Un quart des 68 espèces de libellules et demoiselles est menacé de disparition

Aquatiques et terrestres, les insectes appartenant à la famille des odonates, libellules et demoiselles, sont de véritables gardiens de nos milieux naturels. Or, une espèce de libellule sur quatre est menacée en Centre-Val de Loire. Un signal inquiétant pour l'état de santé de nos écosystèmes.

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À proximité d'une mare ou d'un petit cours d'eau, deux paires d'ailes transparentes posées sur un corps allongé et coloré, les libellules, vives et élégantes, font partie de ces rares insectes qui évoquent d'heureux souvenirs et suscitent notre sympathie. Mais aurons-nous encore longtemps l'occasion de les observer ?

Les odonates, n'échappent pas à la tendance alarmante des dernières décenniese déclin massif, à l'échelle mondiale, des populations d'insectes, tant en nombre d'individus qu'en diversité des espèces.

Les libellules et demoiselles en gardiennes de l'environnement

Pour la ponte, l'éclosion des œufs, puis le développement des larves, les milieux aquatiques sont essentiels pour les odonates. Une fois leur taille maximale atteinte, les larves sortent de l'eau pour une dernière mue, les libellules adultes se libèrent de l'exuvie, l'enveloppe larvaire, et entreprennent une vie plus terrestre, vouée à la chasse aux insectes et à la reproduction.

Ainsi, par leur mode de vie, par la diversité de leurs habitats, les libellules et demoiselles sont de véritables sentinelles de nos milieux naturels. Leur préservation contribue de façon importante au maintien de la biodiversité et au bon état de conservation des écosystèmes, à la fois aquatiques et terrestres.

Un plan d'action pour sauver les odonates

Un Plan National d’Actions (PNA) dédié aux odonates a été lancé en France en 2010. Il est décliné dans notre région par la DREAL Centre-Val de Loire et animé par l'association tourangelle  ANEPE Caudalis (Association naturaliste d'étude et de protection des milieux naturels).

Une première liste rouge régionale des libellules et demoiselles a ainsi pu être établie en 2012, réactualisée 10 ans plus tard, en 2022 (les listes rouges de l'UICN, Union internationale pour la conservation de la nature, mesurent le risque de disparition d'une espèce sur un territoire donné). L'évolution est franchement inquiétante puisque le quart des espèces de libellules présentes en Centre-Val de Loire est désormais menacé de disparition.

Le constat est même alarmant, et l'enjeu national, pour au moins 2 espèces emblématiques des bords de Loire, le gomphe à pattes jaunes (Gomphus flavipes) et le gomphe serpentin (Ophiogomphus cecilia), qui sont fortement associées aux habitats particuliers à ce système fluvial.

En quelques années seulement, on enregistre un effondrement des populations de gomphes à pattes jaunes, entraînant la quasi-disparition de cette espèce dans notre région.

"On est passé d'une espèce relativement commune à une espèce qu'on ne voit plus du tout, se désole Renaud Baeta, chargé de mission biodiversité, animateur du plan régional d'actions en faveur des libellules. On a perdu 99% de la population de gomphe à pattes jaunes. En cherchant assidûment on arrive à trouver une exuvie par an, mais cela fait des années que l'on n'a pas observé d'adulte volant."

Une hétérogénéité régionale face à l'accueil des libellules

Dans notre région, les secteurs propices à l’activité agricole intensive, comme la Beauce, la Gâtine tourangelle ou la Champagne Berrichonne de l’Indre n’accueillent aujourd’hui que très peu, voire pas du tout, d’espèces menacées d'odonates. À l’inverse, on peut encore les observer encore dans les grandes zones naturelles humides les mieux conservées comme le bassin de Savigné, la Sologne, l’Orléanais forestier ou la Brenne. Ces grandes écorégions sont donc primordiales pour la conservation des libellules et demoiselles de notre région.

Le déclin des populations de libellules ne date pas d'hier, la destruction de leurs habitats a commencé il y a plus d'un siècle : urbanisation, drainage et assèchements de marais, recalibrage des cours d'eau, agriculture intensive, pollution aux pesticides et aux engrais, homogénéisation des paysages...

