"Jusqu’à s’oublier" : grandir dans l'ombre d’une sœur ou d’un frère handicapé

Dans son documentaire "Jusqu’à s'oublier", Stéphane Kazadi, frère d’un handicapé, donne la parole aux frères et sœurs souvent oubliés. À travers leurs témoignages poignants, ils expriment souffrances et ressentiments, tout en reflétant l’amour qui les unit à leur proche.

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Leurs regards se perdent dans les souvenirs, entre sourires et larmes. Les silences, les timbres de voix, les expressions corporelles et les regards intimes trahissent des sentiments légitimes, mais douloureusement avouables, que l'amour et le temps ne parviennent pas à effacer.

Il y a des histoires si intimes qu'elles ne peuvent être véritablement contées que par ceux qui les ont vécues. Comment pourrions-nous les relater alors que les protagonistes vont bien au-delà des mots pour exprimer ce qui les submerge ?

Le réalisateur du documentaire "Jusqu'à s'oublier", Stéphane Kazadi, ouvre un espace pour faire éclore cette parole et mettre en lumière ceux qui ont vécu, comme lui, dans l'ombre d’une sœur ou d’un frère dépendant.

Léa, Mila, Gabin, Stéphane, Laëtitia et Franck en témoignent librement, à fleur de maux, à fleur de peau.

Stéphane, frère de Damien

"Au début, son handicap est invisible à mes yeux. Mes parents nous élèvent mes deux frères et moi, comme des triplés."

Le réalisateur, lui-même petit frère de Damien, né avec une infirmité motrice cérébrale et aujourd’hui décédé, connaît intimement le poids du titre choisi : "Jusqu'à s'oublier".

À l’âge de 10 ans, quand il demande à sa maman pourquoi son frère n’est pas comme les autres, elle lui répond qu’une petite poussière s’est glissée dans son ventre pendant sa grossesse. La saleté coupable devient alors une ennemie à combattre et se transforme en phobie. 

Stéphane rentre au collège, Damien a 13 ans et ne sait ni lire, ni écrire. Ses jambes ne lui permettent pas de marcher et encore moins de courir comme les autres garçons de son âge. Stéphane et son autre frère partent en croisade contre le handicap mais il est décidément trop fort.

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Stéphane veut vaincre le handicap de son frère ©France télévisions

Lorsqu'il a 12 ans, les parents de Stéphane déménagent, loin. Il doit tout quitter et rien ne sera plus jamais pareil. Dans son ancien collège, la plupart de ses amis d'enfance connaissaient Damien. C'est dans ce nouvel environnement qu'il prend conscience de la différence de sa fratrie.  

Si quelqu'un apprend que Damien est handicapé, mon sourire d'enfant disparaît. Alors, je n'en parle plus ; ça devient un secret.

Stéphane

Au lycée, Stéphane se renferme encore plus. Ses projets d'avenir sont liés à ceux de son frère handicapé. Damien n'a plus de place dans un foyer depuis des années et ça l'inquiète. Il dessine les plans d'un futur foyer où tous deux auront leur place. L'un comme résident et l'autre comme directeur. Le problème de résidence sera ainsi réglé.

Stéphane fait des études de cinéma et part à Montréal. Rattrapé par la culpabilité, au bout d'un mois et demi, il revient en France.

Damien grandit et vieillit. À 34 ans, il va enfin trouver sa place dans un foyer belge, un endroit idéal, encore plus joli que ceux que Stéphane dessinait lorsqu'il était adolescent. Après chaque visite, il a l'impression de l'abandonner. Alors, il fuit en espaçant ses visites.

Damien est dans son centre depuis trois ans. De son côté, Stéphane est devenu père et ressent les mêmes devoirs de responsabilité et de protection qu'il avait toujours connus envers son frère. Il regarde son enfant grandir, apprendre à marcher, à lire, à écrire, « tout ce qu'il avait raté » avec Damien.

Après tout, je ne suis que son petit frère, alors j'essaie de me pardonner.

