Documentaire. "Peau à peau", en mission humanitaire dans une maternité en Éthiopie avec une sage-femme

Anne-Séverine est sage-femme depuis 28 ans. Après huit années d'engagement humanitaire, elle s'envole à nouveau pour une mission en Éthiopie. L'objectif ? Améliorer les conditions d'hygiène et de confort des femmes en souffrance et de leurs nouveau-nés.

9 000 femmes accouchent à l'hôpital Saint-Paul d'Addis Abeba chaque année. Elles n'ont pas accès à la péridurale et le taux d'épisiotomie est de 76 %. L'hygiène est plus qu'approximative et le bien-être de la femme ne fait pas vraiment partie du protocole.

Anne Séverine veut changer les habitudes, bien ancrées, en enseignant de nouvelles pratiques obstétricales susceptibles de réduire considérablement les déchirures à la sortie du bébé lors de l'accouchement. Elle accompagne, explique, se répète, mais apparaît bien souvent comme une empêcheuse de tourner en rond.

Face à cette résistance silencieuse, elle refait la leçon avec patience et bienveillance, tout en insistant sur les points sensibles. Les gestes à apprivoiser sont mimés pour être assimilés. Le rythme de la voix rythmée, claire et précise est accompagné d'un regard qui accentue le contenu du propos. Anne Séverine veut se faire entendre, se faire comprendre par les praticiens en laissant le moins de place possible à la dérobade et aux paroles qui tombent dans le vide. Elle veut placer la femme et l'enfant au centre de ce moment crucial. Redéfinir les priorités et faire en sorte que toute douleur évitable le soit.

L'apprentissage d'un mouvement, expérimenté et maîtrisé à des milliers de kilomètres qui en bouscule d'autres, acquis ici, et appliqués jusqu'à présent. La confrontation au changement et la remise en question sont déstabilisantes, inconfortables, voire inutiles pour certains.

Vous ne regardez jamais la seconde épaule. Et c'est souvent à ce moment que vous provoquez une déchirure.

Anne-Séverine, sage-femme

Anne-Séverine insiste sur le fait que la femme n'a pas attendu l'homme pour accoucher. Elle rassure, encourage, félicite la maman dans ses efforts. Elle ralentit le mouvement, le clampage du cordon et réduit la tension et la précipitation. Une immersion dans une salle d'accouchement, derrière un jeu de rideaux. Une intimité précaire, mais précieuse entre la maman et le corps médical.

Au sein de l'hôpital

En mission depuis cinq ans dans un autre service de l’hôpital, Mark est un médecin américain. Il a tiré des leçons de son expérience et des erreurs qu'il a pu commettre. "Je n'étais pas assez directif, j'ai essayé de céder aux habitudes. On m'avait dit de le prendre en compte, que c'était une culture différente... Mais ça n'a pas marché, jusqu'au jour où je suis devenu plus dogmatique, très concentré, sûr comme faire mon métier et comment être un infirmier en soins intensifs. Tu as intérêt à prendre la voie de la confrontation, sinon, tu n'y arriveras jamais... Parce que moi non plus, je n'ai pas réussi !".

Des échanges enrichissants entre deux soignants, un homme et une femme, aux profils et aux genres différents évoluant dans une société patriarcale. Anne-Séverine impose ses règles avec fermeté, rigueur et conviction, tout en préservant une proximité bienveillante. La cohésion d'équipe et la communication entre les soignants font partie des bases qu'elle souhaite transmettre pour gagner en efficacité.

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Le travail de la communication pour une meilleure prise en charge du patient ©France télévisions

En théorie, l'objectif semble abordable à plus ou à moins longue échéance. Dans la pratique, la résistance et le laxisme ambiant ont souvent le dernier mot. Les habitudes sont tenaces et les changements, selon Mark, doivent se faire au forceps et dans la confrontation. Anne-Séverine, quant à elle, privilégie la communication positive et le pas à pas. Parviendra-t-elle à pérenniser son enseignement ?

La sage-femme rabâche encore et encore, montre l'exemple. Le confort de la femme est une priorité et cela commence par la mise à disposition d'un lit recouvert d'un drap et d'une salle de naissance débarrassée des détritus qui jonchent le sol.

