Entre séduction et brutalité, voire intimidation, Bernard Tapie, devenu le nouveau patron de La Provence ou Nice-Matin, a toujours entretenu des relations houleuses avec les journalistes.
Tutoiement, harcèlement téléphonique à toute heure, propos orduriers, parfois en public, intimidations, pressions sur la hiérarchie, empoignades à la limite de la bagarre...: les journalistes ne manquent pas d'anecdotes sur leurs relations souvent difficiles avec l'homme d'affaires et l'ex-patron du club de foot marseillais.
"Tapie, c'est quelqu'un qui est capable de vous embrasser sur la bouche et trente secondes plus tard de vous pourrir. Ce qu'il recherche avant tout, c'est le contact, pour servir son objectif. Il est incapable de comprendre la neutralité, c'est une notion qui lui échappe", souligne Christophe Bouchet, ancien journaliste et auteur de plusieurs livres sur Bernard Tapie. "Il m'a tout fait. Il m'a menacé de mort", poursuit celui qui deviendra aussi président de l'OM.
"C'était un peu l'enfer"
"Ou tu es avec lui ou tu es contre lui. Il ne conçoit pas le fonctionnement d'un journaliste", raconte un ancien de La Provence, évoquant les insultes au téléphone ou l'appareil photo d'un reporter jeté dans l'escalier du tribunal de commerce. "Un jour je l'ai appelé. Il m'a juste dit +vous me faites tous chier. Allez tous vous faire foutre+. Et il a raccroché", raconte une autre journaliste."C'était un peu l'enfer", renchérit Bernard Brivet, chef de la rubrique football à l'AFP de 1988 à 1998, lors des grandes heures de Bernard Tapie à la tête de l'OM, puis de l'affaire VA-OM.
"Ou c'était bien quand on faisait un papier qui lui plaisait, ou on était en conflit quand ça ne lui plaisait pas, avec des insultes par téléphone", ajoute-t-il. "Il déboulait menaçant, avec pas mal de vulgarité, disant qu'il allait vous faire un procès, etc. Il fallait tout de suite avoir des arguments, sinon il vous traînait dans la boue".
Séjours sur le Phocéa
Répulsion, mais aussi attirance: Tapie pouvait se montrer charmeur, fascinant les journalistes par son bagout, s'adressant à eux comme leur meilleur ami, leur assurant un show de qualité, les invitant dans son bureau pour tenter de les convaincre, leur offrant une place dans son avion privé pour aller à Marseille, voire un séjour sur le Phocéa, son ancien yacht à voiles."Il avait quelques journalistes dans sa manche, qu'il invitait sur le Phocéa. Il disait d'ailleurs: "A quoi bon acheter un journal quand on peut acheter des journalistes?", se souvient une journaliste marseillaise, avouant l'avoir trouvé à une période "tout à fait fascinant".
"C'est un homme qui a du charisme d'une certaine façon. Quand il a commencé à racheter des entreprises, ce sont quelques journalistes qui ont fabriqué son image de capitaine d'industrie dynamique", souligne un journaliste parisien.
"aucune considération pour les journalistes"
Plus inquiétant, pour Christophe Bouchet, Bernard Tapie n'a "aucune considération pour les journalistes", mais "il a compris et surtout avant les autres quel rôle il pouvait leur faire jouer, comment on pouvait les corrompre, améliorer le flux, le détourner".Ces rapports complexes augurent de lendemains difficiles pour les rédacteurs des titres qu'il a rachetés avec la famille Hersant, dont les quotidiens La Provence, Nice-Matin, Var-Matin et Corse Matin.
"Les journalistes du groupe Hersant sont devenus désormais ses employés, et il n'a jamais été très affectueux avec ses employés. Et il va continuer à entretenir une relation différente avec les journalistes qui peuvent servir ses desseins ailleurs, dans les hebdomadaires parisiens ou à la télévision", prédit Christophe Bouchet.