"En France, les violences policières, ça arrive tous les jours" : un mouvement Black Lives Matter créé à Orléans

La mort de l'afro-américain George Floyd, et un énième rapport médical publié dans le cadre de l'affaire Adama Traoré, ont galvanisé le mouvements contre les violences policières en France. 

"Il n'y a pas de racisme au sein de la police", assurait Camille Chaize, porte-parole du ministère de l'Intérieur, ce 4 juin, sur Cnews. Le lendemain, son ministre de tutelle saisissait la Justice pour des messages racistes partagés au sein d'un groupe facebook privé rassemblant jusqu'à 8000 membres des forces de l'ordre

Ambre, elle non plus, ne partage pas l'avis de la porte-parole du ministère. "En France, les violences policières, ça arrive tous les jours. Il y a tous les jours des pressions mises sur les jeunes des quartiers, notamment", estime la jeune femme, l'une des membres actives du tout jeune mouvement Black Lives Matter d'Orléans (littéralement "Les vies noires comptent").

Etats-Unis : des statistiques alarmantes

Le mouvement est né outre-Atlantique, en 2013, après la mort par balle d'un adolescent afro-américain, Trayvon Martin, et l'acquittement de son meurtrier, Georges Zimmerman. Trois femmes noires sont considérées comme les initiatrices de ce mouvement, parti d'un hasthag sur les réseaux sociauxAlicia GarzaPatrisse Cullors et Opal Tometi. Elles veulent remettre à l'ordre du jour le débat sur le port d'arme, mais surtout sur la violence systémique subie par les afro-américains, notamment de la part des forces de l'ordre.

Selon le Washington Post, en rapportant le chiffre à part de la population qu'ils représentent, les noir américains "sont tués par la police à un taux deux fois supérieur à celui des américains blancs".

La colère des mouvement anti-racistes et des citoyens américains a été une nouvelle fois relancée par la mort de Georges Floyd, le 25 mai 2020. Le père de famille est décédé après avoir été interpellé par les forces de l'ordre. Le policier en charge de son arrestation a maintenu plus de 8 minutes son genou sur la nuque de Georges Floyd, lui faisant porter le poids de son corps. 

Mais le mouvement Black Lives Matters Orléans s'est aussi créé au lendemain de la manifestation organisée à Paris par la famille Traoré, qui a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes à Paris, le 2 juin.

"En France, on ne peut pas savoir : on masque la réalité"

Si ce mouvement s'enracine en France, c'est que le débat autour du racisme et des violences policières prend lui aussi de l'ampleur. Parmi les affaires au centre de l'attention publique et politique, la mort d'Adama Traoré, 24 ans, à la suite d'une interpellation à Beaumont-sur-Oise en 2016. Sa soeur, Assa Traoré, et sa famille sont toujours engagés dans un combat judiciaire visant à faire reconnaître la responsabilité des forces de l'ordre.

Le 8 juin, Emmanuel Macron a demandé à sa ministre de la Justice, Nicole Belloubet, non seulement de se saisir du dossier, mais d'accélerer les propositions pour améliorer la déontologie des forces de l'ordre. 

En France, le combat anti-raciste se heurte à l'interdiction des statistiques ethniques, qui ne permettent pas de mener sur notre territoire le même décompte que le Washington Post.  "J'ai beaucoup réfléchi à cette question, avoue Ambre, la jeune militante. J'y vois du positif et du négatif. Ça démontre un voeu pour l'égalité, mais d'un autre côté, nous n'avons pas de réelles données. En France, on ne peut pas savoir : on masque la réalité."

Dans son rapport annuel remis en 2018, le défenseur des droits, Jacques Toubon, avait tout de même pu aborder la question des contrôles au faciès. D'abord, les jeunes entre 18 et 24 sont bien plus souvent contrôlés que la moyenne. Plus problématique : "Parmi cette population, pour la même période, les jeunes hommes qui déclarent être perçus comme noirs, arabes/maghrébins sont tout particulièrement concernés : 80 % d'entre eux rapportent avoir été contrôlés au moins une fois par les forces de l'ordre."

Le déroulement de ces interpellations est souvent plus violent. Les jeunes hommes de couleur "témoignent en outre de relations plus dégradées avec les forces de l’ordre et font état de tutoiements (40 % contre 16 % de l’ensemble), d’insultes (21 % contre 7 % de l’ensemble), ou de brutalités (20 % contre 8 % de l’ensemble) subis lors du dernier contrôle". 

A l'occasion de la sortie de son nouveau rapport annuel, ce 8 juin, Jacques Toubon a rappelé la "réalité sociologique" de ces contrôles au faciès. Il a également déclaré auprès des médias avoir "demandé des sanctions qui souvent ne viennet pas" pour des policiers coupables de violences

Pour Ambre, Orléans et sa métropole ne font pas exception."Personnellement, ajoute la jeune femme, j'ai très très peur de la police..." Si, au sein du mouvement, elle et ses camarades ont partagé leurs histoires de violences policières, ils se sont refusés aujourd'hui à nous les transmettre, par crainte de représailles.