Ça, ce n'est pas un lit correct, c'est un lit en plastique.

Anne-Séverine, sage-femme

Anne-Séverine, toujours en mouvement, dicte les gestes en s'activant sur la tâche à opérer, demande s'ils sont bien compris. Une répétition des mots et des actes pour s'assurer d'avoir passé le message en toute clarté. Un outil de persuasion qui s'accompagne d'un tapotement d'épaule ou d'un regard appuyé pour déjouer la dérobade, en toute bienveillance. Anne-Séverine est une locomotive qui veut sortir les soignants locaux des rails de l'habitude et du train-train quotidien en optimisant leurs compétences. Elle cherche des alliés auprès des médecins et des sages-femmes pour avancer ensemble dans la prise en charge de la femme avant, pendant et après son accouchement. "Personne ne fait attention à la femme, et elle reste dans le liquide amniotique, l'urine, le sang."

Les images des locaux, miroirs du manque de moyens et reflets de ceux qui sont inexploités parlent d'elles-mêmes. De nouveaux bâtiments, modernes et bien équipés, dédiés à la femme et à l'enfant devraient déjà avoir ouvert leurs portes, mais les travaux ont pris beaucoup de retard. Des nouvelles conditions de travail qui devraient considérablement améliorer le bien-être des soignants et des patientes en impulsant une nouvelle énergie.

En attendant, Anne-Séverine va devoir continuer de faire sans. Mandatée pour décrocher le label de qualité IHAB créé par l'OMS : initiative Hôpital ami des bébés, elle voit cet objectif s'éloigner et se réduire comme une peau de chagrin.

Certains médecins commencent à me demander : "Combien de temps, tu vas rester ici ?".

Anne-Séverine, sage-femme

Animée par sa flamme intérieure, Anne-Séverine, épuisée, s'accroche malgré tout et ne lâche rien. Le taux d'épisiotomie, initialement à 76 % a été réduit à 35 % quand L'OMS préconise 10 %. Un protocole de soins en salle de naissance s'affiche désormais sur les murs de l'hôpital. Sera-t-il respecté à la lettre par des médecins et des sages-femmes coopératifs, adopté partiellement ou sitôt rangé aux oubliettes après son départ ?

Les bienfaits du Peau à Peau 

Les bienfaits du peau à peau sont multiples. Pratiqué dès la naissance, il permet de lutter contre le refroidissement du nouveau-né, régule sa fréquence respiratoire et son rythme cardiaque. Il limite aussi les risques d'hypoglycémie en stabilisant son taux de sucre et peut diminuer les risques d'infection. Son système immunitaire n'étant pas encore bien fonctionnel, le bébé s'imprègne de la flore bactérienne de sa maman.

Le contact peau à peau procure un fort sentiment d'apaisement. L'odeur, la voix, les battements de cœur sécurisent le nourrisson tout juste venu au monde extérieur. La maman dispose de ce temps et de cette proximité essentielle pour voir et toucher son bébé. Un instant suspendu entre la mère et l'enfant pour faire connaissance en douceur. Un changement d'habitude, proposé aux femmes, plus ou moins bien accepté. Loin encore des deux heures de peau à peau préconisées par l'OMS, Anne-Séverine privilégie le pas à pas, pour avancer tout doucement, mais possiblement vers cet objectif.

La mère ne voulait pas le garder, et après, on lui explique que ça va faire du bien à son bébé et tout d'un coup, elle veut bien le garder.

Anne-Séverine, sage-femme

Pour d'autres mamans, comme Baria, les yeux pétillants de reconnaissance, la naissance de leur bébé, guidée et accompagnée en douceur par Anne-Séverine est un cadeau inestimable. La sage-femme, maintes fois remerciée, reçoit alors la plus belle des récompenses pour son engagement.

► "Peau à Peau", un film de Camille Tostivint, à voir ce jeudi 30 novembre 2023 à 23 h sur France 3 Centre-Val de Loire et à revoir, en replay sur le site de France.tv. Une coproduction Les films du Texmex et France 3 Occitanie.

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