Stéphane

En janvier 2022, Damien décède à 47 ans. Bien que cela soit difficile à admettre, Stéphane ressent un soulagement qu'il soit parti avant sa famille. Il avait tellement peur de le laisser dans un monde qui ne l'aurait pas compris. Son parcours et son départ lui ont fait comprendre que se laisser de la place n'était pas égoïste et n'enlevait rien à l'amour qu'il lui portait.

Mila, 15 ans, sœur de Macéo, 19 ans

"Tout le monde connaissait mon frère et moi on ne me connaissait pas ou j'étais la sœur de".

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Mila, 15 ans ©France télévisions

Un frère qui, malgré lui, s'approprie la majeure partie de l'espace et du temps "Il faut des personnes présentes toute la journée ; environ sept d’entre elles viennent chaque semaine." Mila s’efforce de composer avec cette invasion dans leur maison familiale.

Je ne me sens pas trop à l'aise chez moi.

Mila

Une vidéo sur les réseaux sociaux d'une jeune fille qui assumait d'être jalouse de l’attention accordée à son frère, l’a rassurée et l’a aidée à mieux accepter sa colère. 

Mila a beaucoup de mal à accepter le rejet que le handicap de son frère peut engendrer dans ses relations. Néanmoins, elle ressent le besoin de développer son propre réseau d'amis afin de trouver sa place et de vivre enfin pour elle-même. Son passage au lycée est une porte d'entrée vers cette autonomie qu'elle espérait tant.

J'avais l'impression de ne pas avoir ma place dans la famille.

Mila

Libre de participer au festival Rose et d'écouter les musiques qu'elle aime, Mila participe aussi au concert d'Indochine pour son frère !

Le diabète qui s'invite soudainement dans la vie de Mia, pose question à sa maman, psychothérapeute.  

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La maman de Mila ©France télévisions

Pour la jeune fille, l'attention dont elle est entourée depuis l'apparition de son diabète rééquilibre ce qui lui a manqué jusqu'alors et la rapproche plus intimement de la souffrance de son frère.

Léa, 32 ans, sœur de Chloé 

"Ma petite sœur a trois ans de moins que moi. Elle a un handicap de naissance, des problèmes psychomoteurs et d'épilepsie."

Léa ne se souvient pas exactement du moment où elle a pris vraiment conscience de cette différence. Ensemble, elles communiquaient, se comprenaient en se passant d'un éventail de mots, impossibles à prononcer pour sa petite sœur. "Il y avait un truc dans l'apprentissage qui ne marchait pas". En grandissant, le regard de l'autre a pris une place qu'elle aurait souhaité ne pas lui donner. 

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Léa, 32 ans ©France télévisions

Toute petite, sa sœur était en famille d’accueil la semaine et rentrait le week-end pour passer du temps avec les siens. Depuis qu'elle a vingt ans, elle réside dans un foyer de vie. 

Léa a sillonné la France, déménagé treize fois en treize ans. Une mobilité intense pour aller et venir en toute liberté. "Vis ta vie", lui répétait ses parents. Un rythme soutenu, une sorte d'avance condensée, sans vraiment en prendre conscience pour profiter avant de donner. 

La jeune femme tourne autour des mots : "obligation" ne vient pas spontanément, mais c’est pourtant de cela qu’il s’agit. Malgré tout l’amour qu’elle porte à sa sœur, lui rendre visite seule, sans ses parents, a été un véritable défi qu’elle a réussi à surmonter grâce au soutien de son compagnon.

Léa s'est installée à une heure du foyer de sa sœur. Même si ses parents ne lui ont pas explicitement demandé, elle sait ce qu'on attend d'elle à l'avenir. 

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Léa s'est installée à une heure du foyer de vie de sa soeur ©France télévisions

Léa n'a jamais envisagé d'avoir d'enfant. Ses amis donnent naissance à des petits garçons et à des petites filles. Elle, un jour viendra, où elle sera la mère de sa sœur Chloé, pour lui rendre la vie belle.

Depuis le Covid, ses parents et sa sœur se sont enfermés dans une sorte de cocon où Léa ne trouve pas sa place. Égale à elle-même, elle n'en veut à personne et souffre en silence. 