Une première action pacifique le 9 juin

Pour faire entendre sa voix, le collectif travaille à sa première action publique. "On a choisi la date du mardi 9 juin, une semaine pile après la manifestation d'Assa Traoré à Paris. On ne veut pas de casseurs, pas renverser l'Etat comme on l'entend dire. C'est un rassemblement pacifique, tout ce qu'on veut c'est rendre hommage aux victimes et sensibiliser le maximum de personnes à cette cause. On a fait appel à des artistes orléanais, pour en faire un vrai événement pour l'égalité et contre le racisme. Par le chant, par la danse, par la parole, nous ferons avancer les choses petit à petit."

Même si les militants ont déjà été approchés par plusieurs partis, ils refusent de "politiser" leur événement et leur action. "C'est un mouvement simplement humaniste et humain. Nous débattons encore pour savoir où cela va nous mener. A titre personnel, j'estime qu'il est important de parler d'abord des violences policières, car c'est l'actualité, puis du racisme systémique en France. Notre mouvement, pour moi, doit construire son arborescence, et traiter tous les aspects de la question."

 

Racisme et violences policières en France : qu'en pensent les policiers ?
Les différents syndicats représentant les membres des forces de l'ordre ne portent pas tous le même discours sur le sujet du racisme au sein de la police. 

Le syndicat Sud Intérieur Solidaire a diffusé ce 9 juin un manifeste pour exprimer sa position. "Sud Intérieur, loin d’une vision étriquée et corporatiste de la police, et de sa place dans l’Histoire et la société, a toujours dénoncé la discrimination systémique parcourant la police et les institutions de la République, une discrimination s’exerçant à travers le contrôle au faciès ou les violences policières et institutionnelles" écrit le syndicat. Au terme de racisme, Sud Intérieur préfère la notion de "discrimination". Il reste l'un des seuls à tenir ce discours.

Le syndicat Alternative Police a notamment marqué son soutien aux policiers et policières qui ont pris la parole pour raconter les discriminations dont ils avaient été victimes au sein de leur corps de métier. Il a également réaffirmé son rejet des actes racistes, mais estime que "il n'y a pas de système organisé ni de comportements systémiques". Le syndicat craint cependant ce qu'il appelle une "chasse aux sorcières". "Les policiers (...) doivent être exemplaires mais ils ont aussi des droits !".

Le syndicat "La police en avant" s'est également exprimé dans ce sens. "Nous invitons l'ensemble des collègues, qui seraient victimes d'actes #Racistes a saisir leur hiérarchie (...) Vous n'êtes pas seul dans la #Police" peut-on lire sur leur compte twitter. Craignant également la stigmatisation de la police, il riposte régulièrement contre des interventions de personnalités politiques ou de journalistes sur le sujet. 

Le syndicat des officiers et commissaires de police communique avec beaucoup de mesure depuis le début du débat. Appelant à l'apaisement, il a notamment écrit : "nous devons tous lutter contre le racisme dans notre société, rapprocher la #police de la population mais il faudrait peut aussi éviter de surfer sur l’émotion et faire (des) déclarations outrancières". D'après d'autres écrits sur ses réseaux sociaux, le syndicat préfère la notion de "comportements déviants" à la conception d'un racisme systémique. 

Le syndicat "Policiers en colère" a beaucoup réagi sur ses réseaux lors de l'intervention à ONPC de la chanteuse Camélia Jordana, qui condamnait le racisme au sein de la police et affirmait "avoir peur" face aux forces de l'ordre. Le syndicat affirme avoir porté plainte pour des propos diffamatoires. "Elle préfère fantasmer sur de prétendues violences policières racistes dans des banlieues contrôlées par des gangs où les collègues ne peuvent même plus mettre les pieds.." a notamment écrit le syndicat. Dans un post qu'il qualifie lui-même de "polémique", le syndicat affiche les "gueules cassées" de la police appelant à "juger sur pièce" le profil des personnes blessées. 

Sur la même ligne de communication, le syndicat Synergie-Officiers oppose aux violences policières les violences subies par les policiers. L'organisation a plusieurs fois qualifié les accusations envers les forces de l'odre de "fables". Elle publie régulièrement des informations sur le profil ou les fréquentations des personnalités politiques ou journalistes qui formulent ces critiques, les qualifiant notamment "d'agitateurs". 

L'Unité SGP Police a été l'un des syndicats les moins démonstratifs sur les réseaux sociaux. Appel à ne pas généraliser, et à ne pas stigmatiser les forces de l'ordre sont les composantes essentielles de leur discours. Cependant, la section lyonnaise de ce syndicat a suscité une vague d'indignation sur Twitter. Expliquant avoir sauvé de la noyade "un homme recherché d'origine maghrébine", le syndicat conclut : "LA POLICE EST RACISTE? Non, elle est républicaine !!". 
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