pas un hasard s’il en est venu à s’intéresser aux employés des PTT, et plus particulièrement aux catégories féminisées du bas de l’échelle comme les mécanographes des chèques postaux. Lors des consultations de neuropsychiatrie qu’il donne dans son cabinet, il a pu évaluer la forte prévalence de troubles nerveux chez ces employées. Le Guillant part du postulat que l’augmentation importante du nombre de cas de maladies mentales dans les services féminisés des PTT tient d’abord à la dégradation des conditions de travail.
Le mal-être au travail provient aussi des rapports que le personnel féminin noue avec la hiérarchie. L’encadrement, spécifiquement masculin, est souvent méprisant.
À partir du début des années 1960, s’appuyant sur les travaux de Le Guillant expliquant que seuls deux jours de repos consécutifs permettent de récupérer véritablement de la fatigue et de la tension nerveuse d’une semaine de travail, les militantes féministes de la CGT-PTT mènent une campagne revendicative pour faire bénéficier le personnel féminin de la semaine de cinq jours. Elles établissent un point de comparaison entre les services des chèques postaux et le milieu de la banque où les deux jours de repos consécutifs sont désormais la règle.
Autre combat : la conciliation de la vie professionnelle et familiale.
Les militantes féministes de la CGT-PTT revendiquent la réduction du temps de travail dans les centres de chèques postaux en s’appuyant sur un mot d’ordre porteur en soi de progrès social "avoir le temps et les moyens de vivre" pour "qu’enfin les femmes puissent concilier leur rôle de travailleuse et leur rôle de mère".
On s'est battu en 73 pour avoir des garderies, des crèches, pour avoir tout ce dont on avait besoin. On allait manifester devant la direction avec nos enfants sous le bras. Il fallait réclamer, si on ne réclamait pas, on n'avait rien.
Christiane Dumas, postière à la retraite
En 1961, la revendication de la semaine des 36 heures en cinq jours entre dans une nouvelle phase à Lyon-Chèques lors d’une consultation commune entre Force ouvrière, la CGT et la CFTC. Des grèves éclatent dans les centres de chèques postaux de Marseille, Lyon, Paris, Rennes, Rouen et Toulouse pour satisfaire aux revendications liées à la réduction hebdomadaire du temps de travail.
En février 1967, la Fédération postale revendique alors 18 semaines de congé maternité pour que les employées puissent concilier les obligations maternelles et professionnelles, le maintien intégral de toutes les primes en cas de congé maternité, des congés exceptionnels sur simple certificat médical pour soigner un enfant malade, et l’éloignement des femmes enceintes des positions pénibles.
Ainsi, tout au long des années 1960, les mots d’ordre liés à la réduction du temps de travail remportent une vive adhésion chez un nombre grandissant d’employées des PTT alors que ce sont plutôt les hausses de salaire qui rencontrent la faveur des revendications du personnel masculin.
Des combats qui résonnent encore aujourd'hui...
Les Chèques Postaux d'Orléans-la-Source racontés par l'historien Sébastien Richez dans la vidéo ci-dessous :
3 bonnes raisons de regarder ce documentaire
La première bonne raison de regarder ce documentaire est de « remonter à la Source » et de découvrir la naissance de cet Orléans 2.
La seconde bonne raison est la parole donnée aux anciens employés du bâtiment des Chèques Postaux. À l’origine, un univers de jeunes femmes qui témoignent et racontent leurs cadres de vie, leurs conditions de travail initiales perturbées par l’arrivée de l’informatique. La perte de sens, la crainte de l’avenir, le pouvoir de la machine… Des réflexions et des échanges ponctués de vidéos et de photographies de l’époque.
La troisième bonne raison est un rappel sur les conditions féminines de l’époque, sur les inégalités salariales et de traitement ; mais aussi sur le combat mené et sur les droits acquis. Un combat que les femmes d’aujourd’hui n’ont pas cessé de mener et des inquiétudes générales qui ne sont pas si éloignées de notre vie moderne.
► "La vie moderne", une coproduction Girelle Production et France Télévisions, réalisée par Bruno Ulmer et Catherine Ulmer-Lopez et produit par Christophe Camoirano.
Première diffusion le jeudi 5 mai 2022 à 22h35 sur France 3 Centre-Val de Loire.