Les témoignages contre l'Abbé Pierre accusé par 24 femmes d'agressions et de harcèlement sexuel se multiplient. Une onde de choc pour la communauté Emmaüs Loiret qui condamne tout en voulant poursuivre leur action.
À l’entrée du bâtiment principal d’Emmaüs Loiret, les bénévoles et les clients ont beau chercher et tourner la tête, le portrait de l’Abbé Pierre est désormais introuvable. "Il a été retiré il y a une dizaine de jours" nous confirme l’un des deux responsables du site.
Le portrait de l'Abbé Pierre retiré
Le retrait du fondateur d'Emmaüs, figure emblématique du mal logement en France n’a évidemment rien d’un hasard. Les révélations l’accusant d’agressions et de harcèlement sexuel sur plus d’une vingtaine de femmes ont choqué l’ensemble de la communauté Emmaüs.
D’ailleurs, ce même responsable refuse d’en dire davantage : "Je suis personnellement sous le choc, je m’exprimerai plus tard" dit-il en souhaitant clore la discussion.
La communauté Emmaüs Loiret sous le choc
Plus de trace visuelle donc mais dans les esprits et les discussions, le scandale est encore bien présent. La stupeur est à la hauteur de ce que représentait l’ancien prêtre : "J’étais très déçue, car pour moi c’était un personnage. Il est déjà sous terre mais pour moi il l’est encore plus." explique Dani bénévole depuis 6 ans.
Bien qu’elle condamne sans aucune ambiguïté les faits reprochés à l’Abbé Pierre, elle s’interroge sur le timing de l’annonce : "Je trouve que les révélations qui arrivent 17 ans après son décès sont un petit peu... limites" tente-t-elle d’expliquer après un temps de réflexion.
"On est choqué forcément. Il y a des choses qui ne se font pas, venant d’un prêtre en plus, c’est d’autant plus compliqué."
Pierre bénévole à Emmaüs depuis 50 ans
Un questionnement qui reflète la déflagration qu’ont eu les révélations. "Bien sûr qu’on est choqué forcément. Il y a des choses qui ne se font pas venant d’un prêtre, en plus c’est d’autant plus compliqué," confie Pierre, 50 ans de bénévolat cette année. Il le savait "prisonnier de sa sexualité".
Mais l’homme âgé de 82 ans souhaite prendre du recul sur la polémique en se rappelant – photo à l’appui - sa rencontre avec l’Abbé-Pierre. Il se souvient des paroles prononcées : "Il m’a dit : et toi Pierre, aujourd’hui, qu’as-tu fait pour ton frère ? Ce que tu as fait hier, c’était hier mais c’est chaque jour qu’il faut penser à son frère. L’image de l’Abbé Pierre, c'est celle-là qui reste pour moi."
Des mots qui résonnent encore dans sa mémoire car pour les bénévoles il est aussi très important de ne pas tout mélanger.
"Séparer l'homme de son oeuvre"
L’homme d’un côté, son action de l’autre. C’est sur cet aspect qu’insiste Annie, une autre bénévole. Elle a rejoint le mouvement il y a 15 ans, après donc le décès du fondateur d’Emmaüs. "Moi je ne suis pas venue pour l’Abbé Pierre. Il était déjà mort, je ne l’avais jamais rencontré" commence-t-elle par expliquer.
"Les fautes d’un homme n’entachent jamais le travail de toute une collectivité. Ce qui est important c’est qu’Emmaüs continue."
Annie, bénévole à Emmaüs depuis 15 ans
Entre le tri de plusieurs livres, elle poursuit : "Moi je suis venue pour le projet d’Emmaüs tel qu’il fonctionne et qu’il continue de fonctionner. C’est ça qui me parait important. Les fautes d’un homme n’entachent jamais le travail de toute une collectivité. Ce qui est important c’est qu’Emmaüs continue."
L’engagement des bénévoles est donc loin d’être remis en cause. L’action et les besoins sont conséquents, cela reste leur priorité.
Des clients fidèles
Cependant, une crainte les anime. Comment va réagir le grand public ? Que les donateurs et acheteurs fassent une confusion serait "désastreux" pour Annie.
Dans les allées du site, les chineurs ont presque tous un avis sur l’affaire. Certains ont du mal à y croire "On est bien obligé d’admettre qu’il s’est passé certaines choses. Je suis catholique, croyant, l’Église la première reconnait donc je suis l’avis de l’Église" nous explique difficilement un premier passant.
Même incrédulité pour Francis et Anne-Marie, deux anciens bénévoles à Emmaüs : "On a toujours eu une image positive de l’Abbé Pierre. Je suis allé sur sa tombe. Ça nous perturbe. On était loin d’imaginer de tels agissements."
De là à remettre en cause leur attachement, leur fidélité à Emmaüs ? "Non" rassurent-ils.
"Je ne suis pas là pour l’Abbé Pierre mais pour les gens qui bénéficient de son action."
Cliente d'Emmaüs Loiret
Le premier chineur rencontré rappelle qu’il vient sur site une fois par semaine depuis des années "même partout en France quand je me déplace, je vais à Emmaüs" dit-il.
Francis et Anne-Marie, rappellent eux, que tout ce qui est fait aujourd’hui l’est "dans l’intérêt des compagnons, des gens qui en ont besoin."
"Sa fondation et tout ce qu’il a réalisé restent extraordinaire" renchérit leur voisine d’allée "je ne suis pas là pour l’Abbé Pierre mais pour les gens qui bénéficient de son action."
Bénévoles, donateurs et clients semblent donc tous partager le même avis. En témoigne d'un côté, leur présence toujours aussi régulière sur les sites Emmaüs, et de l’autre, leurs pensées unanimes, pour les 24 victimes de l'Abbé Pierre.