L'Office nationale des forêts cherche partout sur la planète des espèces d'arbres capables de survivre aux bouleversements climatiques, annoncés pour les prochaines décennies. En forêt d'Orléans, le métaséquoia du Sichuan tente de s'adapter aux sols sableux et argileux de Sologne.
Il mesure à peine 50 centimètres mais il est peut-être l'avenir de la forêt française : le métaséquoia, venu de Chine, est l'une des espèces prometteuses plantées à Bouzy-la-Forêt dans le Loiret, en forêt d'Orléans, pour tester la résistance des arbres au changement climatique.
Car il y a urgence dans nos forêts : ici un pin sylvestre penche la tête, les aiguilles rougies, là un chêne souffre, perd son écorce. Pour éviter que les forêts françaises ne dépérissent, les spécialistes de l'Office national des forêts (ONF) cherchent partout dans le monde des essences qui résisteront au climat de la France de 2050, qui sera parfois plus sec, plus chaud ou plus froid selon les mois et selon les régions.
"Le changement climatique va concerner au moins 10% du territoire", estime Bertrand Munch, directeur général de l'ONF, qui gère 25% des forêts françaises. Tout va trop vite : "La forêt ne va pas s'adapter toute seule, il faut oser intervenir", plaide-t-il, alors qu'insectes et champignons, qui eux profitent des variations climatiques, font des ravages dans les bois, notamment sur les épicéas du Grand-Est.
Trouver des espèces résilientes
Face à la menace, gestionnaires des forêts publiques et privées ont uni leurs forces, en signant fin septembre une convention "pour accompagner l'adaptation des forêts" aux nouvelles conditions climatiques. Ils vont partager innovations et banques de données, et devraient communiquer ensemble à destination du grand public.
Une bonne nouvelle pour Geoffroy de Moncuit, propriétaire d'un domaine de 160 hectares dans le Loiret, au sud-est d'Orléans : "Avec le réchauffement, je doute que les chênes nous disent : "Moi je suis du public ou moi je suis du privé"".
Le dépérissement du chêne, essence reine des forêts françaises, a conduit chacun à tenter de nouvelles expériences. Geoffroy de Moncuit a planté lui-même 600 chênes pubescents sur une parcelle expérimentale, espérant que ces arbres qui s'épanouissent dans les Causses ou en Provence, s'adaptent au sol de Sologne, fait "de sable, d'argile et de silex".
Ce 29/06, conférence de presse "Adaptation des #forêts au changement climatique, les outils pour agir", du RMT AFORCE, du #CNPF et de l’#ONF.
— ONF (@ONF_Officiel) June 29, 2021
Objectif : présenter ClimEssences, qui aide dans le choix d'essences plus résistantes au #ChangementClimatique.
? https://t.co/IjuQHV95rW pic.twitter.com/I5uwc8skvL
En forêt domaniale d'Orléans, l'ONF a installé un de ses 200 "îlots d'avenir", des parcelles où sont testées partout en France des essences que l'on espère plus résilientes.
Identifier les zones où le climat va changer
La bataille a été rude pour Yves Baugin, responsable des massifs forestiers de Châteauneuf-sur-Loire à l'ONF. "Ici on avait un peuplement initial de chênes et de pins sylvestres âgés. On a tenté une régénération naturelle qui a échoué. On s'est lancé dans le pin maritime, mais avec les gels d'hiver, tous les plants sont morts, raconte-t-il. On ne savait plus quoi faire".
Un jour, il pense au métaséquoia, un arbre dont "on a retrouvé la trace en 1941 au Sichuan" puis "sur les pentes du Yang-Tsé-Kiang, dans la région de Hubei". Le conifère, à l'origine identifié comme un fossile vieux de 150 millions d'années, coche toutes les cases : "Il pousse aussi vite que l'eucalyptus, peut faire un bon bois de scierie". Sur la parcelle, il avoisine du liquidambar, ou copalme d'Amérique, qui pousse jusqu'en Floride et dont le bois rouge ressemble un peu au noyer.
L'expérience s'appuie sur la méthode de l'analogie climatique : l'ONF utilise les scénarios des experts climat de l'ONU pour identifier les zones de France où le climat va changer.
Forêt en voie d'extinction
Brigitte Musch, responsable du conservatoire génétique des arbres forestiers à l'ONF, déploie les cartes du peuplement de l'ancestral chêne sessile. Les zones compatibles sont coloriées en vert. La où le peuplement est menacé mais possible, la carte passe en jaune, et tourne au rouge si la zone devient fatale à l'espèce.
Si la carte d'aujourd'hui est presque entièrement verte, la projection pour 2050 est terrifiante : le scénario intermédiaire montre une carte mitée de rouge, notamment en Centre-Val-de-Loire. Le scénario pessimiste condamne le chêne sessile sur une large partie du pays.
"Nous cherchons partout -en Chine, Turquie, Amérique- des espèces qui peuvent vivre ici maintenant et seront adéquates dans 30 à 50 ans : c'est le projet ClimEssences", une gigantesque base de données qui contient des fiches pour 150 espèces, accessible à tous, explique la généticienne.
Tout le monde doit "prendre conscience de ce qui se joue" pour la forêt, soulignent les forestiers, qui demandent un dispositif financier pérenne et conséquent. Parce que, prévient Bertrand Munch, "cinq à dix ans, ce n'est rien à l'échelle d'un arbre". Selon Météo France, les canicules de 2050 seraient plus fréquentes qu'aujourd'hui, et approcheraient régulièrement les 43° à Orléans.