Gabin, 16 ans, frère de Tino, 19 ans

"Je me suis rendu compte du handicap en CP. Je voyais mes copains qui avaient des frères et sœurs normaux et moi, mon frère était en poussette à cette époque-là. Du coup, j'étais un petit peu jaloux des autres."

Dès la fin du primaire et l'entrée au collège Gabin a subi des moqueries et son frère des sobriquets désobligeants qui le mettait mal à l'aise. 

Dans la famille, Tino occupe une place centrale, une présence constante qui énerve Gabin. Ce dernier pense que le handicap de son frère a joué un rôle dans le divorce de leurs parents, qui ont eu du mal à accepter cette réalité et se sont peu à peu éloignés l'un de l'autre.

Oui, je ressentais un petit peu de haine envers lui.

Gabin

Gabin effectue un service civique. Il a reçu un diplôme pour saluer son comportement. Ils ne sont que trois à l’avoir obtenu sur plus d’une centaine. Il a mûri très tôt, prêtant main-forte aux adultes dans la gestion du handicap de son frère.

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Gabin a un rôle d'adulte pour prendre soin de son grand frère ©France télévisions

Son ami est impressionné par la maturité de Gabin. Ils se connaissent depuis la petite enfance et ne se sont jamais quittés. Au-delà des mots, ils se comprennent, et dans un soupir, ils se soutiennent.

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Au nom de l'amitié ©France télévisions

Gabin pense à tout ce que son frère aurait pu accomplir si le handicap avait passé son chemin. Cette force, il l'aura pour deux, et cela l'aide à avancer. Il va travailler, économiser et payer pour une structure adaptée et confortable où son frère sera bien. Il ne sera pas loin ! 

Il n'y a pas d'alternative, même si je fonde une famille, ce sera comme ça.

Gabin

Il prendra le relais de ses parents pour qu'ils ne s'épuisent pas davantage. Comme Stéphane, Gabin dessine l'avenir, sans jamais lâcher la main de celui qui ne pourra jamais le faire.

Devenir pompier et aider les gens : c'est une véritable vocation. Sa proximité avec son frère Tino est probablement à l'origine de ce besoin et de cet engagement.

Laëtitia, 39 ans et Franck, 44 ans, frère et sœur de Julien, 34 ans

Laëtitia a choisi de se consacrer aux métiers du soin et travaille dans une maison d'accueil spécialisée pour adultes handicapés, le même établissement où son frère séjourne aujourd'hui, bien qu'ils ne soient pas dans le même service. Chaque week-end, il revient au domicile familial, où ses parents l'attendent, et Laëtitia ne manque pas de lui rendre visite.

Profondément marquée par le regard souvent stigmatisant, posé sur le handicap de son frère, perçu comme une maladie contagieuse, elle en a fait sa cause. Julien est primordial dans sa vie, mais elle se défend de jouer un rôle de maman, tenant fermement à sa place de grande sœur. Elle milite pour que le handicap soit reconnu et respecté à sa juste valeur.

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Laëtitia, soeur de Franck et de Julien ©France télévisions

Franck a dix ans de plus que son petit frère Julien. Il est profondément marqué par la cause suspectée du handicap de son frère, un virus contracté par leur mère pendant sa grossesse. Cette situation a laissé des traces indélébiles dans son esprit, nourrissant une crainte de l'aléatoire.

Papa de deux garçons, il se souvient : "Les deux fois neuf mois ont été très compliqués." Aujourd'hui encore, pour Franck, vivre avec le handicap n'est pas une chose facile.

Léa, Mila, Laëtitia, Stéphane, Gabin, Franck et tant d’autres le savent : le handicap d’un frère ou d’une sœur a des répercussions profondes sur la vie des autres membres de la fratrie. Leurs témoignages mettent en lumière l’impact de cette réalité sur leurs choix, leurs relations et leurs parcours.

Aimer sans se perdre, voilà le véritable défi !

"Jusqu’à s’oublier" un documentaire de Stéphane Kazadi. Une coproduction What’s Up Production – France 3 Pays de la Loire.  

Diffusion le jeudi 10 octobre à 22.50 sur France 3 Centre-Val de Loire et à revoir en replay sur france.tv.


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