En Sologne, où l'engrillagement des propriétés s'est érigé en fléau depuis quelques dizaines d'années, les clôtures devront, à l'horizon 2020, respecter de nouvelles normes permettant de laisser circuler les animaux sauvages. Une mesure adoptée jeudi lors du conseil régional.
"Nous sommes très heureux. C'est l'aboutissement de 20 ans de combat". Raymond Louis, président de l'association des Amis des chemins de la Sologne, qui se bat contre l'engrillagement de la Sologne, ne cache pas sa satisfaction après l'adoption par le conseil régional, jeudi 20 décembre, d'un amendement réglementant strictement la construction de clôtures autour des propriétés. Désormais, elles devront respecter une hauteur maximale d’1,20 m, laisser un espace de 30 cm minimum au-dessus du sol et devront être exclusivement construites à l'aide de matériaux naturels."Il s'est passé aujourd'hui un moment historique", a commenté Guillaume Peltier, député de la 2e circonscription du Loir-et-Cher, saluant une "première" dans "l'Histoire de notre région et de la Sologne". Au sein de l'hémicycle régional, seuls les élus écologistes se sont abstenus lors du vote de cet amendement, proposé dans le cadre du schéma régional d'aménagement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). "Les éléments de l'amendement étaient déjà dans le Sraddet, il n'y avait pas lieu de les ajouter, estime Florent Grospart assistant du groupe écologiste au conseil régional. On défendait plutôt le projet d'un Parc naturel régional (qui a déjà failli voir le jour en 2004-2005). C'était plus ambitieux, plus démocratique et ça réglait plus globalement la question. C'était aussi plus solide juridiquement. On verra dans les prochains mois si le texte tel qu'il est passera les diverses lectures juridiques".
Un amendement à la portée limitée
Pour l'heure, rien, dans l'amendement voté, n'impose la destruction des grillages déjà existants et aucune sanction n'est prévue contre les propriétaires qui contreviendraient à la nouvelle réglementation. Règlementation qui, d'ailleurs, ne concernera que les clôtures érigées après la révision des Plans locaux d'urbanisme intercommunautaire (PLUi) et les Schémas de cohérence territoriale (Scot), à l'horizon 2020.
"C'est sûr qu'il y a encore beaucoup de choses à faire, mais c'est un premier pas, réagit Raymond Louis. Personne n'avait rien fait depuis l'apparition des premiers grillages en Sologne, il y a 40 ou 50 ans." Le sexagénaire porte, avec sa femme Marie, l'association Amis des chemins de la Sologne à bout de bras depuis 20 ans. Aujourd'hui, la petite structure a bien grossi : elle compte quelques 450 membres, dont l'écrivain et réalisateur Nicolas Vanier, devenu son ambassadeur, plusieurs députés, sénateurs, élus du conseil régional...
Raymond Louis n'évoque sa terre natale qu'avec un possessif : "Notre Sologne". Il n'est pas peu fier du chemin parcouru, mais reste conscient de toutes les étapes qu'il reste à franchir pour "libérer notre Sologne". Son modèle? La Belgique qui, confrontée au même problème, a mis sur pied une réglementation drastique et contraignante. "Là bas, depuis 6 ans, 80% des clôtures ont été enlevées. Et celui à qui il viendrait l'idée de n'en faire qu'à sa tête risque la correctionnelle."
Un sujet qui empoisonne la Sologne depuis des décennies
Depuis des décennies, l'engrillagement empoisonne ce territoire forestier de 100 000 km2, à cheval sur trois départements du Centre-Val-de-Loire : Loir-et-Cher, Loiret et Cher. Le plus prestigieux des terrains de chasse français est aujourd'hui quadrillé par plus de 3 500 km de clôtures, érigées par une trentaine de grands propriétaires terriens, dont queqlues patrons du CAC40 – Bich (PDG de Bic), Bouygues, Dassault, Wertheimer (PDG de Chanel)... Des gigantesques propriétés, fortes de centaines d'hectares boisés, terrains de chasse rêvés. Et que ces illustres personnages s'échinent à faire grillager pour empêcher les animaux sauvages de s'échapper et constituer une réserve de chasse.
La pratique est légale, selon le droit français de la propriété privée qui permet de se clôturer totalement et, par conséquent, de chasser toute l’année le gibier, sauf les oiseaux. En ce cas, le gibier enfermé est considéré comme la propriété de celui qui l’a emprisonné… Mais outre un "paysage dénaturé" qu'a fustigé jeudi François Bonneau, président du conseil régional, l'engrillagement a des conséquences désastreuses sur les plans éthiques, environnementaux et sanitaires. "Le premier souci, c'est que ça entrave la liberté de circulation de la faune, explique Raymond Louis. Ça implique une grosse concentration d'individus, de la consanguinité et donc un affaiblissement des animaux qui deviennent plus sensibles aux maladies. Ensuite, quand ces gens-là chassent, en une journée, ils tuent entre 150 et 180 animaux. Ce n'est plus de la chasse, c'est un massacre!". Après ces abattages, il arrive, aux dires de Raymond Louis, que de nouveaux sangliers soient introduits dans les forêts. Des sangliers importés notamment de pays infectés par la peste porcine africaine qui risquent donc de contaminer la région.