Mais cette tendance s'est considérablement aggravée ces dernières décennies avec les premiers effets du réchauffement climatique :

"Les longues périodes de sécheresse que nous traversons sont catastrophiques pour toutes les espèces liées aux têtes de bassins-versants, explique l'odonatologue tourangeau. Ces libellules sont inféodées aux suintements, aux zones de sources, aux petits ruisseaux, qui se retrouvent à sec pendant plusieurs mois, les larves ne peuvent survivre. Et, au niveau des mares, des étangs, ce n'est pas mieux, ces plans d'eau deviennent de plus en plus des bassines, des milieux aquatiques qui se simplifient à l'extrême, qui s'appauvrissent."

La double peine des libellules

Plus spécifique à notre région, en effet, que le réchauffement climatique, la gestion, ou la non-gestion, des étangs constitue également une sérieuse menace pour la survie de nos libellules et demoiselles :

"Aujourd'hui, poursuit Renaud Baeta, soit les étangs ne sont plus gérés, et des poissons comme les carpes y prolifèrent, détériorent la qualité du plan d'eau en mangeant toute la végétation. Il n'y a plus d'oxygène, plus de nourriture, plus de caches pour les larves. Soit, au contraire, on y pratique une activité piscicole de plus en plus intensive, on retire la végétation et on nourrit les poissons aux granulés. Tout l'écosystème qui permet aux libellules de se reproduire disparaît..."

Le premier PRA, plan régional d'actions, pour les odonates visait surtout à mieux connaître les espèces, leurs habitats et leur mode de vie. Le second, en cours de rédaction, va devoir s'attaquer concrètement à la gestion des milieux naturels :

"Ce n'est pas simple, reconnaît le chargé de mission biodiversité. On travaille à l'échelle de rivières, mais aussi d'étangs, de mares, qui sont souvent privés".

Les leviers d'action sont complexes, mais il faut impérativement mieux gérer les zones humides, les restaurer, pour y maintenir ces espèces et obtenir des milieux plus résilients face au changement climatique. L'alarme que sonnent les libellules, ce sont tous nos écosystèmes qui sont fortement dégradés.

Renaud Baeta, animateur Plan Régional d'Actions en faveur des libellules

Presque toutes les familles d'insectes sont confrontées à un effondrement de leur population. Les libellules et demoiselles, liées, par leur cycle de vie, autant aux écosystèmes d'eau douce qu'aux milieux terrestres, cumulent les difficultés. Pour arriver à les protéger, il va falloir sérieusement se retrousser les manches. Pouvoirs publics, collectivités, acteurs du monde rural, propriétaires terriens...l'heure est à la mobilisation générale !

"On ne luttera pas contre l'effondrement de la biodiversité d'un simple coup de baguette magique. Si l'on veut inverser la dynamique, il va falloir accepter de revenir sur pas mal de choses, sur nos pratiques intensives, sur des habitudes liées à nos modes de vie. Ce n'est pas en restaurant une petite rivière de temps en temps qu'on va y arriver. Mais avec une vraie vision, une volonté politique forte de restauration des zones humides et l'arrêt de toutes les pratiques qui utilisent de l'eau à outrance."

On ne semble guère en prendre le chemin ; les signaux envoyés par le gouvernement pour calmer la colère dans le monde agricole ont de quoi désespérer l'odonatologue-défenseur de l'environnement :

On n'a pas cherché à trouver des solutions bénéfiques à la fois pour les agriculteurs et pour la biodiversité. C'est encore cette dernière que l'on sacrifie en situation de crise, au nom d'une prétendue efficacité. C'est inquiétant, nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. À un moment donné, sans insectes, cela va devenir très compliqué !

Renaud Baeta, animateur Plan Régional d'Actions en faveur des odonates

Difficile, dans ces circonstances, de rester optimiste. Mais pour finir tout de même sur une note positive, le naturaliste parvient à trouver une raison d'espérer :

"Je reste très impressionné par la capacité de résilience des écosystèmes, et notamment des zones humides. Si l'on creuse un trou pour récupérer un peu de sable ou du granulat au milieu de nulle part, disons un champ de maïs, en quelques années on va regagner une biodiversité incroyable. Des plantes, des insectes, des amphibiens, des oiseaux migrateurs vont s'y installer ! Cela me rassure vraiment. On n'en est pas encore à un point de non-retour, où une zone humide ainsi créée resterait stérile. Tout n'est pas perdu !"

Article initialement publié le 07/04/2024

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